- France – Ligue 1 – 25e journée – Lorient/Toulouse
FC Gourcuff : stop ou encore ?
Le contrat de Christian Gourcuff à Lorient se termine en juin et n’a toujours pas été prolongé. Son président Loïc Féry annonce que les discussions avancent plutôt sereinement, ce que ne confirme pas vraiment le principal intéressé. La cause du conflit entre les deux : une divergence de vue entre l’avenir du club en particulier et du football en général. Décryptage.
Cette saison, Christian Gourcuff est du genre bougon. Précision : encore plus bougon que d’habitude. Pas vraiment porté sur les sourires, les accolades et la jovialité, l’ancien prof de math n’a que très peu goûté de voir filer le jeune milieu Mario Lemina à Marseille, dans les derniers instants du mercato estival début septembre. Il avait dans l’idée de construire son entrejeu autour du champion du monde U20. Symboliquement, ce dernier constituait en plus la plus belle réussite du moment de la formation à la lorientaise, alors que le club venait d’ouvrir son nouvel Espace FCL, offrant enfin au staff, joueurs et aspirants Merlus des structures dignes d’un club de L1. « Écœuré » par cette vente conclue dans son dos et sans son accord, Gourcuff senior n’avait pas hésité à sortir les flingues, exprimant clairement son désaccord avec la politique de son président Loïc Féry. « C’est mon devoir de m’exprimer, avait-il estimé. Par rapport à la communication faite au club, je tombe des nues quand on me dit qu’il faut absolument vendre un joueur. Ce transfert est une erreur à tous points de vue : sur le plan sportif, sur le plan de l’image, sur le plan financier. (…) Le football autrement (le slogan affiché par le club) a pris un coup. Un club de foot n’est pas qu’une entreprise financière. Il y a autre chose. À Lorient, on affichait la volonté d’être différents. On n’est pas différents. Ce transfert, c’est juste du business. Je veux que les gens sachent que je ne suis pas complice de cette décision. Je me désolidarise complètement. »
Avant Lemina, Mvuemba et Romao
Des propos très forts et inhabituels de la part d’un entraîneur. Sauf qu’à Lorient, Christian Gourcuff n’est pas qu’un simple entraîneur. C’est une institution. Il fait partie des meubles. Arrivé chez les Merlus comme entraîneur-joueur en 1982 alors que les Morbihannais évoluaient en DH, il est celui qui a fait remonter le club en D2 en 1985, puis qui l’a fait accéder pour la première fois en élite en 1998, avant de l’y faire remonter en 2006 et de le stabiliser à ce niveau. Le druide est depuis devenu une sorte de légende vivante en Bretagne-Sud, un intouchable faiseur de miracles, avec son fidèle 4-4-2, ses méthodes d’entraînement façon cours de lycée et le jeu offensif tout en mouvements de ses équipes, malgré un renouvellement conséquent et régulier des joueurs. Toujours il s’en est accommodé, même s’il avait déjà rechigné précédemment à perdre pareillement dans les derniers instants du mercato Arnold Mvuemba en septembre 2012, puis Alaixys Romao en janvier 2013. Deux fois des pièces maîtresses du secteur clé de l’entrejeu. Le troisième, Lemina, a été la goutte d’eau, alors il a gueulé.
