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Farès Bahlouli : « Tous les clubs d'Europe me voulaient »

Propos recueillis par Timothé Crépin
28 minutes

C’est le cadeau de Noël de Sofoot.com : un entretien exceptionnel avec Farès Bahlouli. À 29 ans, si cela fait deux ans qu’il n’a pas joué, le Lyonnais n’a pas dit adieu au football. De l’OL à la guerre en Ukraine, de Jean-Michel Aulas à Marcelo Bielsa, des coups bas de Christophe Galtier à une injection qui aurait pu tourner au drame : pendant 1h30, Bahlouli a tout lâché sur une carrière digne d’une série Netflix. Accrochez-vous, ça secoue. Et ça régale.

Farès Bahlouli : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Tous les clubs d'Europe me voulaient<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Farès, la dernière trace qu’on a de toi sur un terrain remonte à octobre 2022, avec le club ukrainien de Dnipropetrovsk. Tu en es où depuis ?

Je suis rentré à Lyon. Il y a pratiquement deux ans, je joue à Dnipro. Mais l’atmosphère de la guerre est trop pesante. Je demande à résilier. Ils acceptent. Quelques clubs sont intéressés par moi pour rebondir. On arrive au mercato. Mais, ensuite, silence radio, plus aucune nouvelle de Dnipro. Ils me répondent à la fin du mercato avec une résiliation bidon. Quand je veux m’engager avec un autre club, je suis encore enregistré comme joueur chez eux. Il y a un an et deux mois de bagarre avec eux, de bataille juridique, avec des avocats. En plus, ils me doivent de l’argent. Ça va jusqu’à la FIFA. J’ai gain de cause, mais je ne peux pas jouer pendant tout ce temps.

Quel club peux-tu rejoindre à l’époque ?

Je suis proche de signer en Algérie. Il y a aussi une opportunité intéressante dans le Golfe. Je perds un an et demi. C’est super compliqué. Tu es bloqué par les procédures, ils ne te répondent pas. Ils justifient ça par la guerre avec la Russie. Il y a des journées où j’accuse le coup. Surtout que le temps joue contre toi. Plus je suis loin du terrain, plus ça va être compliqué. Aujourd’hui, ce club a coulé, le président est en prison… Je suis enfin libre depuis fin juillet 2024.

Est-ce un énième épisode qui symbolise ta carrière ?

Exactement. Un peu de galères, un peu d’embûches sur la route. Mais j’ai toujours su faire face et rebondir. Avec le temps, j’ai développé un mental et un caractère assez costauds. Et l’amour du foot l’emportera toujours. Je pourrais arrêter, mais j’aime ce sport. Je sais que j’ai encore des choses à faire dedans.

J’ai eu un fan-club à 18 ans, un groupe appelé “le Bahloulisme” sur les réseaux sociaux, on crée des chansons… C’est dur à comprendre, à digérer.

Tu n’as pas encore 30 ans : quelle est ton ambition aujourd’hui ?

Je cherche un projet cohérent où je peux m’épanouir. J’ai encore quelques années devant moi. J’ai envie de jouer au foot, de m’amuser, de retrouver des sensations, cette odeur du vestiaire, la petite pression avant le match, les supporters… Ça me manque trop. Je suis très réaliste et très terre à terre : je sais que ça fait deux ans que je n’ai pas joué. Je suis prêt à faire les sacrifices et les efforts. Ça ne me fait pas peur.

Quel est le mot qui résume bien ta carrière ?

Plus qu’un mot, je dirais une phrase : le talent ne fait pas tout. Ne pas rester sur ses acquis. Quand on a du talent, on se repose un peu, on est en avance, et on ne prend pas tôt cette habitude de travailler plus, de se préparer au haut niveau. Ça m’a beaucoup desservi. J’avais des facilités avec le ballon. Si j’avais eu moins de qualités, je sais que j’aurais davantage compensé avec plus de travail. Aujourd’hui, quand on voit ceux qui réussissent… Oui, il faut un peu de qualité et de talent, mais ce sont vraiment ceux qui ont cette mentalité de bosseur. Quand je suis à Lyon (2004-2015), je me rappelle la première préparation avec les pros à 17-18 ans à Tignes (2013). Je finis deuxième aux tests en stage. Donc j’ai de grosses capacités physiques. Mais quand tu as un gros talent, qu’on parle beaucoup de toi et que tu es sous le feu des projecteurs, c’est compliqué. Il y a beaucoup de pression. J’aurais préféré passer sous le radar, travailler, mûrir et être exposé en étant plus prêt. À Lyon, je suis la petite star. J’ai une notoriété avec les supporters… Je ne comprends pas ! J’ai un fan-club à 18 ans, un groupe appelé « le Bahloulisme » sur les réseaux sociaux, on crée des chansons… C’est dur à comprendre, à digérer.

