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Fatehy Triki : « Je me suis présenté aux élections de la FIFA »
Fatehy vit à Fives, en banlieue de Lille. Depuis son quartier, il a compilé tous les règlements du monde du football. En 2015, il a même tenté de se présenter aux élections à la présidence de la FIFA. Paroles d'un doux rêveur.
Quel est ton métier ?Je suis historien de formation. Après, je suis devenu salarié, puis je suis tombé dans le social, avec la Croix-Rouge. Je faisais de l’accueil social, des formations aux premiers secours, du travail avec les migrants. Et aussi un peu de piges, le week-end, pour La Voix du Nord… Bon, c’était payé des cacahuètes, mais je le faisais plus par passion. Pareil, quand je me suis intéressé au foot, je me suis passionné pour l’organisation mondiale du football. J’adore les compétitions internationales. Je peux te parler de la Coupe d’Asie jour et nuit !
Allons-y alors…J’ai suivi la dernière sur Eurosport, avec l’Australie qui la gagne pour la première fois. Ils étaient en zone Océanie avant, ça faisait 4-4 dans les victoires avec la Nouvelle-Zélande. La Nouvelle-Zélande a égalisé à 4-4 en 2008. Puis en 2012, elle a perdu contre toute attente face à la Nouvelle-Calédonie en demi-finale, qui a perdu à son tour contre Tahiti. Qui a donc été qualifié pour la Coupe des confédérations, donc. Sinon, cet été, j’ai suivi la Gold Cup, avec la victoire controversée du Mexique. En 2006, Trinité-et-Tobago se qualifie pour le Mondial en battant Bahreïn en barrage et devient le plus petit État au monde à participer au Mondial. Alors qu’en 1990, on avait tout fait pour favoriser la participation des États-Unis pour qu’ils se préparent pour le Mondial 1994. Ils avaient même exclu bizarrement le Mexique des qualifications en 1988, parce qu’ils avaient alignés des joueurs plus âgés en compétitions de jeunes, alors que la sélection A n’avait rien à voir avec ça. Il y avait deux places à l’époque pour la CONCACAF, une pour le Costa Rica, qui avait fait un super parcours, et l’autre qui avait été chipée à la dernière journée à Trinité-et-Tobago par les États-Unis, alors qu’il ne leur fallait qu’un nul pour se qualifier. Les arbitres du match avaient été suspendus à vie… Ouais, je peux t’en parler longtemps !
Impressionnant… Et le football de club ?Je m’y intéresse aussi, mais moins. Je suis un peu déçu par le football de club qui est un univers complètement dérégulé. Mais je suis aussi ce qu’il se passe en Copa Libertadores, en AFC Ligue des champions, en Océanie… Les champions ? En UEFA, c’est Barcelone. CONMEBOL, c’est River Plate, contre les Tigres. En Afrique, c’est le Tout Puissant Mazembe, qui a été décevant cette année. L’Asie, c’est Guangzhou Evergrande qui survole la concurrence en Super League chinoise. En Océanie, c’est l’indétrônable Auckland City FC. Enfin, ils étaient un peu titillés par Waitakere United, mais là, ils ont pris le large. Et la CONCACAF, c’est America CF, de Mexico.
Tu es en train de finaliser une étude de plus de 600 pages. Il y a quoi, dans cette étude ?La première partie, c’est un état des lieux. En même temps, je décortique toutes les compétitions, les calendriers, les critères d’éligibilité des joueurs en club, les lois du jeu… Pour chaque loi, j’ai trouvé la chronologie. Il y a un site internet sur lequel chaque procès-verbal de l’IFAB (International Football Association Board, organe de la FIFA qui décide des lois du jeu, ndlr) est scanné. Problème : l’IFAB est né en 1886. Et les premières lois du jeu datent de 1863, avec les règles de Cambridge discutées à la taverne des francs-maçons le 26 octobre. Je cherchais sur Internet, mais parfois, il y avait des trucs qui ne concordaient pas. Finalement, j’ai trouvé un magnifique livre en anglais qui retrace l’évolution de 1863 à 1883. Alala ! Franchement, j’étais comblé !
