- Euro 2024 – Allemagne
FC Bundestag : Députés et des Hommes
Alors que l’Assemblée nationale française a fêté les dix ans de la création de son équipe de foot, les députés allemands disposent de leur propre club depuis presque six décennies. De quoi appuyer la maxime en vogue outre-Rhin, selon laquelle « le football est la chose secondaire la plus importante au monde ». Et ce, même si la victoire est rarement au rendez-vous.
Mardi 18h : au stade olympique de Berlin, l’arbitre vient de donner le coup d’envoi du match entre l’Autriche et les Pays-Bas, tandis qu’à 500 kilomètres de là, c’est la rencontre entre la France et la Pologne qui vient de démarrer à Dortmund. Mais à ces deux joutes cruciales pour le dénouement du groupe D, il faut en ajouter une troisième qui, elle, compte pour rien, si ce n’est mettre en lumière le fait que onze millions d’Allemands sont atteints de diabète et que chaque minute, un nouveau cas est détecté de ce côté-ci du Rhin, ce qui représente près de 600 000 personnes. C’est énorme et c’est la raison même pour laquelle le FC Diabétologie existe. En ce mardi ensoleillé, cette équipe de charité entraînée par le légendaire Christoph Daum – absent en raison d’un « empêchement de dernière minute », mais qui transmet malgré tout « ses meilleures salutations » – affronte un autre XI pas comme les autres : celui des députés allemands, plus connu sous le nom de FC Bundestag.
Tuer l’ennui et garder la forme
Dans la foulée de leur journée de travail, les Mitglieder des Bundestags (MdB) débarquent en bus et en tenue au Friedrich-Ludwig-Jahn-Sportpark, un complexe sportif du centre de la capitale allemande où ils évoluent sur un terrain annexe lors de chacune de leurs rencontres, des déplacements en province étant trop compliqués à organiser en raison de leurs agendas respectifs, au même titre qu’une séance d’entraînement hebdomadaire. Cependant, jouer à domicile n’est pas forcément toujours un avantage. Alors que les pensionnaires du FC Diabétologie (composé tant d’anciens pros que de médecins et de diabétiques) tapent le cuir et des sprints depuis plus d’une demi-heure, leurs adversaires du Parlement n’ont qu’une dizaine de minutes pour s’échauffer avant que l’arbitre ne lance les hostilités. Ce mardi-là, ils ne sont que sept, des collaborateurs parlementaires se chargeant de faire le nombre. « Au total, le FC Bundestag compte environ 90 membres, mais les deux tiers d’entre eux sont passifs », explique Philipp Kahlert, assistant du capitaine Mahmut Özdemir, député SPD (socio-démocrate) de Duisbourg. « En gros, cela signifie qu’ils payent leur cotisation annuelle [à hauteur d’une vingtaine d’euros, NDLR] qui aide à couvrir les frais de fonctionnement du club. » Lequel dispute 20 à 30 matchs chaque saison, entre mars et novembre, contre des équipes porteuses de projets sociaux donc, mais aussi des sélections des circonscriptions que représentent les députés, sans oublier d’autres parlementaires, institutions et la presse.
C’est d’ailleurs contre une sélection de l’audiovisuel public qu’un XI de députés, qui ne s’appelait pas encore FC Bundestag, a disputé (et remporté) en 1961 son tout premier match à Bonn, alors capitale de la RFA. Six ans plus tard, le club est officiellement fondé sous sa forme actuelle et perçu comme une bulle d’air en dehors de l’hémicycle, le député Adolf Müller-Emmert (SPD) estimant alors qu’« hormis le football, il n’y a quasiment rien à Bonn qui ne nous apporte de la joie ». Depuis, la philosophie n’a pas vraiment changé, malgré le déménagement du Bundestag de Bonn à Berlin après la réunification allemande : « En dehors du plaisir de jouer, cela permet de garder la ligne ! C’est aussi un bon moyen de dépasser les clivages politiques entre partis et donc un signal positif envoyé vers l’extérieur », confie le socio-démocrate Erik von Malottki, représentant de Neubrandenburg, dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale, au nord-est du pays. « Moi par exemple, je suis à l’aile gauche du SPD, mais je joue avec Oliver Luksic, un membre du FDP de tendance néolibérale. Et je me réjouis quand il marque un but comme lui se réjouit quand je bloque un attaquant adverse avec un tacle. » Au même titre que ses petits camarades, Von Malottki a pris sa carte de membre du club il y a trois ans, au début de la mandature en cours, avant de devenir joueur à part entière. « C’est aussi simple que ça de représenter le FC Bundestag ! », sourit ce défenseur central dont le physique de colosse est contrebalancé par de soyeuses bouclettes grisonnantes qui volent au vent quand il effectue un repli défensif.