 

À quoi peut ressembler le quotidien de cette « petite star » ?

Je veux juste jouer au foot. Je réalise mon rêve de jouer à Lyon, mon club de cœur. Quand je côtoie les pros, c’est la naïveté à l’état pur. Je sors de l’entraînement, il y a toujours 10-12 personnes qui m’attendent. Les gens me demandent des photos. Vivre ça, c’est de plus en plus compliqué. Tout cet engouement… Pourquoi ils sont comme ça avec moi et pas avec d’autres joueurs qui ont fait bien plus ? Je vis encore chez mes parents. J’habite à Mermoz (quartier du sud-est de Lyon, NDLR). Les gens viennent taper chez toi. Ce n’est pas malveillant, mais je suis un jeune adulte qui ne veut que jouer au foot, s’éclater. On ne nous prépare pas à être « starifié » aussi jeune. On vit ça, on n’a aucun recul. Ça vient trop vite.

Accuses-tu le coup rapidement ?

Tant que je joue, il n’y a pas de problème. Ça se passe bien avec le groupe pro. Je commence la saison (2013-2014), je joue la Ligue des champions, je suis appelé en équipe de France espoirs. Au retour de cette sélection, on me convoque et on me dit que je suis relégué avec la réserve. Sans explication. On me trouve une excuse bidon, comme quoi j’ai soi-disant rigolé au fond du bus après une défaite à Évian Thonon Gaillard (1-2, 31 août 2013). J’ai pourtant fait une entrée de zinzin… Quelques années après, Rémi Garde (l’entraîneur qui l’envoie en réserve, NDLR) croise mon père et lui explique. En fait, à ce moment-là, Bafétimbi Gomis et Jimmy Briand sont en réserve. Le club veut les faire partir à cause de leurs gros salaires. Mais comme ils ne veulent pas, il doit les réintégrer et ce sont des jeunes qui payent : Yassine Benzia et moi. On n’était même pas assis à côté dans ce bus… Bref, c’est le foot, je suis jeune, je ne comprends pas. Yoann Gourcuff, je ne m’y attends pas, essaie de nous défendre en allant voir le coach. Mais tu dois te taire et faire avec.

Le gars de la Juventus me montre un maillot d’Andrea Pirlo et sort un iPad. Je vois une vidéo de Pirlo qui dit, en gros : “Si tu te sens de relever le défi, prends le maillot et rejoins-nous.”

Dirais-tu que là, déjà, alors que tu n’as que 18 ans, ta carrière bascule ?

Tout bascule dans le sens où c’est mon premier coup dur. Je mets pourtant toutes les chances de mon côté. Je suis assidu, je bosse… Et bim, coup de massue. Surtout que je n’ai pas d’explications… Je ne suis pas forcément à la cave, mais je suis entre le groupe pro et la réserve. Plein de promesses ne sont pas tenues. Pourtant, avant que je signe pro à l’OL (mai 2013), tous les clubs d’Europe me veulent ! Toutes les semaines, j’ai des rendez-vous dans des hôtels avec des clubs. Angleterre, Espagne, Allemagne… J’arrive en fin de contrat aspirant, je casse tout en équipe de France et, en gros, je suis libre. Le club qui me prend paye des indemnités de formation et c’est tout. Personne n’est au courant, mais j’ai signé un précontrat avec la Juventus ! C’est là-bas où le discours me parle. À ce moment, je coupe les négociations avec Lyon, car il n’y a aucun respect dans le contrat proposé. C’est le président Jean-Michel Aulas qui décante tout.

Comment Aulas parvient-il à décrocher ta signature ?

C’est une époque où il n’y a pas trop d’argent, avec la construction du stade. Mais pour lui, il est hors de question de perdre un joueur formé au club. Un jour, on va dans son bureau. Il me demande ce qu’il me faudrait. Je lui dis qu’on peut se mettre d’accord sur telles bases. Il est OK. Tout simplement. Dès qu’Aulas décide, ça se fait. Il m’aimait bien. Franchement, c’est un top président, un homme de parole. C’est vraiment quelqu’un. Lyon, c’était mon choix numéro 1. Si j’avais choisi l’argent… J’avais des offres astronomiques ailleurs, dix fois supérieures.

La Juventus ne l’a pas trop eu mauvaise ?