Comment travailles-tu pour réunir toutes tes informations ?D’abord, je me tiens au courant de l’actualité de la FIFA. Quand il y a une réunion du comité exécutif, c’est inscrit sur mon agenda ! Je vais sur le site de la FIFA, sur celui des confédérations, d’autres sites en anglais que j’aime bien… J’écris beaucoup aux confédérations, ils ne répondent jamais. Une fois, je reçois un courrier de la CAF. Je sens un truc dur, je me dis : « C’est une clé USB ! » J’ouvre, c’étaient deux porte-clés de la Coupe d’Afrique… Avec une lettre signée Mahmoud Garga me disant que les informations sont disponibles sur le site. Mais non, crétin ! J’ai fouillé le site de fond en comble, j’ai pas trouvé ! J’avais demandé le système compétitif de la CAN féminine. Ils n’avaient pas ! Quand c’est les masculins, il y a tout, hein, mais quand c’est les femmes, ils en ont rien à foutre… Bref, un jour, mon cousin va en Égypte. Je lui dis : « Est-ce que tu peux aller au Caire, à la CAF ? » « Pour chercher quoi, des allocs ? » (rires). Je lui dis : « Tu vas voir Mahmoud Garga, tu vas lui demander ces informations. » Deux semaines plus tard, je reçois un coup de téléphone : « Allo, Fatehy, c’est Abdel, je suis avec Mahmoud Garga ! Tu vas recevoir les informations sur le mail ! »
Tu n’as jamais eu d’autres échanges avec la FIFA ou les confédérations ?J’ai eu un entretien avec Juan Ángel Napout, le président de la CONMEBOL qui a été arrêté il y a pas longtemps à Zurich. À l’époque, il était président de la Fédération paraguayenne et directeur des compétitions à la CONMEBOL. Il parlait français, je l’ai eu au téléphone. Je lui explique, je lui dis que je cherche le prize money de la Copa Libertadores. Il me dit de lui envoyer un mail, je l’ai fait, mais j’ai jamais rien eu. Mais quelques années après, comme par hasard, tu retrouvais le prize money dans les règlements de la Libertadores.
C’est tout pour tes liens avec les institutions ?J’ai créé Football World Vision. J’ai écrit à Blatter pour demander une audience, pour présenter les grandes lignes de mon livre. Je reçois une réponse de la « technical team » . Ils me demandent si je peux déjà envoyer des idées. Je dis OK, mais je suis pas con, je vais pas détailler mes idées comme ça. Ils me renvoient un autre courrier pour me demander de leur envoyer le livre. Ah ! J’ai pris ça comme une fin de non-recevoir. Je demande à voir Blatter. Vous ne voulez pas, comme on dit ? Vaut mieux s’adresser à Dieu qu’à ses saints. Voilà, on a coupé court à la collaboration.
Tu n’as donc jamais pu faire passer tes idées au sein de la FIFA ?Écoute, il y avait un tournoi féminin au Japon. Ça devait être soi-disant considéré comme le Mondial des clubs, qui n’existe toujours pas. C’était en 2012, l’OL avait remporté le tournoi. Ils avaient rencontré deux clubs japonais et un club australien. Et je vois que les médias reprennent en boucle « OL champion du monde des clubs ! » J’ai écrit à la FIFA, pour leur proposer un duel officiel entre l’OL et le champion d’Amérique du Sud, à l’époque Colo-Colo, vu qu’à l’époque, il n’y a que l’UEFA et la CONMEBOL qui organisent une Ligue des champions féminine. Je reçois un mail de Tatjana Haenni, qui est la responsable des compétitions féminines de la FIFA. Elle m’explique que c’est une bonne idée, mais qu’il faudrait que chaque confédération organise sa propre Ligue des champions. Je lui réponds : « Mais pourquoi vous avez toujours un train de retard ? Le Mondial des clubs, vous l’avez organisé en 2000 alors qu’il y avait une confrontation intercontinentale depuis 1960 ! Pareil, la Coupe des confédérations, c’était une initiative privée ! En 1992, c’est le roi Fahd qui a lancé un tournoi, la FIFA ne l’a officialisé qu’en 1997. Alors, vous faites quoi ? C’est votre rôle ! » Elle me dit : « OK, votre idée du Mondial des clubs féminins sera discuté dans la prochaine commission. » En 2014, la FIFA annonce la création du Mondial des clubs féminins ! C’est un peu mon bébé aussi !
