- Culture foot
- Rap
Fayçal : « Sur le terrain, je suis tout sauf littéraire »
Avant de jouer avec les allitérations et les syllepses sur des prods de Yepes et Rekoba, Fayçal a traîné son petit gabarit sur les terrains de Gironde, et dans les tribunes du stade Chaban-Delmas. Entretien avec un lyriciste qui a déjà affronté Jean-Pierre Papin.
Depuis ton premier album Murmures d’un silence en 2006, difficile de passer à côté de tes références footballistiques. Quel a été ton premier lien avec le foot ? C’est mon père qui m’y a mis, sans que j’ai trop le choix, car il aimait beaucoup le foot ! J’ai commencé au FC Estuaire, un club familial où il a joué et s’est investi en tant que bénévole. J’étais gardien jusqu’à 12-13 ans, puis je suis passé devant, et c’est sans doute parce que j’ai été dans les cages que j’ai commencé à marquer des buts. Après ça, j’ai quasiment joué tout le temps neuf, une quinzaine de saisons, de la Promotion de Ligue à la Régional 1, l’équivalent de la DH.
À 37 ans, tu joues encore ?Quand j’ai le temps, mais beaucoup moins maintenant, à Ambarès, un club en périphérie de Bordeaux dans lequel j’entraîne surtout les jeunes.
Entraîner des jeunes, c’est un truc auquel tu aspirais depuis longtemps ?Je travaillais beaucoup avec les jeunes dans les centres sociaux ou des collèges, et entraîner, c’est quelque chose qui est arrivé naturellement, mais relativement tard. C’est aussi un truc de famille, car mon père a été mon premier entraîneur. Il disait souvent que le foot est une école de la vie.
Tu regardais aussi le foot à la télé ?Totalement. Mon premier souvenir d’un match à la télé, c’est Angleterre-Cameroun en quarts de finale de la Coupe du monde 1990. Mon père était à fond dans le match, car c’était une équipe africaine qui affrontait les Anglais. Après, il y a Bordeaux, car mon père était supporter des Girondins. Il nous emmenait au stade, nous a poussés à suivre l’équipe. Puis j’ai commencé à suivre Liverpool après sa victoire contre Alavés jusqu’à aujourd’hui.
Comment as-tu vécu les deux titres de champion de France en tant que Bordelais ?Le premier, avec Feindouno, Benarbia, Laslandes, Wiltord, j’étais un peu jeune. Puis après, il y a eu la période du titre avec le duo Gourcuff-Chamakh. Là, ça m’a plus touché, car j’étais plus adulte et je comprenais plus de choses au football. C’était une vraie belle époque.
Plus que ces dernières années…C’est vrai. Après, c’est surtout une question de direction. Il est là le problème, et de ce point de vue, je suis complètement du côté des supporters. C’est symbolique de la ville je trouve, c’est une belle endormie. On est toujours en milieu de tableau, ça va, tout le monde est satisfait. Même si ça a un peu changé ces dernières années, je trouve que ça reste quand même plus ou moins la mentalité de Bordeaux, moi y compris.
C’est justement le message derrière ton titre « La Belle endormie » , que les ultramarines ont passé en 2017 dans leur virage.Ouais, c’était un beau clin d’œil de leur part. D’ailleurs, j’avais fait un concert à leur local il y a trois ans. Ce qui est dommage aujourd’hui, c’est qu’on laisse de moins en moins la parole aux supporters. J’aime beaucoup les clubs en Espagne où il y a des socios, les clubs où les supporters sont réellement acteurs. Je trouve que c’est très important. Ce sont les supporters qui font vivre le club, la direction ça va, ça vient. Les clubs ont une histoire, donc tu ne peux pas arriver aux Girondins et dire : « On met ce logo, on met ceci, cela et vous, les supporters, vous êtes là pour acheter vos places, vous fermez votre gueule. » Ça fait peut-être vieux con, mais ce n’est pas ma vision du foot, celui qui crée du lien social et qui te pousse à défendre un maillot.
C’est ce que de nombreuses personnes n’ont pas l’air de comprendre au regard des analyses médiatiques sur les incidents qui ont eu lieu à la Commanderie.
Je suis assez d’accord. On est dans une ère de l’instantanéité, alors que selon moi, il faut prendre du recul pour comprendre ce qu’il s’est passé. Que ce soit King Street ou McCourt, ils ne peuvent pas rester sourds à ce cri du cœur. Par exemple, le PSG, de loin, j’ai l’impression qu’ils sont plus à l’écoute de leurs supporters et qu’il y a un dialogue. En tout cas, qu’on l’aime ou pas, Nasser al-Khelaïfi, on le voit souvent.