Je me souviens, j’en suis au troisième ou quatrième rendez-vous. Le gars de la Juventus me montre un maillot d’Andrea Pirlo et sort un iPad. Je vois une vidéo de Pirlo qui dit, en gros : « Si tu te sens de relever le défi, prends le maillot et rejoins-nous. » Je m’en souviendrai toute ma vie. Ils avaient fait signer (Paul) Pogba, (Kingsley) Coman… Je me sentais vraiment désiré. Ils me voulaient vraiment.

Donc tu ne joues pas avec Rémi Garde. Mais c’est guère mieux avec son successeur, Hubert Fournier…

Avec lui, laisse tomber… On arrive à la préparation d’avant-saison. Ce n’est pas qu’on ne s’entend pas, mais je sens que je vais passer la même année. Je ne l’accepte pas. Je vais voir le président, je lui dis que je ne peux pas rester. L’entraîneur me voit comme un jeune du centre qui a le temps. Mais ce n’est pas ce que je veux. J’ai des clubs. Le président est catégorique : « Tu ne pars pas ! Tu vas jouer. » Je reste. Là où la cassure se passe, c’est lors de la CAN (2015). Beaucoup d’internationaux partent la jouer. Fournier me dit : « Ne t’inquiète pas. » La CAN arrive. Je fais une top semaine d’entraînement, les coéquipiers me disent que je vais jouer. Lors des mises en place, il me met avec le onze titulaire. Le jour du match, on arrive à la compo et il ne me met pas. J’ai pété un plomb ! Je rentre chez moi, je n’en peux plus. Je finis la saison, mais l’été, c’est décidé, je pars. Je suis convoqué au Tournoi de Toulon, on le gagne avec l’équipe de France. Je fais une super compétition. Derrière, beaucoup de clubs sont intéressés, mais je discute avec Monaco depuis février. Luis Campos me fait un gros pressing, il m’appelle souvent, il vient me voir. Mais au moment du Tournoi de Toulon, j’hésite, car Marcelo Bielsa, qui entraîne Marseille, vient voir mon premier match. Au bout de vingt minutes de jeu, il dit au président de l’OM : « Tu me le ramènes dans mon équipe ! » Vincent Labrune appelle mon agent : « Bielsa veut Farès à tout prix. » Quand il s’intéresse à toi, tu n’es pas indifférent… Je vais à Monaco. J’ai suivi mon instinct, et heureusement, car c’est l’été où Bielsa s’en va.

 

Quitter l’OL, c’est une sacrée décision pour toi, le Gone…

Le président Aulas me dit tout l’été : « Non, tu ne pars pas ! » En plus, les supporters poussent. Je me rappelle une pétition signée par des centaines de milliers de personnes. Je suis partagé. C’est mon club, les supporters, le président… Mais je sais que je ne vais pas jouer avec Fournier, c’est mort. La chance que j’ai, c’est que le président a besoin d’argent, car il a tout mis dans le stade. Il a vendu (Anthony) Martial quelque temps avant. À contrecœur, il me dit : « Vas-y. »

Cette période délicate avec Hubert Fournier correspond aussi à une première prise de poids importante.

Oui. Après cette CAN où il me promet de jouer, j’accuse le coup. Je prends du poids, c’est vrai. J’en fais moins à l’entraînement. Je gamberge. Et comme il ne m’en faut pas beaucoup pour grossir… Je prends 5 kilos, sur une période très courte.

Franchement, Merano, c’est n’importe quoi. Ce n’est même pas un centre pour maigrir. C’est la facilité : va maigrir là-bas une semaine, et reviens.

On t’envoie à Merano, le « fameux » centre pour perdre du poids. Est-ce un bon souvenir ?

Franchement, c’est n’importe quoi. C’est le club qui m’envoie là-bas. Ce n’est même pas un centre pour maigrir. Tu manges très, très peu. Ils te font des lavages. C’est sûr que tu maigris, mais tu ne perds pas du « vrai » poids. Pour le corps, c’est top, mais mentalement, ce n’est pas le cas. Tu prends du poids, on ne cherche pas à savoir pourquoi, comment. C’est la facilité : va maigrir là-bas une semaine, et reviens. Mais ça me fait mûrir. Je reviens, je me reprends en main. En dix jours, je perds tout. Quand je reviens de Merano, je fais un match de fou en réserve contre Monaco. Je me suis surtout dit : « Maintenant, je travaille pour moi. »

 

Libéré de l’environnement lyonnais, tu arrives à Monaco en 2015. Cette fois, ta carrière doit enfin se lancer !