Entre deux, tu as franchi le pas, puisque tu t’es présenté aux élections à la présidence de la FIFA…Quand j’ai vu les candidatures bidons, j’ai dit : « C’est pas possible. » Il n’y a pas de débat d’idées, rien. Il n’y avait que Jérôme Champagne qui était crédible, il avait une vision, quelque chose de sérieux. Mais Ginola ? L’agent Raiola ? Alors je me suis lancé, je me suis présenté aux élections de la FIFA. Je suis pas connu, mais j’ai des idées. J’ai écrit en anglais et en français, avec le logo Football World Vision et tout, et j’ai envoyé à tout le monde, à toutes les fédérations. Aucun retour, à part quelques accusés de réception. C’est tout, hein ! J’ai essayé de médiatiser un peu après, mais bon, t’es pas connu, tu peux rien faire.
Quelles sont tes idées ? Je veux défendre l’unité, l’universalité et la spécificité du football. L’unité est menacée, regarde ce qui se passe entre les fédérations et les ligues. En France, mais aussi en Italie, par exemple. Ou en Ukraine, sur la limitation du nombre d’étrangers par club. Ou entre la FIFA et l’UEFA. Déjà, pendant le premier mandat de Blatter, les relations étaient pourries par les conflits avec Johansson. Juste par esprit de contradiction ! Une tradition malheureusement perpétuée par Platini. Puis il y a l’universalité, elle est en danger. Il y a des différences de règlements entre l’Asie, l’Afrique… Enfin, pour la spécificité, je souhaite que le football soit épargné par les règles du tout-économique. Or les grands clubs sont justement présents pour inventer les conditions de leur réussite, de leurs victoires, alors que le principe de base d’un jeu, c’est l’équilibre compétitif, l’incertitude des résultats. Regarde Rummenigge qui a ressorti l’idée d’une ligue européenne. En France, en Allemagne, en Italie, on s’emmerde ! Les compétitions nationales sont en train de crever ! Ils disent que le modèle est à bout de souffle, moi je veux sauver ce modèle.
Tu crois au changement au sein de la FIFA ?Le changement est déjà en cours, le grand nettoyage se fait. Le problème, quand il y a des problèmes de corruption, c’est que la FIFA se contente du départ, elle ne poursuit pas. Regarde l’affaire ISL, avec Leoz, Teixeira, Havelange… On s’est contenté de leur démission ! Maintenant, c’est le FBI qui se charge de faire le ménage à leur place. Je pense que s’ils se mêlent des affaires du ballon rond, c’est parce qu’ils n’ont pas eu la Coupe du monde 2022, c’est le déclencheur. Blatter, quand il pointe du doigt Platini en disant que c’est de sa faute, c’est parce que Platini était pour le Qatar, alors que Blatter voulait les États-Unis. Blatter a trop laissé faire à la CONCACAF et à la CONMEBOL. Blazer et Warner, c’étaient les faiseurs de roi ! En 2011, celui qui fait monter Blatter, c’est Blazer, il avait dénoncé Bin Hammam comme quoi il avait acheté des voix. Et qui le fait tomber quatre ans plus tard ? C’est Blazer.
Tu n’as pas envie de t’associer pour te faire entendre ?J’ai adhéré à l’AFFA (Association française de football amateur, ndlr) pour commencer à faire germer mes idées. Éric Thomas m’avait appelé en janvier, quand je m’étais présenté à la FIFA. J’aime bien ses idées, c’est le premier à avoir des idées démocratiques. J’aimerais m’y impliquer, apporter une touche internationale, mais je ne fais ça ni pour la rançon ni pour la gloire. Seulement pour le football.
Propos recueillis par Eric Carpentier