Sauf que le boss, ce n’est pas lui, mais Loïc Féry. Et ce dernier n’a pas attendu longtemps pour recadrer sèchement son subordonné. « Je respecte totalement sa déception, légitime, avait-il réagi dès le lendemain de la sortie de Gourcuff. Par contre, il me semble qu’il est aussi de la responsabilité de tous les employés du club de protéger en toute circonstance l’institution FC Lorient, que Christian Gourcuff a tant contribué à développer. J’aurais donc souhaité que Christian Gourcuff ne réagisse pas publiquement comme il l’a fait, car il a mis sur la place publique des considérations internes à l’entreprise FC Lorient. » Et vlan ! Féry a beau avoir 19 ans de moins que le technicien breton et une légitimité historique bien plus récente au sein des Merlus, il n’est pas question pour lui de se laisser faire. Diplômé d’HEC ayant fait fortune dans la finance à Londres, il est rodé aux coups de pression et aux situations de crise et n’a aucune intention de se laisser contester son pouvoir au FCL, acquis lors de la reprise du club en 2009. Le 17 octobre, Féry en remet une couche dans les colonnes d’Ouest-France. « Quand je suis arrivé, expliquait-il lors de l’interview au quotidien régional, Christian Gourcuff avait indiqué son souhait de partir. Je lui ai offert un contrat de quatre ans et demi, une durée assez inédite dans le foot. (…) Au-delà du soldat Gourcuff, il y a l’entreprise FCL. L’intérêt général prédomine sur l’intérêt personnel. »
Gourcuff a le soutien des sponsors
Manière de dire : coco, t’es bien gentil, mais le club, c’est moi qui l’ai repris. Avec mes sous, et en t’offrant des conditions de travail qui ne te donnent pas tellement le droit de faire du boudin. Et quelque part, il a raison. Depuis qu’il a signé il y a 4 ans et demi un chèque de 15 millions d’euros pour acquérir le FC Lorient, le club a grandi et s’est stabilisé en élite. Grâce à son pouvoir financier, son bagout et son carnet d’adresses, il a obtenu le soutien des élus locaux pour faire définitivement entrer les Merlus dans l’ère du professionnalisme, en modernisant le stade et en offrant aux sections sportives des conditions d’entraînement autrement plus belles et sérieuses qu’avant son arrivée. « Le club est bénéficiaire depuis quatre ans, j’en ai changé le modèle économique » , peut-il s’enorgueillir dans un entretien accordé auxÉchos en juillet dernier. Le caricaturer en un vilain trader londonien venu mettre à sac le joli édifice breton de Saint Christian Gourcuff, c’est un peu trop facile. Chacune des deux parties aujourd’hui en froid a ses qualités et ses défauts. Féry apparaît comme un bon businessman aux méthodes managériales quelque peu brutales, quand la formidable machine à faire jouer qu’est Gourcuff se montre depuis cet été sous un jour un peu moche de garçon vexé de se voir cantonné à sa condition d’entraîneur-employé. Il peut se sentir en position de force, ayant le soutien des principaux sponsors du club (dont le partenaire maillot Armor Lux, attaché au technicien pur beurre salé qui colle si bien à l’image de l’entreprise) et d’une bonne partie des supporters (une pétition de soutien circule depuis quelques semaines).
Dans son édition du 23 décembre, Le Télégramme titrait d’une Une sans équivoque : « Gourcuff, une page se tourne » , laissant croire qu’il n’allait pas prolonger son contrat. Information immédiatement démentie par Loïc Féry, qui répondait que les discussions « interviendront dans le courant du premier trimestre 2014, conformément aux échéances prévues » . Ce à quoi Gourcuff avait répondu sur C+ Sport : « Il n’y a pas de raison que je parte si je peux continuer à travailler dans les mêmes conditions. » En gros, il veut garder les pleins pouvoirs sur le sportif et c’est sur ce point que ça semble toujours coincer en ce début d’année 2014, avec une partie de poker menteur qui se joue depuis quelques semaines dans la presse. Le 26 janvier, Féry réaffirmait, toujours dans Ouest-France, son souhait de continuer avec le même entraîneur, ajoutant : « Mais nous devons nous mettre d’accord sur des principes de fonctionnement. (…) Ce qui compte, c’est l’intérêt suprême du club. Il y a plein d’entreprises où les gens travaillent très bien, sans passer leurs vacances ensemble. » Gourcuff le lendemain : « Je n’ai pas vu Loïc Féry depuis le match de Rennes(2-0, le 7 décembre) et je ne l’ai pas eu au téléphone non plus. » C’est le bras droit de l’homme d’affaires, Arnaud Tanguy, qui est missionné pour qu’une prolongation soit enfin signée. Y parviendra-t-il ? Le suspense reste pour l’instant toujours entier.
Par Régis Delanoë