Tout se passe bien, je suis content. On tisse vite des liens avec Luis Campos. (Leonardo) Jardim et lui me kiffent vraiment. Je sens que je suis dans le projet. Je joue les deux premiers matchs de championnat et les qualifications pour la Ligue des champions. Et boum : pubalgie. Je ne veux pas m’arrêter. Quand tu sens que c’est le moment où ça se passe bien, où tu joues… tu forces. Je suis au bout du bout de ce que je peux. Je me rappelle : je termine l’entraînement du matin, je rentre, je fais la sieste. Et, là, je ne peux plus me lever. Je suis paralysé. À l’entraînement, je dribble trois ou quatre joueurs, j’arrive devant la cage en étant en incapacité totale de tirer ! Faire le mouvement du tir est impossible.

Je fais un pas, deux pas, et je m’écroule. Je suis paralysé du doigt de pied jusqu’au bassin. Je me dis : “Putain, je ne vais plus remarcher, qu’est-ce qu’il m’a fait ?” Et, en fait, ils m’ont injecté trop de produit.

Pendant combien de temps subis-tu cette pubalgie ?

Je galère pendant un an. Je me fais opérer, j’ai encore les fils. Jardim force pour que je reprenne. Il me fait faire du vélo. Je me souviens d’une agrafe qui pète lors d’une séance. Je ne comprends pas pourquoi il insiste. Tu es jeune, tu as envie de jouer, tu n’écoutes pas ton corps. Je reprends trop tôt, avec des douleurs atroces. Un jour, Jardim veut tellement que je joue qu’il m’envoie à l’hôpital pour que je fasse des injections. Mais des grosses injections, où on te rentre des aiguilles de 25 centimètres et un produit dans le pubis. Ce n’est pas la petite infiltration. J’y vais, je passe au bloc. Bim, on injecte. Je retourne dans la pièce pour me changer. Je mets mon pantalon puis mes chaussures. Je fais un pas, deux pas, et je m’écroule. Je suis paralysé du doigt de pied jusqu’au bassin. Je ne te dis pas dans quel état je suis. Par terre, en train de crier, je rampe. Le médecin ne veut pas venir… Je ne sais pas ce qu’il se passe. Je me dis : « Putain, je ne vais plus remarcher, qu’est-ce qu’il m’a fait ? » Et, en fait, ils m’ont injecté trop de produit. Je ne sens plus mes pieds pendant deux jours. Je me retrouve hospitalisé alors que le groupe m’attend pour prendre l’avion et aller jouer le match. Un truc de malade. Je suis dans le flou total. Je me dis que je vais trop loin, je pense à ma santé… Ça me met un coup. Je ne peux pas tirer sur la corde comme ça ! À quel prix ? Et puis, tu es à Monaco, tu ne peux pas faire trop de scandale. C’est une clinique privée, avec soi-disant un grand médecin, qui travaille en collaboration avec le club. Ils essaient d’étouffer le truc. « C’est bon, c’est rien, tu as retrouvé tes jambes ! Tais-toi, rejoue. » Je ne suis pas assez entouré pour comprendre que ce n’est pas normal, qu’il faut alerter.

Dans quel contexte es-tu prêté au Standard de Liège à l’été 2016 ?

Ce n’est pas prévu. Je reviens de ça. Je me dis qu’il faut que j’aille jouer ailleurs. Dernier jour du mercato : le Standard m’appelle. Ils jouent l’Europe. C’est une bonne opportunité, j’y vais. J’arrive au centre d’entraînement. Je descends de la voiture. Je vois le coach (Yannick Ferrara) en train de faire ses valises ! Mais vraiment ! Il vient de se faire virer. C’est un cauchemar. Le directeur sportif me dit de ne pas m’inquiéter. Tu parles… Le successeur (Aleksandar Janković) dit : « Je ne veux pas de joueur en prêt. » Une galère… Je suis obligé de rester jusqu’en janvier et au mercato. Ce qui me sauve, c’est que, pendant ce temps, Luis Campos quitte Monaco pour Lille. Il me dit : « Je te veux, et le coach que je vais prendre te veut aussi. » Ce coach, c’est Marcelo Bielsa. Mais Monaco est clair : « Tu ne pars pas, encore moins avec Campos. T’es un fou toi ! » Je reviens là-bas. Pendant une semaine, je m’entraîne tout seul. Un jour, il y a un blessé, et Jardim n’a pas le choix, il doit me faire jouer sur une opposition au stade Louis-II. Je leur fais la misère ! (João) Moutinho, je le mets dans ma poche. Je fais une opposition de malade mental ! Jusqu’à ce que (Radamel) Falcao aille voir Jardim et la direction pour dire : « C’est interdit, vous ne laissez pas partir Farès ! » (Jérémy) Toulalan aussi. Ça m’a marqué.

