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« Le départ de Kita vaudrait toutes les Coupes de France »
Si le FC Nantes vise une deuxième Coupe de France d'affilée, de nombreux supporters des Jaune et Vert sont habités par deux sentiments contraires : vibrer pour leur club de cœur et rejeter ce qu'il représente sous Waldemar Kita. Une ambivalence parfois difficile, voire impossible à gérer.
Comme au printemps dernier, une marée jaune et vert est attendue dans la capitale et à Saint-Denis, samedi, avec la possibilité de voir le FC Nantes réaliser un nouveau doublé en ravissant une cinquième Coupe de France. Depuis le début de semaine, les supporters comptent les jours, les heures et s’imaginent un tas de scénarios, en attendant le grand soir. Ce n’est pas le cas de Romain, 28 ans, un amoureux des Canaris qui n’a plus mis les pieds à la Beaujoire depuis mars 2020, juste avant le confinement, et qui n’était pas non plus de la partie l’année dernière pour la finale remportée contre Nice. « J’ai toujours dit dans ma vie que la première fois que je mettrais un pied au Stade de France, ce serait pour le FC Nantes, mais c’était avant que je bascule dans un extrémisme total », assume-t-il, bien conscient de représenter une infime minorité des fans nantais. Samedi soir, il sera pour une victoire de Toulouse, un club qui lui est « sympathique depuis que Comolli est arrivé ».
Il sait en rire, mais le sujet le touche. Romain ne parvient plus à faire abstraction de la direction prise par son club depuis le rachat par Waldemar Kita, en août 2007. « Quand je regarde un match, pour moi ce n’est pas le FC Nantes qui joue et je ne veux pas voir ce club réussir. J’aimerais pouvoir mettre ma haine des Kita de côté, mais je n’y arrive pas, souffle-t-il. Ce qui m’a un peu énervé, c’est que tout le monde disait que c’était le FC Kita en 2020, et comme par magie, c’est redevenu le FC Nantes l’année dernière. Il faut choisir son camp, ce n’est pas à géométrie variable. Même si je pense que beaucoup le vivent avec une forme de schizophrénie : ils sont contents quand Nantes gagne, mais ils se rappellent que les Kita sont là ensuite. »
C’est toute l’ambivalence qui règne chez les supporters nantais, partagés entre leur passion originelle pour leur club et le rejet du dirigeant franco-polonais. « C’est vrai qu’il y a un côté schizophrène », acquiesce Yoann, 25 ans, pour qui « le boycott n’est pas utile », le stade étant le bon endroit pour faire passer des messages. Ils devraient être près de 30 000 supporters à garnir les tribunes de l’enceinte dyonisienne contre Toulouse, à l’instar de Julien, 49 piges : « Je vais prendre ma voiture, dépenser de l’argent et poser mon week-end pour ça. Kita, je m’en bats les roustons. C’est mon club, quoi. » Lui n’est pas non plus un grand fan du président nantais qu’il décrit comme « un arrogant ». L’âge aide aussi à prendre du recul, comme l’explique Stéphan, 50 printemps, né à Nantes et attaché à un club qu’il n’a jamais quitté, même s’il a grandi en région parisienne. « Quand je veux être moins passionné, je me rends compte que je n’y arrive pas, assure-t-il. Il y a eu une période où j’étais vraiment haineux avec Kita. Et je reste radicalement contre ce qu’ils ont fait et ce qu’ils font. »
Ego, sono et déconnexion
La colère a eu le temps de monter en seize ans de présidence, entre les crises sportives, symbolisées par la relégation en Ligue 2 (2009) ou encore le barrage remporté in extremis contre… Toulouse, en 2021, et les nombreuses casseroles trimballées par l’homme d’affaires. « Quand tu es jeune, tu ne réfléchis pas trop à ce qui se passe en coulisses. Quand j’ai commencé à me renseigner et à comprendre, j’ai été dégoûté », peste Romain, qui confie ne plus avoir vibré pour son club au stade depuis la défaite à Rennes en janvier 2020, « une émotion négative, mais une émotion quand même ». Il faut se lever de bonne heure pour trouver un fan de Kita parmi les aficionados nantais, tous ont leurs griefs contre le propriétaire du club : sa proximité avec Mogi Bayat, ses transferts foireux, sa collection d’entraîneurs, la venue de Raymond Domenech ou sa communication lunaire, comme lorsqu’il a convoqué une conférence de presse à la Jonelière l’année dernière au lendemain de la finale, pendant que Nicolas Pallois et ses copains étaient célébrés en ville.
