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Faut-il s’inquiéter des rachats de clubs par des investisseurs étrangers ?
Le football français n'a jamais eu autant d'investisseurs étrangers en simultané. Des Chinois qui détiennent 20% à Lyon, un oligarque russe qui possède l'AS Monaco, un État du Golfe qui fait son soft power à Paris, un milliardaire américain qui veut réveiller l'OM... Ou un proche du pouvoir azéri qui tombe en disgrâce et emmène le RC Lens dans sa chute. L'afflux d'investissements étrangers est-il dangereux pour la santé du foot français ?
Paris, Monaco, Marseille, mais aussi Lens, Sochaux, pour citer des exemples plus « modestes » , Lyon ou Nice pour évoquer des investissements plutôt que des rachats complets… Les repreneurs et investisseurs étrangers n’ont jamais été aussi présents dans le football français. Mais si la perspective de voir arriver un mécène exotique soulève son lot de fantasmes, elle ne peut faire oublier quelques exemples désastreux : Index à Grenoble, Hafiz Mamadov à Lens… « Bon après, on pourrait citer Le Mans où il n’y avait que des Français et cela s’est aussi écroulé » souligne Luc Dayan, ancien dirigeant à Lille, Lens ou encore Strasbourg. « La différence majeure que je vois entre un propriétaire français et un étranger, c’est que le premier, surtout s’il a pignon sur rue, ne pourra pas quitter le club en le laissant à la dérive » . L’exemple qui lui vient à l’esprit ? « Le Crédit Agricole se serait contenté d’un dépôt de bilan pour n’importe quelle entreprise aussi déficitaire que le Racing Club de Lens, mais ils ont épongé les dettes tant que le club n’était pas repris. Alors que Mamadov de son côté, n’a plus donné signe de vie, ne répondant même pas aux offres de rachat. » Car contrairement à la banque française, l’homme d’affaires azéri n’avait aucun besoin de sauver la face en France, et surtout, très peu d’affect pour les Sang et Or. « Tout dépend donc du rapport que l’investisseur va entretenir avec le club qu’il achète, regardez à Lille le temps que prend Michel Seydoux pour céder le LOSC » rappelle Dayan, pour qui « l’affection peut se développer très vite dans le football. »
Colony Capital, investisseur sérieux pour échec total au PSG ?
Un amour qui permettrait de ne pas compter, comme l’annonçait Robert Louis-Dreyfus à la fin des années 90 à propos de ses largesses à l’OM ? Didier Poulmaire, qui conseille des clubs professionnel dans leur projet de vente, estime que « les investisseurs et acheteurs ne viennent pas pour perdre de l’argent » et que les clubs français pourraient avancer vers une profonde mutation grâce à ces nouveaux patrons. « Une professionnalisation des structures autour des clubs » , et une optimisation des modèles économiques. « Aujourd’hui, ce qui attire certains pseudo-investisseurs, c’est le décalage entre l’ampleur des flux financiers engendrés par le football et la faible structuration du milieu. » Mais même des hommes d’affaires avisés peuvent se planter dans cet univers particulier rappelle l’ancien conseiller personnel de Yoann Gourcuff : « Colony Capital, c’est l’un des plus gros fonds d’investissements dans l’immobilier, ce ne sont pas des plaisantins, mais ils se sont violemment cassés la figure au PSG, et ils ont bradé leur investissement de base finalement. » Parce qu’ils n’ont pas su appréhender la spécificité d’un secteur où « les propriétaires doivent faire avec l’association à la base du club, les supporters, les agents… toute une galaxie d’influences qui réduit leur marge de manœuvre et leur autorité. »
Les chaises musicales entre Lucas et Kingsley Coman
Il ne faut donc pas attendre d’un acheteur qu’il soit le sauveur à même de renflouer les caisses, reconstruire l’équipe et conquérir les plus beaux titres. Même à Paris, où QSI a permis au club de changer de dimension, certains supporters sont très critiques, comme James, supporter du PSG et membre de l’ADAJIS (Association de défense et d’assistance juridique des intérêts des supporters). « Les Qataris ont laissé perdurer la fracture née sous Colony Capital, le premier investisseur étranger dans notre histoire. Donc on a eu une situation difficile au début, et maintenant cela commence à aller mieux. Parce que le dialogue a repris avec les ultras, mais pas seulement. Ils se rendent compte désormais de l’importance d’une gestion globale du club, ils connaissent mieux l’environnement, l’aspect juridique aussi… » Raison de son mécontentement, un manque de considération pour l’histoire du club, ses anciens, ses valeurs. « Et puis ce logo qui ne veut absolument rien dire. Ils ne doivent pas imposer leur vision et nier notre culture, mais faire en sorte d’améliorer le club, pérenniser son fonctionnement. » Or, depuis 2011, la récente crise de résultats n’est pas le seul couac dû à une méconnaissance de l’environnement : « Kingsley Coman est dans ton centre de formation, et tu vas chercher Lucas pour 45 millions d’euros… Le plus dingue, c’est qu’ils ont fait ça alors que les scouts des plus gros clubs européens observaient déjà le joueur. En clair, ils avaient un tout bon sous le nez, et ils étaient les seuls à ne pas le voir. »
« Le jour où QSI quittera le PSG… » Luc Dayan
La faute à une confiance aveugle accordée aux employés par les propriétaires qataris, et à un mépris de ce qui avait pu être développé avec succès avant le changement de main. « Le centre de formation dont le club se targue, il n’a pas attendu le Qatar pour être efficace, cela date de la présidence de Francis Graille, mais au moins ils ont désormais le mérite de l’utiliser. » Dans son viseur, un « Leonardo gentil, qui a réussi quelques coups, mais n’a rien laissé de pérenne » . Si ce n’est « un super jardinier » . James se plaint également de la nouvelle politique tarifaire et de la répartition « compliquée » des places « qui peut te faire passer l’envie d’aller au Parc » . Malgré tout, il a confiance en l’avenir car son PSG n’est pas le plus à plaindre parmi les écuries passées sous pavillon étranger. Mais Luc Dayan estime que « le jour où QSI quittera le PSG, ce sera un cas d’école car l’entité sera en danger de mort si elle n’est pas extrêmement bien structurée. » D’où une préférence dans son cas, pour les systèmes de multi-actionnariat où le club n’est pas dépendant de la bonne santé financière d’un seul mécène. Une vision partagée par Didier Poulmaire, qui dans son cas, propose une prise de parts progressives « pouvant aller jusqu’à 49% dans un premier temps, mais qui permet d’accompagner un nouvel investisseur, de lui donner le temps de connaître son environnement. » Mais surtout, avant d’attendre l’arrivée du Père Noël pour renflouer les caisses et l’effectif, le conseiller de Franck Mc Court prône un travail dans le sens inverse : « plutôt que de réfléchir à trouver le bon investisseur étranger, il faut réfléchir à un projet cohérent. Si le projet du club est bon, les bons investisseurs se pencheront dessus, français ou étrangers. »
Tous propos recueillis par Nicolas Jucha