Bielsa, c’est le meilleur entraîneur qui peut exister. C’est vraiment la première fois que je travaille avec un coach avec qui le côté humain est important. Il pue le foot, il connaît le foot, il vit pour le foot, il donne sa vie pour le foot.

Pourtant, Luis Campos arrive à ses fins et te ramène au LOSC. Après l’acte manqué à l’OM, Marcelo Bielsa entraîne donc enfin Farès Bahlouli quelques mois plus tard (Franck Passi finit la saison au LOSC, avant qu’El Loco ne débarque). En quoi t’a-t-il marqué ?

Quand il arrive, c’est une révolution. C’est le meilleur entraîneur qui puisse exister. C’est vraiment la première fois que je travaille avec un coach avec qui le côté humain est important. J’en ai connu des gentils, mais tu restes une marchandise, tu vaux tant, si tu as de la valeur, tu vas jouer. Avec Bielsa, c’est incroyable. Il pue le foot, il connaît le foot, il vit pour le foot, il donne sa vie pour le foot. Mais ce n’est pas tout le monde qui peut tenir avec lui.

Et toi, tu tiens ?

Je n’ai jamais été aussi en forme de ma vie qu’avec Bielsa. La pesée tous les matins : si tu as 100 ou 200 grammes de trop, tu ne peux pas t’entraîner, tu dois aller courir. Une dinguerie.

De quoi faire disjoncter certains ?

Si tu n’es pas dans l’état d’esprit, si tu n’es pas prêt à faire des efforts… Lui, quand il vient, il impose les joueurs. Sauf que Campos est là, et c’est lui qui fait le mercato. Une première cassure se fait sur le choix des joueurs. Campos veut faire venir Wilfried Bony. Ça aurait fait un beau bruit. Mais Bielsa ne le veut pas. Vivre sous son ère est compliqué, mais c’est tellement gratifiant et bénéfique. On arrive le matin pour petit-déjeuner, on ne repart qu’à 16-17 heures. Des mises au vert, des vidéos, une façon de travailler à l’entraînement… En France, ça n’existe pas ! Il demande beaucoup, vraiment. Des joueurs craquent et se liguent contre Bielsa. Et ça se renverse contre lui.

 

Mais toi, tu es au paradis.

Ah, c’est ma came ! Le mec te connaît mieux que toi-même ! Il regarde 20 à 30 matchs par jour, il ne s’arrête pas ! Une fois, je joue 35 minutes dans un match de Ligue 1. Il me dit que je vais aller jouer avec la réserve : « Je me fous de comment tu vas jouer, mais je veux que tu coures 12 kilomètres ou plus ! » Il me met le GPS. Je suis ailier droit. Il vient et se met de mon côté. Il est en transe ! Tout le match derrière en train de me faire courir. Je fais 12,7 km. Je n’ai jamais autant couru de ma vie. J’ai des problèmes personnels, il les prend à cœur, il est là pour moi. Non, vraiment… Un coup de cœur footballistiquement et humainement parlant. On est toujours restés en contact. Il a même essayé de me faire venir à Leeds. Magnifique.

Magnifique : pas sûr que tu vas utiliser ce terme pour le successeur de Marcelo Bielsa. Non ?

Ouh… Ce qui a suivi…

Ce qui s’est passé avec Galtier, ce n’est pas normal. Tu ne me parles plus, tu nous vires un à un comme des chiens, tu m’interdis l’accès à la cantine, aux vestiaires, au parking…

Un retour en enfer ?