Bien choisir sa carte à jouer
Simple, certes, mais des conditions existent malgré tout. Ainsi, les membres du FC Bundestag sont-ils tenus de signer une charte d’adhésion aux valeurs du club, lequel se positionne clairement « contre toute forme de nationalisme, de racisme, d’antisémitisme et de xénophobie ». Le hic, c’est que les élections fédérales de 2021 ont envoyé au Bundestag 83 représentants du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD), une formation qui a fait les gros titres il y a quelques mois à la suite des révélations du média d’investigation Correctiv quant à la tenue de réunions secrètes ayant pour thème un projet de « remigration » vers l’Afrique du Nord, destiné à des migrants, des demandeurs d’asile et des Allemands d’origine étrangère. « Ça pose forcément un problème, ne serait-ce que vis-à-vis des coéquipiers qui sont eux-mêmes d’origine étrangère », souffle Erik von Malottki.
Dont acte : fin mars, le FC Bundestag tient son assemblée générale et vote un « principe de non-compatibilité » entre le fait de posséder une carte de membre du club et une autre de l’AfD. « Nous estimons que, dans le contexte actuel, l’AfD s’est grandement radicalisée et, pour dire les choses clairement, nous ne voulons pas jouer au foot avec des nazis », résume ainsi Philipp Kahlert, qui assure toutefois que les trois joueurs membres du parti que compte le club ont eux aussi signé la charte et n’appartiennent pas à la branche la plus extrême de l’AfD. « Cependant, nous considérons qu’en faire partie revient à cautionner l’image qu’il renvoie. »
En parallèle, certains adversaires, en particulier ceux porteurs de projets liés à l’intégration, auraient manifesté leur gêne, voire un refus catégorique, à l’idée de jouer contre des députés d’extrême droite. Le capitaine Mahmut Özdemir a quant à lui déclaré que les trois députés de l’AfD étaient libres de choisir l’adhésion qui leur semblait la plus importante. Évidemment, aucun d’entre eux n’a fait le choix du foot et, après avoir dénoncé dans un communiqué « l’instrumentalisation politique du FC Bundestag par les verts et les socio-démocrates », la formation qui a obtenu 15% des suffrages exprimés aux dernières élections européennes a porté plainte devant les tribunaux face à la décision de laisser – littéralement – ses membres sur le bord de la touche. En attendant que la justice ne tranche sur sa légalité, l’ambiance est loin d’être funky. Ainsi, lors d’une compétition annuelle entre parlementaires allemands, autrichiens, suisses et finlandais, un seul membre de l’AfD était du voyage – comme l’autorisent les statuts des déplacements professionnels –, mais n’a pas disputé la moindre minute de ce tournoi lors duquel le FC Bundestag, alors entraîné par Felix Magath, a terminé à la troisième place.
Après deux mi-temps de 30 minutes à sens unique, les députés repartent la queue entre les jambes : le FC Diabétologie lui a collé un sévère 4-1 dans la tronche. La soirée se poursuit par une rencontre-débat autour de la maladie, après quoi les adversaires du jour assisteront, à huis clos, aux deux purges offertes par les matchs Angleterre-Slovénie et Danemark-Serbie. Ne restent qu’un tournoi caritatif organisé par l’Union Berlin et une rencontre face au personnel de l’ambassade de France, après quoi les représentants du peuple allemand pourront goûter à deux mois de congés. L’occasion de s’entraîner avant la suite de la saison et d’en faire oublier la très décevante première partie (une victoire en douze matchs). Pour ce qui est d’une éventuelle prolongation de contrat, il suffira simplement de se faire réélire au Bundestag lors des prochaines élections fédérales, prévues en septembre 2025.
Par Julien Duez, à Berlin
Photos : JD