- Mondial 2018
- Qualifs
- Bulgarie-France
Faut-il filer les clés à Mbappé ?
Il n'a pas vingt ans, mais il affiche un niveau de jeu digne des plus grands. En quelques semaines, Kylian Mbappé s'est installé au PSG, mais la question de sa titularisation en équipe de France n'est pas réglée. Et si, malgré son jeune âge, Didier Deschamps devait en faire un taulier, dès maintenant ?
Les grandes décisions se prennent dos au mur. Comme écarter Samir Nasri d’un barrage retour France-Ukraine parce qu’il ne donne pas toutes les garanties sur le plan humain. Comme lancer Samuel Umtiti dans le grand bain des matchs à élimination directe de l’Euro parce qu’Adil Rami est suspendu et que l’ancien Lyonnais est dans une meilleure forme que le plus expérimenté Eliaquim Mangala. Et bientôt comme sacrifier le bon soldat Olivier Giroud pour installer le phénomène Kylian Mbappé et finaliser la qualification pour la Coupe du monde ? À même pas 19 ans, le natif de Bondy a cassé le marché des transferts cet été et réussi ses débuts à Paris avec une grande facilité. Un signe que le Wonderkid est plus qu’une promesse, mais une vraie garantie sur l’avenir. Au PSG, on lui a fait place nette pour qu’il soit titulaire d’entrée aux côtés de Neymar et Edinson Cavani. En sélection, en revanche, se pose encore la question de sa titularisation – il serait en balance avec Moussa Sissoko pour animer le flanc droit en Bulgarie, alors que l’ensemble des observateurs s’extasient sur ses performances. Et si Didier Deschamps devait en faire dès maintenant son taulier, au moins à niveau égal de Paul Pogba et Antoine Griezmann ?
Il est dans la même forme qu’en seconde moitié de saison passée
Quand Nasser Al-Khelaïfi a allongé 222 millions d’euros sur Neymar, beaucoup ont crié au génie. À ce prix-là, l’un des trois meilleurs joueurs du monde, seulement 25 ans quand les deux autres ont la trentaine, c’est cadeau. Et pendant que Javier Tebas s’égosillait à dénoncer un acte de guerre, le président du PSG balançait la seconde couche sur Mbappé : 180 millions. Un chiffre que beaucoup ont estimé exagéré pour un gamin n’ayant fait « que six bons mois au plus haut niveau » . Surtout que le jeune international A donnait l’impression de piocher au mois d’août, en marge des tractations pour sa mutation de Monaco à Paris. Et depuis qu’il a signé, le Mbappé du premier semestre 2017 est de retour : trois buts et trois passes décisives en six matchs officiels, quelques cassages de reins en Ligue 1 et en Ligue des champions… Ceux qui en doutaient ont obtenu des réponses : le PSG n’a pas acheté un joueur surcoté après avoir flambé, mais un vrai phénomène qui pourrait durer.
Il brille au plus haut niveau, en Ligue des champions
Son match contre le Bayern Munich lui a valu les louanges de nombreux consultants télé, en France, mais aussi à l’étranger. On attendait Neymar, on a vu Mbappé. Car même si le Brésilien a marqué à la suite d’un festival du jeune Français, c’est bien ce dernier qui a crevé l’écran contre le géant bavarois. Lors du match d’avant, au Celtic Park, il avait déjà contribué à rendre la partie facile pour Paris. Force est de constater qu’à 19 ans, l’attaquant confirme après avoir réalisé une phase à élimination directe de haute volée avec Monaco la saison passée. Deux buts contre Manchester City, trois contre le Borussia Dortmund et même un devant Gianluigi Buffon, qui semblait imbattable en demi-finale… Peu de joueurs parviennent à prendre la mesure de la Ligue des champions avec autant de régularité, Kylian Mbappé le fait alors qu’il n’a pas encore vingt ans. Quand, aujourd’hui, dans le vivier d’attaquants français, seuls Karim Benzema et Antoine Griezmann peuvent se targuer de le faire. Vu que le premier est hors course pour des raisons extra-sportives, facile d’en déduire l’importance du joueur formé à l’ASM.
Il peut jouer dans tous les systèmes de Didier Deschamps
Il n’a pas forcément brillé contre le Luxembourg. La faute à un manque de rythme ou de fraîcheur, et surtout à un poste de milieu excentré à droite pas forcément taillé pour lui. S’il avait joué devant, en binôme avec Giroud ou Griezmann, la donne aurait peut-être été différente. Si aujourd’hui se posent encore des questions sur la compatibilité de Mbappé dans les systèmes mis en place par le sélectionneur, il suffit de regarder ses performances en club pour comprendre. Que ce soit en 4-3-3, 4-2-3-1 ou 4-4-2, il y a une place où le Francilien peut briller. À Monaco, il le faisait sur le front de l’attaque associé à Radamel Falcao, et peut très bien le faire aux côtés de Griezmann ou Giroud sous la tunique bleue. À Paris, il s’est exilé à droite de l’attaque et cela n’a pas empêché les défenses du Celtic, du Bayern ou de Bordeaux de prendre très cher. Car à l’image de Luis Suárez au FC Barcelone, les grands attaquants peuvent briller n’importe où tant qu’on ne leur demande pas d’évoluer arrière gauche ou milieu récupérateur. Explosif, intelligent, très mobile, Mbappé a le profil pour se déplacer sur l’ensemble du front offensif, de combiner, et de provoquer des situations que les autres peuvent exploiter. Plus percutant que Griezmann, beaucoup plus imprévisible que Giroud, il peut raisonnablement être perçu comme complémentaire des deux.
Rooney, Ronaldo, Neymar… les bons exemples
La valeur n’attend pas le nombre des années, même si, dans l’histoire du football français, on a tendance à privilégier un minimum d’expérience en équipe nationale. Thierry Henry et David Trezeguet étaient des exceptions au Mondial 1998, et avaient participé à la fête dans un rôle de jokers de luxe plus que de titulaires en puissance. La jeunesse de Mbappé est peut-être aujourd’hui le seul argument « relativement » tangible pour expliquer qu’il ne soit pas incontournable dans le onze tricolore, alors qu’intrinsèquement, il a peut-être les qualités les plus prononcées. Attendre ? Le laisser mûrir ? Dans beaucoup d’autres pays, la question ne se poserait même pas. En 2004, Wayne Rooney n’a pas encore vingt ans quand il assume d’être le chef artificier des Trois Lions – quatre buts, avant de se blesser en quarts. Dans la même compétition, Cristiano Ronaldo, lui aussi U20, est proche de porter la Selecção jusqu’à son premier titre continental, finalement arraché par la Grèce. Au Brésil, c’est à peu près au même âge que Neymar s’est installé comme titulaire en sélection, avant d’être à vingt-deux ans l’un des rares Auriverde à ne pas exploser sous la pression du Mondial 2014. Un Neymar qui, il y a peu, a présenté son coéquipier comme un futur Ballon d’or en puissance. C’était peut-être une perche pour Didier Deschamps.
Par Nicolas Jucha