- Foot et immigration
Faut-il créer une sélection UEFA des réfugiés ?
Le CIO a décidé de renouveler l'expérience de Rio 2016 en acceptant une délégation de réfugiés pour les JO de Tokyo en 2020. Ce geste fort, qui se veut aussi bien éthique que sportif, pourrait-il inspirer l'UEFA dans un climat où la question prendra forcément une connotation politique ? L'idée est belle, mais le foot n'a pas véritablement les mêmes ambitions et perspectives que l'olympisme.
« La session du CIO a apporté une fois encore son soutien à cette initiative. Dans un monde idéal, nous n’aurions pas besoin d’une équipe de réfugiés aux Jeux olympiques. Malheureusement, les raisons pour lesquelles nous avions initialement créé une équipe olympique des réfugiés avant les jeux de Rio 2016 sont toujours d’actualité. » Thomas Bach résume en peu de mots les raisons qui ont conduit la multinationale des anneaux à se montrer aussi humaniste. D’une certaine façon, on n’en attend pas moins d’une organisation qui prétend rassembler l’humanité dans l’enceinte idéale – et désormais sur-sponsorisée – d’un stade. Pourtant, le foot paraît quant à lui bien éloigné de cette grande famille coubertinienne et des sportifs perdus au milieu de la Méditerranée ou sur le pont de l’Aquarius.
Un inévitable rappel historique s’impose pour commencer : il a déjà existé des sélections officielles de réfugiés. Pas dans le cadre du foot « bourgeois » , mais chez les adversaires « de classe » du sport ouvrier. À l’occasion des Olimpiada Popular qui devaient se tenir à Barcelone à l’été 1936 (contre-modèle aux JO de la honte de Berlin), des équipes de juifs émigrés de Paris et Bruxelles (les fameux YASC – Yiddischer Abreiter Sporting Club) et de réfugiés antinazis allemands ou antifascistes italiens étaient attendues. Parmi ces crampons de l’exil, certains resteront se battre dans les brigades internationales. Comme Emmanuel Mink, résumant son parcours de la sorte : « Nous étions venus défier le fascisme dans un stade, et l’occasion nous fut donnée de le combattre tout court. » Au même moment, la FIFA sacre le règne de la Squadra Azzurra en chemise noire.
Les joueurs, des arguments
Naturellement, les temps ont changé. La FIFA n’a par exemple jamais hésité à reconnaître des sélections qui ne représentaient pas forcément des états en tant que tels, mais tout du moins des entités administratives territorialement ancrées et délimitées (Nouvelle-Calédonie ou Gibraltar). En revanche, on a toujours regardé le sens de l’histoire autrement du côté de Lausanne. « Le CIO a des prétentions très élevées avec le sport. Être par exemple plus représentatif, universellement parlant, ou plus en avance que l’ONU, précise Carole Gomez, chercheuse à l’IRIS qui supervise le projet FAIRES (Favoriser l’inclusion sociale des réfugiés par le sport). Il désire aussi démontrer que le sport peut faire avancer les choses quand la diplomatie échoue. La délégation de réfugiés s’inscrit dans cette vision. Le football n’aborde pas vraiment l’affaire sous cet angle. »
Pourtant, certains facteurs devraient pousser les instances du ballon rond, notamment européennes puisque la plupart des réfugiés s’y trouvent, à réviser leur position. Par le passé et encore aujourd’hui, un certain nombre de grands joueurs ont dû fuir leur pays, de Ferenc Puskás campant en Autriche après la répression soviétique à Rio Mavuba, né sur un bateau de réfugiés angolais. De plus, le mouvement « Refugees welcome » a trouvé un écho non négligeable (en Allemagne notamment) auprès des clubs, voire de certains groupes de supporters. Enfin, le foot amateur sert souvent de première terre d’accueil pour ces « apatrides » contemporains. « De nombreuses associations, confirme Carole Gomez, utilisent le foot comme support à d’autre démarches, comme l’apprentissage du français ou l’insertion professionnelle. »
Un exemple comme modèle
Autant d’éléments qui pèsent en faveur d’une sélection de réfugiés. « Je pense en effet qu’une telle équipe serait particulièrement symbolique, prolonge Léo de l’association Melting Passes, dans le championnat FSGT de Paris. Nous touchons surtout les mineurs étrangers isolés, qui n’arrivent simplement pas à s’inscrire à la FFF. Toutefois, nous avons aussi dans nos adhérents des réfugiés, de Guinée notamment. Le symbole d’une sélection de réfugiés UEFA permettrait de faire connaître leur situation, de sensibiliser un public plus large via l’écho des compétitions officielles. Personnellement, je ne connaissais pas le sujet avant de m’impliquer dans MP. »
Un point de vue qui rejoint celui du Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés : « En 2016, l’équipe des réfugiés à Rio a séduit l’imagination du monde entier et a montré, à travers le sport, le côté humain de la crise mondiale des réfugiés. » Les obstacles et les réticences restent toutefois prédominants dès qu’il s’agit de concrétiser la chose. D’abord, l’UEFA ou la FIFA ne heurtent pas facilement la raison d’État (le cas de la demande corse d’adhésion à la FIFA l’a démontré). De ce point de vue, le foot valide davantage les évolutions du monde (ce fut le cas pour la Palestine) qu’il ne les anticipe.
Des problèmes à contourner… mais encore faut-il s’y risquer
L’insoluble problème kurde à lui seul ferait perdre le sommeil à Infantino. Ensuite, comment procéder pour choisir les capés ? Sur quel critère d’origine ou de représentativité ? Qui en aurait la charge ? « Si cette sélection éclairerait forcément la question des réfugiés, des problèmes surgiraient inévitablement, continue Carole Gomez. Dans quelles compétitions l’intégrer ? À la place de qui ? Des réactions d’hostilité pourraient voir le jour dans les stades de la part de supporters locaux – le rejet des réfugiés existe, malheureusement – ou de personnes des pays d’origine, mais fidèles au régime en place, des tensions communautaires internes… Et surtout, cela ne concerne pas du tout les femmes, qui sont un des aspects méconnus de cette crise migratoire. Le principe est séduisant, mais il serait complexe à mettre en œuvre. » Par le passé, le foot a rarement brillé par son courage politique. Peu de doutes qu’il refuse encore une fois de mettre un doigt dans l’engrenage. Pour retourner tranquillement discuter de la VAR et des paris truqués.
Par Nicolas Kssis-Martov