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À la Beaujoire, la fin des journées portes ouvertes ?
Dix défaites consécutives à la maison : c'est, toutes compétitions confondues, l'impressionnant record sur lequel nous a laissé le FC Nantes en fin de saison dernière. Après avoir évité l'ascenseur, les Canaris ont tout de même intérêt à retrouver les clés de leur domicile.
L’Égypte contre la République dominicaine (0-0) et le Maroc (0-6), Israël face au Japon (0-1), l’Ouzbékistan contre ces mêmes Pharaons (0-1) : lors du tournoi olympique masculin qui s’est clos la semaine passée, aucune sélection venue jouer à la Beaujoire et installée dans le vestiaire de l’équipe hôte n’a réussi à l’emporter. C’est d’ailleurs également route de Saint-Joseph que les Bleues de Hervé Renard , après avoir pris possession des casiers de Nicolas Pallois, Pedro Chirivella, Moses Simon et consorts, se sont cassé la gueule devant le Brésil, dès les quarts de finale du tableau féminin (0-1). De quoi, peut-être, rassurer la bande d’Antoine Kombouaré : recevoir à la Beauj’ ressemble à un vrai guêpier, par les temps qui courent. Depuis le funeste 2 décembre 2023 et une victoire 1-0 contre l’OGC Nice (pour la première de… Jocelyn Gourvennec sur le banc nantais), les supporters des Canaris n’ont assisté qu’à des défaites. Dix, au total : Brest (0-2), Clermont (1-2), Laval en Coupe de France (0-1), Lens (0-1), le PSG (0-2), Metz (0-2), Strasbourg (1-3), Lyon (1-3), Rennes (0-3) et enfin Lille (1-2).
Engrenage et écophobie
Après les 92 rencontres d’affilée à domicile sans défaite, record établi à Marcel-Saupin par les Canaris de Jean Vincent entre le 15 mai 1976 et le 7 avril 1981, le club breton tient désormais l’exploit inverse. En plus d’une demi-saison de déconvenues, les Jaune et Vert ont eu le temps de changer de chef de bord, sans succès. Ils ont tout de même pris le soin de faire le minimum syndical hors de leurs bases, afin d’accrocher la 14e place (à 4 points de la zone rouge) et s’éviter un séjour en Ligue 2. « On est maintenus malgré ce record de neuf défaites consécutives (en Ligue 1) qui va hanter mes nuits pendant longtemps », soufflait Kombouaré mi-mai, après le dernier sketch de l’exercice 2023-2024. Les habitués du stade Louis-Fonteneau auront-ils le droit au bonheur, cette saison ? « C’est un engrenage, témoigne depuis son lieu de vacances Matthieu Dossevi, qui a fait partie de la dream team du FC Metz ayant aligné huit revers consécutifs à la maison, en 2017-2018. Plus on a de mauvais résultats, plus les supporters sont mécontents, donc plus ils sont démonstratifs et plus ça met de pression aux joueurs. C’est vraiment un cercle vicieux assez compliqué. »
« C’est le phénomène de pression inversée, ajoute Cédric Quignon-Fleuret, psychologue du sport notamment passé par les Girondins de Bordeaux, l’AS Monaco et le FC Lausanne. Ce qui devrait être un avantage devient un élément de stress supplémentaire. Et puis après, il y a un phénomène d’anticipation : vous anticipez des matchs ou des fins de matchs où vous allez être sifflé par votre propre public. On peut très vite basculer de l’envie de bien faire à la peur de décevoir. Ça devient plus stressant de jouer devant les vôtres que de jouer à l’extérieur, où on va être libéré de cette obligation de non seulement gagner, mais peut-être aussi de bien jouer. »
8 – Plus longue série de défaites à domicile dans l'histoire de la Ligue 1 :
8 – Nantes en 2023/24 🆕 8 – Nîmes en 2020/21 8 – Toulouse en 2019/20 8 – Metz en 2017/18
Cuits ? #FCNSRFC pic.twitter.com/QZtFOVIqpv
— OptaJean (@OptaJean) April 20, 2024
Concernant les supporters, c’est aussi leur absence qui a porté préjudice aux Nantais, la saison ayant été rythmée par la relation amour-haine – mais surtout haine, quand même – qu’entretiennent la Brigade Loire et la Ligue de football professionnel, à cause notamment des shows visuels un peu trop audacieux dont les ultras nantais sont coutumiers : entre janvier et mai, la Beaujoire a eu le droit à quatre fermetures de la tribune Loire (contre Clermont, Metz, Rennes et Lille) et un huis clos total (lors de la réception de l’OL).
