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FC Dordrecht : les têtes de moutons (presque) à l’abattoir
C'est officiel : le FC Dordrecht vient de remporter le bonnet d'âne des championnats européens avec seulement 7 points engrangés jusqu'ici en Eredivisie. Entre budget rikiki, recrutement risqué et système de play-off ouvert, explication du fail de ce gentil petit « club de campagne ».
Dordrecht. Un peu moins de 120 000 habitants pendus au bras du Wahal, à vingt kilomètres de Rotterdam, qui s’agitent surtout en période de fin d’année pour le marché de Noël, soi-disant le meilleur des Pays-Bas. En Eredivisie, les équipes n’ont pourtant pas attendu les premiers froids pour venir faire des emplettes au GN Bouw Stadion, où évolue le promu FC Dordrecht. Depuis août, les équipes visiteuses ont pris l’habitude de ne pas s’essuyer avant d’entrer, préférant le faire sur le onze des Schapenkoppen (les « têtes de moutons » en néerlandais) pendant 90 minutes. En 17 matchs, l’équipe d’Ernie Brandts n’est parvenue à engranger que sept points : une victoire, quatre nuls, douze défaites ; 42 buts encaissés pour un goal average de -30. Forcément, le club est lanterne rouge d’Eredivisie. D’Europe, aussi, battu d’une courte tête par Parme et sa victoire face à la Fiorentina récemment (9 points ex-aequo avec Cesena).
Il est bien loin le temps où le directeur sportif du club, Marco Boogers, se répandait dans la presse néerlandaise sur les velléités offensives du club de Hollande-Méridionale, qui avait terminé la saison dernière meilleure attaque d’Eerste Divisie : « Le plus important, c’est la façon de jouer. C’est le seul moyen de nous maintenir. Nous allons jouer un football offensif, avec trois attaquants. » Si les choses n’avaient pas trop mal débuté pour le promu cet été avec 4 points engrangés lors des trois premières journées et une victoire lors de la première journée sur le SC Heerenveen, elles se sont bien gâtées par la suite. Depuis cette victoire face à Heerenveen, le FC Dordrecht n’a plus gagné le moindre match en Eredivisie et a enchaîné les branlées face au Vitesse Arnhem (2-6), à Willem II, à l’Ajax ou à Twente (4-0 à chaque fois). Une série de neuf défaites consécutives stoppée lors de la 16e journée et un match nul face au Heracles Almelo, candidat direct aux play-offs de maintien.
Budget de National et coup mercato sorti de sa retraite
Cette chute abyssale s’explique en plusieurs points. D’abord, le club a perdu celui qui l’a fait remonter dans l’élite néerlandaise pour la cinquième fois de son histoire seulement : Harry van den Ham, parti garnir le staff du FC Utrecht à l’intersaison. Ensuite, le FC Dordrecht a vu son effectif considérablement bousculé : pas moins de sept joueurs ont été recrutés l’été dernier, la majorité en prêt (Joris van Overeem de l’AZ, Ricky van Haaren de l’ADO Den Haag, Rick ten Voorde de Paderborn). Tous jeunes. Tous inexpérimentés au plus haut niveau. Mart Lieder, attaquant gratté au RKC Waalwijk, fait figure de grand frère avec ses 33 matchs d’Eredivisie avant son arrivée. Sauf qu’il n’a planté que six buts dans toute sa carrière, dont deux pour le FC Dordrecht… Si le mercato manque de sexyness, c’est avant tout parce qu’il faut faire avec les moyens du bord dans ce « club de campagne » comme le veut l’expression ici, plus connu pour avoir accueilli en son sein Johan Cruijff pour trois matchs amicaux en 1981 que pour son palmarès fleuri.
Plus petit budget d’Eredivisie cette année, les Schapenkoppen doivent faire avec 4 millions d’euros quand celui de l’Ajax ou du PSV est quinze fois plus important. À titre de comparaison, le plus petit budget de Ligue 2, le GFC Ajaccio, émarge à 4,5 millions d’euros. Le club a toutefois tenté un « coup » mercato il y a quelques jours en sortant de sa retraite Andwélé Slory, ancien espoir batave sélectionné avec les Oranje à deux reprises en 2007, seulement âgé de trente-deux ans. Un homme en pleine rédemption après avoir joué les fortes têtes à Feyenoord et s’être fini péniblement en Australie. Un recrutement qu’un sage Ernie Brandts synthétise à sa manière : « Nous avons un budget serré, et les joueurs ne doivent rien coûter au club. Donc tu as deux possibilités : soit tu écoutes les histoires qu’on raconte à droite à gauche, soit tu donnes une seconde chance. On a opté pour la deuxième possibilité. » Le pire, dans cette histoire, est que le club néerlandais a presque doublé son budget par rapport à la saison dernière (2,2 millions d’euros). Ajoutez à ça une masse salariale qui ne doit pas dépasser le million par an, un stade qui excède à peine les 4000 spectateurs (un nouveau stade est en construction pour la saison 2016-17) et vous vous retrouvez avec une partie de Football Manager extrêmement compliquée.
Du café pour les bizuts d’Eredivisie
Ceci étant, la situation du FC Dordrecht fait plus figure de cas d’école que d’exception dans le football néerlandais. Presque chaque saison, un club devient le souffre-douleur des autres en Eredivisie. Sur les dix dernières années, de nombreux clubs sont partis en vacances d’été avec moins de 20 points dans les valises : 19 points pour l’Excelsior Rotterdam en 2011-12, 15 points pour Willem II en 2010-11, 15 points pour le RKC Waalwijk en 2009-10, 17 points pour le ADO Den Haag en 2006-07. Mentions exceptionnelles pour les saisons 2004-05, durant laquelle De Graafschap et Den Bosch finiront tous deux avec 19 points, et 2005-06 qui verra le RBC Roosendaal établir le record toujours en cours de 9 points glanés en 34 journées.
Si les équipes descendent avec pertes et fracas, le problème est surtout structurel. Chaque saison, les relégués et promus s’affrontent en play-offs. Et s’ils sont seulement trois à risquer de descendre en Eerste Divisie, ils sont en revanche huit à pouvoir monter en Eredivisie, dans une série de trois matchs à élimination directe. De fait, la compétitivité est extrêmement forte entre gens de deuxième division, mais un gouffre se crée avec la première division. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir les équipes d’Eerste Divisie faire le yo-yo d’année en année. Pour l’instant, le FC Dordrecht est bien installé dans son fauteuil de lanterne rouge et, pour grappiller les six points qui le séparent actuellement de la zone de confort play-off, il va devoir sortir le bleu de chauffe. En attendant, Marco Boogers parle de « dévotion comme acquis du club » à ses joueurs tandis que le public déguste du café, offert gracieusement par le club dans les travées, aux locaux comme aux visiteurs. Ce n’est pas du vin chaud, mais bon, ce n’est pas Noël tous les jours à Dordrecht.
Par Matthieu Rostac