- Cérémonie Ballon d'or 2013
Faut-il forcément soutenir Ribéry quand on est français ?
À quelques heures de la nomination du Ballon d'or, nombreuses sont les voix qui s'élèvent pour appeler au soutien de Franck Ribéry avec un argument imparable : la fibre patriotique. Vraiment ?
Ce soir, la France retient son souffle et à les yeux rivés vers Zurich. Ce soir, un de siens peut devenir son cinquième représentant à remporter le Ballon d’or. Ce soir, nous sommes tous un peu des enfants de Boulogne-sur-Mer, tous réunis derrière Franck Ribéry. L’union nationale serait à l’ordre du jour. Ils ont été plusieurs à le réclamer, le soutien infaillible de la nation à Franck Ribéry. De Pascal Praud à Zinedine Zidane, en passant par… Vincent Moscato, plusieurs voix, à la légitimité variable, se sont élevées pour appeler à la veine patriotique et clore un débat mort-né : les Français doivent soutenir Ti-Franck et non Messi ou Cristiano Ronaldo. Quitte à en faire une cause nationale.
En arrière-plan, quelques faits d’actualité à l’importance somme toute variable : Mamadou Sakho qui s’incline devant le talent de Ronaldo au grand dam de son partenaire en sélection, une embrouille de couloir avec Gérard Houllier, « coupable » de pas ranger Ribéry dans la même catégorie que CR7 et Messi. C’est peu dire que la présence de Kaiser Franck dans le top 3 de la course au Graal suprême cristallise, embarrasse et interroge. Même l’UNFP, d’habitude dans l’ombre, s’est fendue d’un communiqué de presse loin de sa froideur habituelle : « N’y allons pas par quatre chemins ! L’UNFP n’a pas eu besoin de choisir ou de voter tant le choix s’est imposé à nous. À l’heure où il est de bon ton, y compris en France, de supporter Cristiano Ronaldo au prétexte que Lionel Messi lui a – fort justement ! – soufflé les quatre derniers Ballons d’Or sous le nez, nous sommes – à l’UNFP – tous derrière Franck Ribéry ! » . Une façon de sous-entendre qu’encore une fois, les Français ne savent pas supporter l’un des leurs et de pointer une sorte de faillite patriotique, un récit qui a la vent en poupe.
L’individu avant l’équipe ou la nation
Pourtant, à y regarder de près, le Ballon d’or reste une récompense individuelle dans un sport collectif et n’a à peu de chose près rien à avoir avec un quelconque ressentiment national. Si son existence et sa raison d’être peuvent être discutées inlassablement, elles rappellent juste que le foot est un sport mondialisé où les histoires individuelles dépassent depuis un moment les histoires collectives et où les sportifs construisent davantage son actualité que ses équipes. Le Ballon d’or officialise même le fait que le football peut se résumer à un trophée individuel, hors championnat, hors compétition avec une définition très floue où se mélangent lignes statistiques personnelles et attaches irrationnelles. Franck Ribéry, Cristinao Ronaldo ou Lionel Messi ne sont pas des joueurs français, portugais ou argentins, ce ne sont pas non plus des joueurs du Bayern Munich, du Real Madrid ou du Barça, ce sont des entités individuelles, à mi-chemin entre des storytelling construites et prémâchées et des marques.
De Ch’ti Franck à Francky le lascar, qui est Franck Ribéry ? Du joueur UNICEF à l’autiste endormi, qui est Lionel Messi ? De l’idiot utile du capitalisme à l’homme qui tient sa revanche sur la vie, qui est Cristiano Ronaldo ? Là est le cœur du Ballon d’or, qui fait voter journalistes (en position de juges), sélectionneurs (en position d’évaluateurs) et capitaines des pays membres de la FIFA (en position de confrères). Autant le dire tout net : tout et son contraire. On peut regretter cette dérive qui accompagne le football actuel. Mais pourquoi évoquer à ce moment précis une fibre nationale puisque le Ballon d’or en est finalement le reniement ultime. Pourquoi forcer les Français à aimer un joueur qu’ils auraient le droit dans le fond (pour de bonnes ou de mauvaises raisons) de ne pas apprécier ? Ces appels maladroits, dans la même veine que ceux qui consistent à demander de chanter La Marseillaise, ont le même fond. Un fond passablement absurde et il est amusant de voir comment la patrie est invoquée à tort et à travers pour servir une rhétorique. Comme si le patriotisme devait en fait empêcher l’intelligence collective et individuelle. Le Ballon d’or ? Un bon patriote aurait en fait demandé de juste soutenir Ribéry quand il porte le maillot bleu. Or ce lundi soir, il sera en costard.
par Antoine Mestres