- Coupe du monde 2014
- Quart de finale
- France/Allemagne
Faut-il accorder une pause aux salariés pendant les matchs ?
Au Brésil, c'est tout un pays qui s'arrête quand la sélection joue. En Colombie, le président a décrété une demi-journée fériée pour le quart de finale des Cafeteros. Alors que la France affronte l'Allemagne aujourd'hui, quelles conséquences découleraient d'une telle décision dans tout l'Hexagone ?
« Nous autorisons tous les fonctionnaires du gouvernement à prendre leur vendredi après-midi pour pouvoir suivre la Colombie. » Ces quelques mots, postés sur Twitter par Juan Manuel Santos, le président colombien, ont fait pousser un « ouf » de soulagement à des dizaines de milliers de supporters des Cafeteros dans tout le pays. Adieu les faux certificats médicaux et les excuses bidons, à 16h à Bogotá, ils pourront se retrouver en toute légalité devant leur télévision. Même combat au Brésil, où la journée est décrétée « fériée » quand la Seleção joue. Une décision qu’on n’imagine pas être prise en France, aujourd’hui par exemple, alors que les Bleus affrontent l’Allemagne. « La Colombie est un pays qui connaît moins de problèmes de croissance que nous, explique Bastien Drut, économiste et auteur de Économie du football professionnel. Si l’on avait une croissance de 5% par an comme les Colombiens, là ça aurait été plus envisageable de donner une journée à tout le monde. » « Ce sont aussi des différences culturelles entre les pays, affirme Eduardo Rihan-Cypel, député socialiste de Seine-et-Marne et capitaine de l’équipe de France des députés. À l’inverse de la Colombie, ça n’est pas exceptionnel pour la France d’être en quart de finale. Ça joue. Mais c’est ce qui nous permet de juger qu’un pays a une « culture foot » ou pas. Après, le Brésil, c’est à part, y a rien à faire. » Malgré tout, plus de 15 millions de Français étaient devant leur écran lundi à 18h face au Nigeria. Du fait d’un horaire pas si horrible que ça, premièrement, mais aussi d’un relâchement collectif ? « Les traders, par exemple, s’arrêtent complètement de travailler pendant les matchs des équipes nationales, ajoute Bastien Drut. En moyenne, le volume de transaction par minute baisse de 55% pendant les rencontres. » Alors, si impossible que ça de décréter un jour « off » en France ?
« Les Bleus peuvent apporter de la croissance au pays »
Le problème serait donc culturel et contextuel, essentiellement. « En France, on n’a pas la même tradition, surtout qu’en ce moment c’est compliqué de décréter un jour férié parce qu’il y a un climat tumultueux, explique Eduardo Rihan-Cypel. Le quotidien est difficile pour les gens, ils n’ont pas complètement senti la sortie de crise. » Mais au fait, quelle serait la note d’un arrêt du travail collectif pour chaque match des Bleus ? « Si jamais on décidait d’accorder une demi-journée gratuitement à tout le monde, ça coûterait très, très cher, affirme Bastien Drut. Ça se compterait en milliards d’euros. La France ne peut pas se le permettre. » En guise de comparaison, et selon une étude, les Anglais avaient perdu près de six milliards d’euros pour la Coupe du monde 2010, sans avoir décrété un seul jour férié. Les Anglais s’étaient tout simplement absentés de leur lieu de travail pour suivre les rencontres des Three Lions. Eduardo Rihan-Cypel, lui, se montre plus nuancé sur la question du jour « off » : « Il y a trois choses qu’il serait intéressant de connaître en fait : ce que devrait payer l’économie française pour accorder des RTT aux salariés ; chiffrer le manque à gagner même sans RTT, parce que vous aurez minimum 16 millions de Français devant le match ; et l’investissement potentiel ! Parce que je crois que quand la France va loin, l’optimisme qu’elle crée peut amener au moins un demi-point de croissance supplémentaire. Je ne serais pas étonné qu’on ait un pic de croissance d’ailleurs ! De ce point de vue-là, donner un jour férié serait presque un investissement(rires). »
Un pari sur l’avenir ?
Alors accorder une pause aux salariés pendant les matchs, un pari sur l’avenir envisageable ? « Mais ça pourrait être mal interprété, comme une forme de manipulation politique par le pouvoir pour essayer de surfer sur le bon Mondial des Bleus, ajoute le député socialiste. Pourtant, je ne doute pas qu’un jour la société française sera prête à s’arrêter pour un grand match de football comme ça, de l’équipe de France dans une belle Coupe du monde. » Le déclic ne tient donc qu’aux supporters des Tricolores de faire de la France un pays de football. Il faut s’affirmer, le revendiquer. « C’est à la société elle-même de faire remonter cette demande, poursuit le Franco-Brésilien. Je pense que c’est possible au Brésil ou en Colombie parce qu’il y a sans doute une forte attente de la population sur le sujet. Ce sont des choses qui se décrètent en haut parce que l’ensemble de la société le décide. » . Dans un élan de soutien pour tous ceux qui rateront tout ou partie du match ? Eduardo Rihan-Cypel conclut : « De mon côté, c’est évident que je regarderai ce France-Allemagne. » Comme beaucoup, fraudeurs ou pas.
Paul Arrivé et Eddy Serres