Franchement… Pourtant, premier entretien avec (Christophe) Galtier. Il me dit : « Farès, je dois m’excuser, on m’avait dit que tu étais une personne compliquée, une tête forte, un comportement… Je te connais depuis dix jours et tu es adorable, avec l’état d’esprit. » Quand il arrive, on est pratiquement derniers ! Mission sauvetage sur le terrain, mais dans le vestiaire, c’est la guerre ! Les joueurs de Bielsa, les Brésiliens, les Français… De là à en arriver presque aux mains. Et Galtier n’a pas les épaules pour tenir ce vestiaire. Du coup, il se sert de Benzia et moi. Il nous convoque. Il joue la carte de la sensibilité, des anciens Lyonnais. On m’avait prévenu de comment il est. Je lui laisse le bénéfice du doute, pour me faire ma propre opinion. On discute. Il est charmant, super sympa : « J’ai besoin de vous, il faut que vous m’aidiez à tenir le vestiaire. » On fait ce qu’il faut. Mike Maignan a aussi un gros rôle. On essaie de l’aider au maximum pour gérer les problèmes. On se maintient. Et là, le gars change du tout au tout. On revient de vacances, le mec fait son mercato. Il nous vire tous ! Il ne veut plus nous parler, ni nous recevoir. Un matin, on me convoque pour me dire que Galtier ne me veut plus. On me bloque l’accès aux vestiaires. J’essaie d’avoir un entretien avec lui, il ne veut pas. Rien du tout ! On me prend mes affaires et on les jette dans le vestiaire de la réserve. Puis on m’interdit d’accéder au centre d’entraînement, je dois me garer à l’extérieur ! Je ne vais pas rentrer là-dedans, mais quand tu vois, quelque temps après, de quoi il a été accusé (de harcèlement moral et discrimination, Galtier a été relaxé l’an dernier, NDLR), je ne suis pas étonné. Je ne suis pas là pour faire du buzz. Mais tu sens qu’il y a un problème. Ce n’est pas normal. Tu ne me parles plus, tu nous vires un à un comme des chiens, tu m’interdis l’accès à la cantine, aux vestiaires, au parking…

Tu ne lâches pas, tu restes : c’est quoi ton quotidien ?

Ils me font la misère. Il y a un mec là tous les jours à l’entraînement, qui se cache, et qui note à quelle heure j’arrive. Ils font exprès de me convoquer l’après-midi. Ils me prennent un rendez-vous avec une diététicienne. Je dois signer à chaque fois. Si je ne viens pas à la pesée, il y a un signalement. Ils m’espionnent dans le vestiaire pour savoir ce que je dis. Ils veulent me pousser à la faute. Il y a aussi l’anecdote du maillot : je suis numéro 26. Ils font signer Jérémy Pied et le forcent à prendre le 26. Jérémy Pied, que je tiens à saluer, très respectueux, vient me voir. Je lui dis : « De toute façon, avec eux, c’est fini, ce maillot, je ne vais plus le mettre. Si le numéro te plaît, prends-le. » C’est pour dire le vice… Jusqu’à casser mon contrat, car j’aurais « insulté » un préparateur physique. Derrière, je les attaque. Conciliation. On ne se met pas d’accord. Et le fait que j’ai insulté n’apparaît nulle part sur les papiers. Ils voulaient se débarrasser de moi, il fallait bien qu’ils trouvent quelque chose… Ils ont été condamnés pour harcèlement moral. (En juin 2023, le LOSC a été condamné à lui verser 510 000 euros, NDLR.)

De là à tomber en dépression face à une telle situation ?

Pas loin ! Heureusement qu’on est croyant, que j’ai une ossature, ma femme et mes enfants qui m’aident beaucoup. Je pense plusieurs fois à arrêter le foot. Le pourquoi je fais du foot, je ne le retrouve plus : l’insouciance, le plaisir, le spectacle. Il n’y a plus rien. Que du business, des sales coups. Je suis écœuré. Je suis tellement mal que je veux me rapprocher de Lyon, revenir à mes sources. Lyon-La Duchère me veut dans son projet avec un gros investisseur. Je m’entraîne deux semaines avec eux, je joue un match amical et le confinement arrive… Je passe six mois sans jouer. Je suis au point mort. Et, via une connaissance, le FC Metal (ex-Metalist Kharkiv) prend contact avec moi. Mais bon, sur le papier, c’est pas beau, quoi. C’est l’Ukraine, je ne connais pas. En troisième division !

Qu’est-ce qui te fait accepter ?

On se regarde avec ma femme, et c’est comme une évidence, en fait. Le club a une histoire. On sort de Lille et du Covid, deux périodes compliquées. On se dit : « Allez, pourquoi pas, c’est une expérience. »

 

Dans ta tête, les rêves de haut niveau se sont-ils envolés à ce moment ?

Ils sont loin, je ne te mens pas. À la base, je signe trois mois. Mais les gens, en France, ne comprennent pas : « Mais qu’est-ce qu’il va faire là-bas ? C’est pour l’argent, c’est sûr. Il est fini. » Je rejoins le club pour la préparation physique en Turquie. Je fais deux semaines. Un communiqué est officiellement publié pour mon arrivée. Et là… Il y a un élan de messages envoyés au club. Ils viennent me voir en pleine nuit et ne comprennent pas : « On a reçu des milliers de messages, les gens veulent ton maillot. On n’a jamais fait ça, on ne comprend pas. » Ils commencent à paniquer ! Le président m’appelle : « C’est incroyable ce qu’il se passe, tu as mis notre club sur la carte d’Europe et de France. » Il est comme un fou. Il a réussi à envoyer 1 000 maillots je crois, en plusieurs fois. Et l’anecdote, c’est que les maillots voyagent jusqu’en France, et c’est (Andriy) Shevchenko qui les livre.

