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Kanté et Pogba en Bleus : déjà de l'histoire ancienne ?
Cela fait plus d'un an que N'Golo Kanté et Paul Pogba n'ont plus fréquenté Clairefontaine. À l'heure où Didier Deschamps va annoncer le groupe chargé d'écrire un nouveau chapitre, difficile de prédire l'avenir de ce duo en équipe de France.
Les tambours et les trompettes. Vendredi prochain au Stade de France, l’équipe de France retrouvera son public 95 jours après un petit coucou dans le froid parisien et depuis le balcon de l’hôtel Crillon, juste après être descendue du grand huit qatari. Cette Coupe du monde, au final épique et nerveux, a vu émerger de nouvelles icônes, a permis à certaines promesses de sortir de leur chrysalide et offert à des historiques un dernier tour de roue. Depuis, ils sont cinq à avoir mis fin à leur aventure internationale : le capitaine de navire Hugo Lloris, l’immuable doublure Steve Mandanda, le téméraire Raphaël Varane venu à bout de sa force tranquille, l’indispensable et pourtant dispensé Blaise Matuidi, et l’énigmatique Karim Benzema – avec tout le drama que l’on connaît et qui continue de défrayer la chronique. Voilà 454 capes qui s’envolent à jamais aux archives nationales. Dans son dernier entretien au Figaro, Didier Deschamps laissait entendre qu’un hommage sera rendu à ces soldats, en marge de la rencontre contre les Pays-Bas. « J’espère qu’ils viendront », soufflait le boss des Bleus. Une chose est sûre : N’Golo Kanté et Paul Pogba, eux, ne prendront pas part à cette petite sauterie. Visages emblématiques de cette période faste pour l’équipe de France, ils ne pourront ni être honorés – puisque pas retraités – ni être impliqués dans l’écriture d’un nouveau cycle – car hors service.
Les KP flingués
Il faut dire que les deux compères du milieu, pièces déterminantes dans le sacre de 2018, n’ont participé qu’à deux rencontres officielles lors de cette saison. Pour « NG », 31 ans, il faut remonter à la fin d’un après-midi du mois d’août pour le voir gambader sous le maillot de Chelsea. C’était contre Tottenham en Premier League (2-2), match dont il est sorti touché à l’ischio. « La Pioche », 30 ans depuis mercredi, est, elle, arrivée avec le ménisque en vrac à la Juventus et a seulement pu passer une tête ce mois-ci contre le Torino et la Roma, après 315 jours sans match, avant de rechuter. « Ce matin, il s’est fait mal à l’adducteur alors qu’il tirait des coups francs, expliquait dimanche dernier son coach Max Allegri qui l’avait aussi privé de Ligue Europa quelques jours plus tôt pour des raisons disciplinaires. Il pouvait nous donner un coup de main, mais c’est comme ça. […] Il faut qu’il se relève et qu’il veuille redevenir celui qu’il était. »
Redevenir ceux qu’ils étaient : c’est exactement l’interrogation qui plane aujourd’hui au-dessus de ces deux joueurs aux caractères opposés, mais aux qualités hypercomplémentaires. Face à l’impossibilité d’y répondre reviennent en mémoire les images d’un duo dont la dernière des 40 représentations communes remonte à un certain huitième de finale contre la Suisse à l’Euro en 2021. Depuis, Kanté a dû gratter des ballons lors de trois rencontres (Kazakhstan, Afrique du Sud et Danemark) sans bénéficier de la qualité de relance de Pogba ; Polo lui s’est quand même payé le plaisir de remporter une Ligue des nations, mais sans son fidèle N’Golo. C’est simple : la dernière fois qu’ils se sont croisés en Bleu, l’un est entré en jeu à la 65e minute d’un amical contre l’Afrique du Sud à Lille en mars 2022, moment où l’autre est sorti.
Leurs destins, les mêmes qui les ont amenés à toucher ensemble les étoiles, se sont ensuite emmêlés pour les pousser à vivre des déboires semblables, cette fois séparément. Il y a eu les blessures, évidemment. Des aléas en club aussi, notamment pour l’ancien Mancunien, retourné en Italie en espérant retrouver de sa superbe. Mais pas que. Alors qu’ils touchaient le fond sportivement, des démons sont remontés à la surface. N’Golo Kanté est toujours englué dans des histoires faites de pressions, de conflits entre faux amis et vrais escrocs, de guerre larvée dans un entourage crapuleux qui a voulu profiter du talent d’un garçon trop gentil pour faire le ménage autour de lui. Un récent article de France Football, dans le prolongement d’une enquête de Mediapart en 2019 sur des montages financiers offshore à Jersey, rappelle par exemple cette scène du printemps 2017 où le gamin de la cité des Géraniums à Rueil-Malmaison tombe dans un guet-apens et voit son agresseur lui poser un pistolet sur les genoux, en l’exhortant à quitter son agent du moment.
Cet environnement explosif, Paul Pogba l’a aussi exploré, avec une incroyable saga familiale dans laquelle il a vu son frère Mathias l’accuser de tous les maux sur les réseaux sociaux, dont de maraboutage de membres de l’équipe de France, avant que l’aîné soit mis en examen pour « extorsion en bande organisée » entre mars et juillet 2022. Là encore, il est question de gros sous et d’armes à feu. Le genre d’affaires qui usent psychologiquement – l’ex-Havrais s’était d’ailleurs épanché sur la période de dépression qu’il a traversée –, qui détournent les joueurs de leur mission de gloire et de quiétude, mais qui montrent surtout à quel point le football de haut niveau peut rapidement devenir un bourbier.
Le train est passé ?
Loin de ces histoires sombres, l’équipe de France continuait son chemin vers la lumière d’une deuxième finale de Coupe du monde consécutive. Si Didier Deschamps n’a jamais manqué d’adresser son respect à ses deux patrons naturels du milieu, il a dû composer sans eux. Pas le choix, le ballon ne s’arrête pas de tourner, lui. Et ceux qui ont été appelés à reprendre le flambeau s’en sont plutôt très bien sortis. Ainsi Aurélien Tchouaméni, après des débuts tonitruants, s’est stabilisé au point d’être le seul joueur des Bleus à avoir commencé toutes les rencontres au Qatar. Adrien Rabiot s’est offert une belle rédemption pour former avec le néo-Madrilène un binôme avec d’autres atouts que leurs prédécesseurs, mais finalement rassurant.
D’autres solutions ont émergé avec Mattéo Guendouzi, Jordan Veretout, Eduardo Camavinga, Youssouf Fofana, voire Boubacar Kamara. Aucun de ceux-là n’est encore indispensable ou dominant comme ont pu l’être Kanté et Pogba en leur temps, laissant penser qu’au moment où les trentenaires seront prêts à revenir en découdre en sélection, leur place et leur rôle dans le groupe pourront leur être restitués de droit. Pour l’heure, le Juventino ne retrouvera pas les terrains avant le mois d’avril, quand la sentinelle des Blues vient seulement de reprendre l’entraînement collectif. Le printemps sera donc déterminant pour ces belles plantes qui ne demandent qu’à refleurir après un hiver de plus d’un an.
Par Mathieu Rollinger