🏆#CoupeDeFrance #FCNOL 🎙 Waldemar Kita : "J'essaie de faire abstraction d'une certaine stupidité, beaucoup de personnes nous mettent des bâtons dans les roues !" pic.twitter.com/GAflx2mxqj
— beIN SPORTS (@beinsports_FR) April 6, 2023
Il a d’ailleurs récidivé après la demi-finale gagnée contre Lyon. « Quand on sort du stade et qu’on lit sa réaction sur le téléphone, ça fait un tout petit peu redescendre les émotions et on se dit que ça ne changera jamais », déplore Yoann. Les anecdotes sont nombreuses, les souvenirs négatifs aussi, des sorties médiatiques au manque de classe du dirigeant. Julien se souvient de cette soirée d’adieu de Michel Der Zakarian en 2016, quand Kita avait fait augmenter la sono au maximum au moment où le coach s’apprêtait à dire quelques mots au public. « Qu’est-ce que tu veux faire ? C’est lui qui décide de toute façon », se lasse le quadragénaire. Stéphan, lui, n’a pas digéré le changement de logo en 2019, par exemple : « Je suis désormais incapable d’acheter quoi que ce soit, maillot ou autres, avec ce logo. » Une déconnexion totale avec l’environnement nantais et un mariage qui n’a jamais vraiment été heureux. « Il a acheté le club parce que c’est un homme d’affaires et qu’il aime avoir les projecteurs sur lui, ça aurait tout aussi bien pu être Toulouse, analyse Julien. Il a saisi une occasion, mais il n’en a rien à carrer de cette ville, il n’a rien à avoir avec Nantes. »
Le pont Kombouaré et l’espoir du Collectif nantais
« Le FC Nantes a perdu son identité », aime rappeler à travers des banderoles la Brigade Loire, qui nous a indiqué que le groupe avait décidé de ne donner suite à « aucune sollicitation médiatique dans le cadre de la finale ». L’ère Kita marque une rupture avec le glorieux passé nantais, transmis par les anciens aux plus jeunes. « Je n’ai jamais vraiment connu le vrai FCN, soupire Romain. Mon père me racontait la demie de Ligue des champions le dimanche, et le lundi, j’étais au stade pour un Nantes-Boulogne-sur-Mer. J’ai passé beaucoup de temps sur le site Footballia pour retrouver des vieux matchs, je me régalais. » En ce sens, l’arrivée d’Antoine Kombouaré sur le banc nantais pour succéder à Domenech en 2021 s’est présentée comme une belle opportunité de faire un lien avec le passé. Le technicien qui a porté la tunique jaune et vert entre 1983 et 1990 est, pour certains, un pont entre le FC Nantes d’avant et celui d’aujourd’hui. Un repère commun. « Ça change des choses, il a une légitimité parce qu’il fait partie de l’histoire du club, confirme Stéphan. Il a un lien avec Suaudeau, il a réussi à ramener un peu ce qu’est la base du FC Nantes, avec certaines valeurs, même si je ne valide pas forcément le jeu qu’il prône. En tout cas, Kita ne supporte pas tout ce qui est lié au passé, il est l’antithèse de ce que les gens ont aimé. »
Les noms de Raynald Denoueix et de Coco Suaudeau reviennent bien sûr chez ceux qui ont connu la belle époque. « On se rattache aussi à des jeunes, à la formation, même s’ils jouent moins, ajoute Yoann, qui vit à Saint-Nazaire, à moins d’une heure de Nantes. Quentin Merlin vient de Pornic, par exemple. Le Collectif nantais, c’est aussi très important, ça prouve que des anciens sont prêts à faire quelque chose pour le club. » Cette SAS née à l’été 2021 et portée notamment par Mickaël Landreau, entre autres, est destinée à recevoir de l’argent de souscripteurs attachés à la région nantaise, avec l’ambition à peine cachée de réunir suffisamment de fonds pour racheter le club à Waldemar Kita. Plusieurs anciens joueurs, comme Nicolas Ouédec ou Christophe Pignol, ont mis la main à la poche, alors que le Collectif a levé environ 8 millions d’euros pour le moment. Derrière l’espoir, il reste des interrogations posées par Stéphan : « Le Collectif nantais me parle plus, c’est sûr. Mais est-ce que ce n’est pas quelque chose d’utopique ? » Réponse de Julien, très pragmatique : « Il y a une réalité économique derrière. Le projet sur le papier est beau, mais un club de foot, ça reste une entreprise à faire fonctionner. Je ne sais pas du tout ce que ça peut donner. »
« Un jour, il ne sera plus là »
Il faudra donc faire avec Waldemar Kita pour encore quelque temps, même si Yoann estime que le départ du Franco-Polonais « vaudrait toutes les Coupes de France ». Le supporter de 25 ans espère même que les Jaune et Vert profiteront de leur nouvelle virée au Stade de France pour poursuivre la contestation. « Il ne faut pas abandonner, sinon ça veut dire qu’on a perdu. Samedi, il y aura peut-être des moments pour rappeler qu’on ne veut pas de cette direction et ça peut passer par des chants, d’autant plus que ce sera sur une chaîne publique », détaille-t-il. Romain suivra peut-être la partie d’un œil ou d’un peu plus, lui qui aime désormais aller voir les matchs des clubs de district du coin et ne se force plus à regarder en entier les rencontres de son club de cœur. « Je pense qu‘il n’en a plus rien à faire, juge-t-il. Ça fait quinze ans qu‘il se fait insulter tous les week-ends, ça doit lui passer au-dessus maintenant. »
Plus radical encore, il espère une relégation en Ligue 2 en fin de saison pour « voir ce que ça donnerait ». Pour lui, Kita « lâcherait l’affaire » en cas de descente à l’étage inférieur. « Après, si c’est pour rester avec Kita en Ligue 2…, admet-il. Ce mec est tellement imprévisible que personne ne peut savoir ce qui se passe dans sa tête. » Pour une majorité, le jeu n’en vaut pas la chandelle, et le risque est trop grand, au point que le maintien devient plus important qu’un trophée. « Attention, c’est dangereux une descente, tu peux déposer le bilan et finir en National, il faut être au courant des réalités, prévient Julien. Personne ne l’aime, Kita, mais il ne veut pas être aimé. On a connu Gripond, Dassault et la Socpress, ils sont tous partis et on est encore là. Ma passion ne sera jamais éteinte, la flamme sera toujours là. Les hommes passeront, et les supporters resteront. Un jour, il ne sera plus là, et je serai encore là. » Ce jour-là, Romain acceptera peut-être de remettre les pieds au stade pour un match des Canaris, mais ce ne sera pas demain, même s’il y a une Coupe de France à gagner contre Toulouse. Ce serait la 5e pour le FC Nantes, ou bien la 2e pour le FC Kita, c’est au choix.
Par Clément Gavard
Tous propos recueillis par CG