Comment ça ?

Il y a un France-Ukraine (1-1 ; mars 2021). Le président fait voyager les maillots avec la sélection, dans la soute. Et c’est la personne qui a initié ce mouvement en France qui les récupère. Tout le monde a voulu ce maillot avec l’écriture en cyrillique… Vraiment incroyable.

En Ukraine, j’ai ressenti l’amour, mais je n’ai pas supporté.

Sportivement, toi et ton équipe montez en D2…

Je prolonge, je signe un gros contrat. On casse tout. On est premiers, prêts à monter en D1. Je suis à 12 buts et autant de passes décisives, je crois. Il y a un engouement incroyable derrière moi. C’est hallucinant. Je dois me déplacer avec des gardes du corps. Je me rappelle : là-bas, il y a des très riches et des très pauvres. Il n’y a pas de classe moyenne. Je veux leur faire un kif, car c’est vraiment un truc de fou ce qu’ils me donnent à chaque match. J’achète 300 maillots, je veux organiser une tombola pour les offrir. Un gars du club me conseille de l’annoncer le plus tard possible, sinon ça va être ingérable. Je ne le prends pas trop au sérieux. Je donne l’info le vendredi matin pour le vendredi après-midi. Je te jure… Devant la boutique, c’est impossible. Il y a une file d’attente dehors… Des gens font des malaises devant moi. Derrière, on a une séance de dédicaces au stade. On m’exfiltre. Tous les gens nous suivent… C’est infernal. Autre exemple : à chaque match, quand les gens ne parviennent pas à me voir ou à me toucher, ils vont dans la loge de ma femme et mes enfants pour prendre des photos. Ma femme a déjà fait des crises, mes enfants ne comprennent pas… C’est atroce. J’ai ressenti l’amour, mais je n’ai pas supporté.

Où es-tu quand la Russie envahit l’Ukraine en février 2022 ?

En Turquie, pour la préparation. Il y a des rumeurs. Mais les Ukrainiens vivent avec ça depuis longtemps. Donc ils n’y croient pas trop. Un matin, ça tape dans les chambres à 6 heures. Les gens apeurés, choqués : la Russie a attaqué l’Ukraine. Tout le monde se réveille sonné. Les Ukrainiens n’ont plus de nouvelles de leurs familles. Moi, ma femme, enceinte, est retournée à Lyon. Mais ceux qui ont leur mère, leur père, leur sœur, leur frère, leur femme, leurs enfants : ils sont tous en Ukraine ! Boum, bombardés. Est-ce qu’ils sont vivants ? Toutes les lignes sont coupées. Un Argentin a signé chez nous depuis quelques jours. Comme on doit rentrer le lendemain, il a fait venir sa femme et ses enfants d’Argentine la veille. Ils se retrouvent à l’hôtel en train de se faire bombarder ! C’est très dur à vivre. Comment veux-tu faire face à des personnes dans une telle détresse, un tel désarroi ? Et Kharkiv, c’est à 60 kilomètres de la frontière russe ! Quand ils envahissent l’Ukraine, ils passent par là. Les joueurs voient des tanks dans les rues où ils habitent. Mon fils est inscrit au foot, et une bombe atterrit en plein milieu du stade où il joue ! C’est la vraie guerre.

Là, tu entres en Ukraine : l’ambiance est glauque, tu vois des chars à l’abandon. Tu vois des scènes de guerre, des soldats sur un barrage, des pick-up avec des grosses mitraillettes. Et tu es dans la vraie vie !

Les compétitions sont suspendues. Que fais-tu ?

On reste deux semaines en Turquie. Le président déserte. Les étrangers partent, je rentre en France. On n’est pas payé. J’aide quelques familles ukrainiennes. Je les fais venir en France, je les héberge quelques mois dans des appartements. On fait le maximum. Ça dure six mois. J’attends, j’attends. Le Dnipropetrovsk, qui joue la Ligue Conférence, récupère mon ancien coach, avec le directeur sportif et quelques joueurs. Et ils me veulent. Je n’étais pas chaud pour retourner en Ukraine. On me dit : « Ne t’inquiète pas, on vit en Slovaquie, il n’y a aucun match en Ukraine. » Car à ce moment, les bombardements, c’est tous les jours ! Je dis OK. J’y vais. L’équipe revient d’un match de championnat. Je connais un gars de l’équipe, Yanis Hamache. Il me sort : « Frérot, ils nous ont menti : tous les matchs sont en Ukraine ! » Je viens de signer. On m’explique qu’il n’y aura que quelques matchs et qu’on n’est pas obligé d’y aller.