« Il faut à chaque fois essayer de trouver avec le coach les leviers psychologiques pour aborder le match comme une nouvelle possibilité d’arrêter la spirale, poursuit Dossevi, dont le frère Thomas a d’ailleurs porté les couleurs nantaises. Le seul problème c’est que dans ces moments-là, on joue un peu avec le frein. Donc tu donnes des munitions à ton adversaire, qui le ressent. Et dans ces moments-là, la réussite tourne toujours du mauvais côté, et c’est juste logique car tu es dans la restriction, la timidité, tu n’oses pas car tu as peur de faire encore une erreur. »
Selon Quignon-Fleuret, « dans tout ce qui touche à la conscience, que ce soit la conscience collective ou la conscience individuelle, il y a beaucoup de choses cycliques. On se persuade qu’on est invincible, ou on se persuade que ça va être très difficile de gagner, par exemple. Des résultats négatifs vont venir conforter ces croyances négatives : qu’on n’est pas assez bon, qu’on n’est pas assez fort, voire qu’on est malchanceux ou qu’on est maudit. On est à cheval entre le réel et le fantasmé. » La logique voudrait que les compteurs soient remis à zéro, puisqu’un été est passé et que les Eray Cömert, Moussa Sissoko et Kader Bamba ont laissé place à des Johann Lepenant ou Sorba Thomas. Mais l’effectif n’a, foncièrement, pas tant bougé que ça.
Et si ce blocage à domicile était encore plus profond que ça ? La peur d’être chez soi est une vraie phobie, et porte même un nom : l’oïcophobie, ou écophobie. Sur son site internet vaincre-phobie.com, le psychologue clinicien Abdelkader Mokeddem, spécialiste des thérapies comportementales et cognitives, en donne les contours : « La phobie peut apparaître au cours de la vie d’un individu sans motif particulier ou après un évènement particulier (chômage, cambriolage, dépression). […] Le patient se trouve parfois ridicule, son estime de lui est fortement diminuée. Il ose rarement en parler ouvertement et lorsqu’il le fait, cela suscite au mieux de l’incompréhension, au pire de la moquerie. Rares sont les gens qui prennent cette phobie au sérieux. D’autant qu’elle est souvent confondue, à tort, avec les peurs infantiles. Le phobique a parfaitement conscience du caractère irrationnel, excessif et irraisonné de sa peur. Malgré cela, et plusieurs tentatives pour venir à bout de son problème, la phobie reste bien présente. »
Alors comment y remédier ? « Un bref détour par la biographie du patient est parfois nécessaire, sans pour autant faire une psychanalyse, prescrit Abdelkader Mokeddem. Des stratégies cognitivo-comportementales (questionnement, expositions) sont d’une grande efficacité, des techniques complémentaires telles que la relaxation peuvent être utiles lorsque la personne présente des crises de panique avec hyperventilation. » Pas sûr que Kombouaré aille jusque là, d’autant qu’il lâchait il y a trois mois, fidèle à lui-même : « Si on perd tous nos matchs à domicile mais qu’on se maintient tous les ans, je signe ! Vous pouvez remporter un paquet de matchs à domicile et vous retrouver en L2. L’objectif, c’est se maintenir. La manière, c’est important, mais ce qui est surtout important, c’est le résultat. »
Par Jérémie Baron
Propos de Cédric Quignon-Fleuret et Matthieu Dossevi recueillis par JB