Tu te souviens de ta première à Chaban-Delmas ?Le plus gros truc dont je me souviens, c’est lors du titre de 1999. J’avais 15 ans, notre voisin nous avait emmenés en voiture pour assister au retour des joueurs après leur match à Paris. C’est la première fois que je voyais des drapeaux et des écharpes dans les rues de Bordeaux. C’est mon premier gros souvenir de tribune. On est arrivés au stade, il était 1h, c’était rempli, à cette heure-là, on était censés dormir. Le stade était plein, il nous avait diffusé un petit film sur le tableau d’affichage, puis ils sont arrivés avec les cheveux décolorés. C’était vraiment incroyable.
C’est à ce moment que tu te rends compte que le foot peut fédérer ta ville ?Oui, même si avant ça, il y a quand même eu l’épopée européenne où on a battu Milan en quarts, Prague en demies et qu’on a échoué en finale contre le Bayern. J’ai moins de souvenirs, car j’étais un peu petit, mais ça m’a aussi marqué. D’ailleurs, à l’époque, Zidane était venu faire un match à Blaye, là où on était, mais on ne savait pas encore que ça allait devenir le Zidane d’aujourd’hui, il en était à ses tout débuts à Bordeaux. On avait pris des autographes et des photos, mais peu de Zidane, car ce n’était pas forcément la star de l’équipe, et le peu qui en avait pris les ont perdues. Quelle tristesse !
Un rappeur dans un vestiaire, ce n’est pas courant. De quel œil tes coéquipiers voyaient ça ?Ce que je fais, c’est atypique, très littéraire, très fin, et c’est vrai que ça peut s’opposer au monde du foot, surtout à mes débuts, quand le foot était quand même considéré comme quelque chose de rustre, et dans les mentalités, la poésie et les mots n’étaient pas forcément en accord avec ça. Mais on ne m’a jamais jugé par rapport à ça, surtout que mes coéquipiers étaient avant tout des amis. Au début, ça les a étonnés, puis ils ont vite compris qu’entre le foot et la musique, il y a tout un tas d’analogies possibles.
Je pense à celle de Vîrus, qui dit avoir l’impression de faire du rap en CFA.C’est grave ça. Tu as des joueurs de CFA2 qui sont meilleurs que des joueurs de Ligue 1 ou Ligue 2, mais qui n’ont pas le bon réseau ou qui ne sont pas au bon endroit au bon moment. C’est comme dans la musique. Même s’il y en a un qui est un art et l’autre un sport, et que c’est de fait plus difficile à comparer, je trouve quand même le monde du foot plus noble, car tu as un terrain et tu as des arbitres, alors que dans la musique, tu as des juges. Sur le terrain, qu’on le veuille ou non, en général c’est le meilleur qui gagne. Dans la musique, ce n’est pas forcément le cas, parce que tu n’as pas vraiment d’affrontement. Tu as un game, mais c’est un peu truqué en fonction de chez qui tu vas passer. C’est ça que j’aime dans le foot. Si un attaquant marque une pléiade de buts dans une saison, c’est qu’il l’a mérité, qu’il est meilleur sur le terrain. Ceux qui vendent des disques à foison, ce n’est pas forcément parce qu’ils sont meilleurs, mais parce qu’il y a plus de gens qui écoutent, mais ça ne veut pas dire qu’ils sont meilleurs.
Toi qui es très littéraire, tu étais comment sur un terrain ? Justement, je suis à l’opposé de mon rap. Sur un terrain, je suis tout sauf littéraire, sauf peut-être dans la lecture du jeu. (Rires.) Je suis beaucoup plus un Luis Suárez qu’un Yoann Gourcuff, j’étais très instinctif. Dans la musique, j’avais un côté plus posé et dans le foot, j’étais très à vif, très dans la grinta, ça s’équilibrait. Je n’étais pas très grand, mais j’étais puissant. C’est un équilibre. Comme dans ma culture.
Ton père est tunisien. Il t’a aussi transmis sa passion pour les Aigles de Carthage ?Je suis évidemment supporter de la sélection nationale. Mon père est aussi un gros supporter de l’Espérance de Tunis qui, qu’on le veuille ou non, est l’un des clubs les plus titrés d’Afrique avec le Raja et Al Ahly.
Tu as déjà tapé la balle en Tunisie ?Oui, avec mes cousins et leurs amis quand j’y allais l’été. Pas de gazon, on jouait en fin de journée à la maison des jeunes sur un terrain de handball en sable. On jouait en 5 contre 5. L’équipe qui prenait deux buts sortait et il y avait souvent cinq équipes, c’est dire l’enjeu. C’était tellement formateur mentalement, j’avais quinze ans et techniquement, j’ai vu des choses incroyables.
C’est quoi ton plus beau souvenir de joueur ?Mon plus beau souvenir, c’est d’avoir voir vu entrer Jean-Pierre Papin, alors que j’étais sur le terrain, lors d’un match officiel contre le Cap Ferret, où il a terminé sa carrière. Ça avait fait 2-2 et il a mis un coup franc. Ça reste une belle fierté.
À écouter :
Fayçal, Chants de ruines, EP six titres disponible depuis le 29 janvier 2021.
Propos recueillis par Maxime Renaudet