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Fauve : « On est un peu les Didier Deschamps de la musique »
Les gueules fatiguées de ceux qui bossent un peu trop, mais des sourires de passionnés. Sagement planqués derrière leurs jolis projets musico-graphiques, les membres du collectif FAUVE ne se montrent que rarement. C'est autour d'une bonne pinte et assis derrière un billard que ces anciens fous de foot se confient et font rimer N'Gotty avec El-Karkouri.
Avant de vous lancer à corps perdu dans la musique, vous étiez fondus de foot. Quels sont vos souvenirs les plus forts ?Forcément, la victoire de Paris en Coupe des coupes 1996. On l’attendait depuis tellement longtemps, celle-là… Un putain de coup franc du spécialiste maison, Bruno N’Gotty. On n’a pas tous pu le suivre à la télé, mais même à la radio, c’était un sacré kif’. On pouvait parfaitement imaginer le truc, quoi. Et puis il y a aussi Olympique de Marseille – Étoile rouge de Belgrade en 1991, je crois. Non pas parce que Marseille a perdu, hein, on était trop jeunes pour les rivalités. Mais parce qu’on était juste contents de voir une équipe française en finale. Du coup, c’était un moment dur. Les larmes de Basile Boli à Bari, tout ça… C’était un moment fort, cela dit. Qui résonne d’autant plus avec la victoire de 1993.
Puis la passion de la musique a pris le pas sur celle du foot. On fait comment pour arrêter d’aimer cette drogue que semble être le foot ?Déjà, on n’a pas tous arrêté de suivre le foot, on arrive à vivre deux passions à la fois. Ensuite, si tu veux vraiment savoir comment on fait pour arrêter de suivre le foot, matte une rediffusion de Maccabi Haïfa – Paris Saint-Germain époque Alain Giresse, 1999, je crois. Regarde les relances de Talal El-Karkouri et tu comprendras. On aime toujours le foot, cet amour-là ne peut pas s’éteindre. Après, ouais, le spectacle qu’on nous offre ne nous intéresse plus tous. C’est clair.
Vous étiez quel genre de fans de foot ? On est des footix, avec des drapeaux français sur les joues, et qui appellent tous les joueurs noirs Nicolas Anelka ou Thierry Henry. Non, évidemment, ça, c’est ce qu’il y a de pire. On n’a jamais été comme ça. En fait, on est surtout des fans de joueurs avant d’être des fans d’équipes. On est dingues de Rai et de Chris Waddle.
On associe souvent le foot au rap quand on parle de musique. Pourquoi ?Parce que ce sont deux trucs qui plaisent aux mongo… Non, on déconne. On est fans de foot et surtout fans de rap. Parce que, avant tout, ce sont deux trucs chanmés (sic) et à la fois faciles, accessibles, qui parlent à tout le monde. Le rock, c’est un truc de bourges. Il faut s’acheter du matos, on ne peut pas en faire partout, c’est comme le golf. Le rap, tu peux en faire partout, il suffit d’avoir des trucs à dire. Le foot, c’est pareil, tu peux jouer avec une canette de coca vide. Bref, c’est une réponse un peu démago, mais c’est vrai : ça parle parce que tout le monde peut en faire. Enfin, en tout cas, tout le monde peut essayer.
Le foot a changé depuis que vous le suivez moins. Il vous inspire quoi, aujourd’hui ?C’est difficile à dire. Le foot, c’est comme Les Guignols, ça tourne un peu en rond, c’est plus automatique qu’avant, il y a moins d’émotions… Ça nous inspire moins qu’un bon FIFA sur Playstation entre potes. C’est grave un discours de vieux cons, mais bon. Il y a 20 ans, les mecs devaient dire devant Roberto Baggio que le foot était mort et que ça ne valait pas un bon World Cup sur Game Boy. On n’a rien compris, très certainement. On n’y connaît plus grand-chose, en fait.
Certains footballeurs, comme les chanteurs d’ailleurs, se montrent beaucoup. A contrario, vous, on ne vous voit jamais. Pourquoi ?On a des boulots, mais ce sont des trucs normaux, qui n’intéressent personne. La musique est une échappatoire. Jamais on aurait pu s’imaginer ça. On dort moins, on est fatigués, mais c’est cool. On se voit quatre soirs par semaine et le week-end. On était potes à la base, en fait. On a tous été potes avant de faire de la musique. Ça a jamais été « groupe avec influence Muse, Coldplay cherche batteur » . On voulait faire un truc cool entre potes. Ça aurait pu être créer un site web, un magazine ou une marque de vêtements. On n’est pas de très bons musiciens, mais on avait des choses à dire, un message à faire passer. Alors on a fait ça. Aujourd’hui, on bosse avec des gens qui ont envie, qui se défoncent, pas forcément avec les plus compétents.
Vous êtes des besogneux de la musique ? On bosse comme des chiens. On est un peu les Didier Deschamps de la musique, en fait. Le mec de l’ombre, qui bosse beaucoup. On est Raúl en attaque. On n’est pas très rapides, on n’est pas très puissants, on n’est pas très bons de la tête, mais on marque quelques buts. On pourrait dire Francis Llacer aussi, mais on se respecte un peu, quand même.
Vous commencez à marcher pas mal. On risque de vous voir plus ? On n’a pas envie de se montrer, l’important ce n’est pas nous, c’est le projet, FAUVE, ce qu’on véhicule, visuellement et musicalement parlant… On ne travaille pas seuls, le boulot du vidéaste est aussi important. Le but est de glorifier le texte et le propos, on a toujours évité le côté « qui on est dans la vie » , ce qu’on fait… On ne se cache pas, mais tant qu’on peut éviter de se montrer, on le fait. On évoque nos principes de vie, la recherche de la dignité, le droit à la faiblesse et l’acceptation de soi. Des trucs qu’on s’impose dans la vie et dont on a envie de parler. Ce n’est pas le pays des Bisounours, hein. Mais on déplore certains codes du genre « Ouais, cette meuf, je lui enverrais bien un texto, mais il faut que j’attende deux jours, sinon elle va croire que… » Prends cette nana, là. Elle est moche. Mais ça se trouve, c’est une fille géniale. Et parce que les codes d’aujourd’hui sont tels qu’ils sont, la pauvre, elle va galérer. Le monde d’aujourd’hui est très manichéen. On ne prétend pas changer le monde, hein, mais juste, on éprouve un certain ras-le-bol de certaines choses.
FAUVE en concert le 14 février 2013 au Nouveau Casino (Paris)
Propos recueillis par Swann Borsellino