 

Tu as vécu des matchs en Ukraine, raconte-nous.

Pour un match le samedi, on part le mercredi. On met jusqu’à vingt heures pour passer la douane. Tu y arrives, tu vois des soldats avec des grosses kalach’. Ils fouillent tout le bus, tu sors, tu montres toutes tes affaires. Là, tu entres en Ukraine : l’ambiance est glauque, tu vois des chars à l’abandon. Et encore, tu es proche de la frontière ouest, on n’est pas dans le cœur du pays. Mais tu sens l’atmosphère. Tu vois des scènes de guerre, des soldats sur un barrage, des pick-up avec des grosses mitraillettes. Et tu es dans la vraie vie ! Je connaissais des anciens de Kharkiv, joueurs, adjoints, analystes vidéo : ils sont tous partis faire la guerre, ils ont pris les armes. C’est réel.

À quel moment décides-tu de dire stop ?

Quand tu joues un match, d’un coup, sirène, alerte à la bombe : tout le monde court et se cache dans les bunkers, dans un sous-sol. C’est tout petit, tout noir, avec juste une petite lumière. C’est là que je me dis : « Non, je ne peux pas. » Quand ça retentit, ils ne savent pas où, mais ça va péter quelque part. J’ai aussi des souvenirs dans l’hôtel en Ukraine. Des alertes le soir, tu vois des camions qui roulent à tout-va. Toi, tu paniques. C’est vraiment pesant.

Après l’Ukraine, tu disais être proche de signer en Algérie. Est-ce que, par le passé, la sélection algérienne aurait pu être une possibilité ?

À l’époque où j’étais à Monaco, (Christian) Gourcuff était le sélectionneur. Il m’appelle. On est en train de faire les papiers. Il me présélectionne. Ça va se faire. Mais c’est là où j’ai ma pubalgie.

Pour terminer, est-ce que tu sens le « Bahloulisme » toujours présent ?

Quand je suis à Lyon, les gens que je croise sont toujours bienveillants. Mais je le vois sur les réseaux. Des gens vendent des maillots que même moi, je n’ai pas ! On m’écrit des messages… Je le ressens toujours. Et c’est de l’amour.

Comment définir réellement le « Bahloulisme » ?

Je n’ai jamais compris, honnêtement. (Il sourit.) J’étais un gamin qui voulait juste jouer au foot. J’ai déjà posé la question à certaines personnes. On m’a répondu : « Ce que tu procurais sur le terrain par tes gestes techniques, ton élégance… » On me parlait même de mon personnage. C’était un tout. Il y a aussi le fait qu’à Lyon, je m’arrête toujours pour les supporters. Dès que je peux faire plaisir, je le fais. Un maillot, une paire de crampons, un peu de temps, une photo, une discussion… Je n’ai jamais refusé. Il y a donc peut-être ça : ce côté naturel. Ils te starifient, te mettent sur un piédestal, et finalement, ils voient que tu es simple et accessible. Et ils te considèrent comme un membre de leur famille.

C’est quoi la morale de ton histoire ?

Que rien n’est acquis. Il faut toujours bosser. Il y en a plein qui se font des plans de carrière… Et tu peux le retranscrire dans la vie de tous les jours. Beaucoup de personnes se projettent sur une vie idéale : « Je vais faire ci, je vais faire ça. » La vie, on peut tout faire pour la mener du mieux possible, mais elle est trop imprévisible. Et c’est ce qui fait son charme. Toutes mes galères, je ne les regrette pas. Elles ont fait l’homme que je suis aujourd’hui. Les épreuves, il y en aura tout le temps. Et quand l’épreuve arrive, la façon de comment tu décides de la prendre peut déterminer tellement de choses ensuite. Tu peux vraiment grandir derrière. Le message que j’ai à passer, c’est qu’il faut toujours croire en ses rêves, ne jamais écouter les gens. Malgré les galères et les problèmes qu’on peut avoir sur le chemin du succès, même si on a un genou à terre, il ne faut jamais abandonner. Et toujours viser la lune. Car même si tu ne la touches pas, tu n’atterriras pas très loin.

Indice UEFA : la France toujours confortablement installée à la 5e place

Propos recueillis par Timothé Crépin

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