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Faut-il réglementer le jeu de tête chez les jeunes ?

Par Florian Lefèvre et Mathieu Rollinger
6 minutes
Faut-il réglementer le jeu de tête chez les jeunes ?

Des scientifiques le prouvent : les anciens footballeurs ont plus de chances de souffrir de maladies neurodégénératives que leurs semblables. Est-ce dû à la multiplication des têtes ? À l'imprudence des acteurs du foot vis-à-vis des commotions cérébrales ? Le football doit-il faire évoluer ses règles pour éviter un drame ? Les États-Unis et l'Écosse ont décidé d'agir en interdisant le jeu de tête chez les plus jeunes. En France et ailleurs, ce principe de précaution n'est pas appliqué. Explications.

Sous les préaux scolaires, la légende veut qu’on perde des neurones à chaque coup de boule. Mais cette blague ne fait plus rire certains, notamment en Écosse. Au pays où le kick and rush et les duels aériens sont ancrés dans la culture footballistique, une étude de l’université de Glasgow publiée en novembre dernier a jeté un pavé dans le lac. Celle-ci a été l’une des premières à prouver un lien direct entre la pratique du football et les risques pour la santé mentale des joueurs. L’étude conclut que les anciens footballeurs vivent plus longtemps qu’une personne lambda, mais qu’ils ont par ailleurs trois fois et demi plus de risques de mourir de démence qu’une personne lambda. Dans le détail, les chercheurs ont comparé 7676 joueurs professionnels écossais nés avant 1977 à un panel de 23 028 personnes nées avant 1977. Résultats : 1,7% des footballeurs souffraient d’une maladie neuro-dégénérative contre seulement 0,5% pour le reste de la population. Une vraie alerte.

Si rien ne prouve que l’accumulation des têtes serait directement responsable de maladies neuro-dégénératives, le retentissement a eu un effet quasi immédiat en Écosse. Quelques semaines après la parution de l’étude de l’université de Glasgow, la Fédération écossaise est devenue la première en Europe à vouloir interdire le jeu de tête, de l’école de foot jusqu’à la catégorie U12. Un principe de précaution censé protéger une population vulnérable : les enfants.

Coups de tête

Si un adulte court le risque de s’esquinter la cervelle avec un ballon, ce risque peut être démultiplié pour un enfant, dont le cerveau est plus fragile que celui d’un adulte. La première raison est mécanique. « Un enfant est plus petit, pèse moins lourd, donc quand un ballon arrive sur sa tête, celle-ci va être soumise à des forces de pression plus violentes que sur la tête d’un adulte qui a une musculature plus charpentée et un crâne plus solide » , pose Philippe Azouvi, professeur de médecine physique et de réadaptation à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Deuxième raison : le cerveau d’un enfant est dans une phase de développement. « Les conséquences ne sont pas les mêmes que sur un cerveau qui a atteint sa maturité » , poursuit le neurologue. Le débat sur l’âge limite reste ouvert. Le chercheur américain Robert Cantu, affilié à la faculté de Boston et cofondateur du Sports Legacy Institute, conseille aux moins de 14 ans de ne pas frapper un ballon de la tête avant que les muscles et l’ossature permettent d’encaisser ces chocs. Et encore. « Le cerveau est complètement mature au niveau de ces interconnexions qu’entre l’âge de 25 et 30 ans » , complète le docteur Emmanuel Orhant, responsable médical de la FFF. Un âge où la carrière d’un footballeur est déjà bien avancée.

Aux États-Unis, cela fait quelques années que les choses ont bougé. Le détonateur ? La médiatisation des ravages des commotions cérébrales dans le foot US. Sous la pression d’un recours collectif en justice, intenté par un collectif de parents en 2015 et accusant la FIFA, l’U.S. Soccer et l’American Youth Soccer Organization de négligence dans le traitement et la surveillance des blessures à la tête, la Fédération américaine a décidé d’interdire le jeu de tête aux enfants de moins de 10 ans, et de le réglementer jusqu’à 13 ans. Et les éducateurs ont dû se plier aux règles. « Si jamais il y a un coup de tête en U9 ou U11, c’est coup franc indirect pour l’autre équipe » , indique Stéphane Auvray, l’ancien joueur de Vannes devenu sélectionneur de Saint-Martin et qui dirige aussi depuis 2013 une académie de soccer à Kansas City.

« Quand tu joues de la tête, tu gagnes l’espace autour de toi : tu utilises les épaules, les bras… et le jeu de tête, c’est la finalité, explique le formateur français qui a dû adapter son métier. Ce qui me dérange, ce n’est pas le jeu de tête. C’est que les joueurs ne savent plus appréhender leur espace. » Avant de nuancer : « On est dans une ère post-Guardiola. Il y a une telle recherche de jeu au sol et d’enchaînements de passes qu’il n’y a pas tant de duels aériens, surtout chez les jeunes. On demande de plus en plus de centres au sol, forts dans l’espace entre le gardien et les défenseurs. Si tu passes deux ou trois heures dans un complexe américain, c’est à peine si tu vas voir un coup franc indirect pour une tête. »

Casques et pointes

En France, on préfère attendre une concertation internationale – qui est en train d’être menée par les instances – avant de prendre une décision radicale. « Les centres de formation, c’est à partir de 15 ans, rappelle le docteur Orhant. Donc si on se base sur le principe de précaution des Américains, ça veut dire qu’à 14 ans, les gamins peuvent aller au charbon comme ils veulent. » Pour travailler la technique du jeu de tête à l’entraînement, des solutions existent : utiliser un ballon en cuir dégonflé ou en mousse. Y aurait-il quand même un effet pervers si les joueurs n’ont jamais fait de tête en match avant 14 ans ? « Parfois, ce n’est pas très joli techniquement, mais ça reste un geste naturel, répond Philippe Eullaffroy, directeur de l’académie de l’Impact de Montréal. En U19, on fait 250 séances par an, sans aucune« spécifique jeu de tête ». Au bout du compte, on n’est pas à la rue dans les matchs, on défend sur corner et on marque des buts de la tête. »

Attaquant emblématique de Norwich au tournant des années 1990 et 2000, réputé pour son super coup de casque, le Gallois Iwan Roberts confirme : « Quand j’étais adolescent, est-ce que j’étais vraiment dominant dans les airs ? Pas tant que ça. J’ai vraiment mis ma tête à l’épreuve et développé cet atout chez les pros. » Est-ce que Stéphane Auvray, lui, a eu l’impression de se mettre en danger en jouant de la tête ? « Je ne sais pas » , répond l’ancien international guadeloupéen, avant de se gratter la tête… « C’est comme le sujet de l’amiante à l’école. Tu vas à l’école tranquillement, et on te dit quinze ans plus tard qu’il y avait de l’amiante dans les salles de classe, que c’est dangereux et qu’il va falloir tout détruire. Là, tu joues de la tête parce que tu es autorisé, dans l’immédiat, tu ne ressens pas de séquelle, et à 60 ans, on te dira peut-être que ça pose des problèmes… »

Foot – Les dangers des chocs à la tête : une enquête à lire dans le numéro 173 de SO FOOT, actuellement en kiosque

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Par Florian Lefèvre et Mathieu Rollinger

Tous propos recueillis par FL et MR

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