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Falcao, le baume du tigre
À quoi tient un projet en chute libre ? Parfois, aux figures. Double buteur monégasque face à Amiens mardi soir, Radamel Falcao est entré dans le top 5 des meilleurs buteurs de l'histoire de son club en Ligue 1, en même temps qu'il extirpait ce dernier de la zone de relégation. Tout un symbole.
À 21h36, soit pile six minutes après le dernier coup de sifflet de Mattias Gestranius en tant qu’arbitre du match de Ligue des champions entre l’Atlético de Madrid et l’AS Monaco, Marca publiait, sur son site internet, un très court article sobrement intitulé : « Falcao, what are you doing at Monaco ? » Une demie page datée du 28 novembre dernier, donc, et débutée par un triste constat : « Il n’a peut-être joué que quarante minutes et loupé un penalty, mais il est certain que Radamel Falcao a été le meilleur joueur monégasque ce mercredi soir face à l’Atlético de Madrid. » Dur, cruel, vrai. Une lapalissade : ces derniers temps, il est de bon ton de crier à tue-tête que le Tigre qui ne rugissait plus que comme un nouveau-né est redevenu, alors que son club peine à sortir de sa litière, la mère de famille qui tire ses chatons de la boue en les soulevant par le col.
Une image d’autant plus d’actualité que la moyenne d’âge des XI de départ sur le Rocher chute en même temps que son infirmerie se remplit. Depuis le début de saison catastrophique des Monégasques, l’attaquant colombien est impliqué dans 47% des buts de son équipe en Ligue 1 (cinq pions et deux passes décisives sur un total de seize buts), pas mal aidé, il faut le dire, par un statut de tireur de coups de pied arrêtés qui lui a déjà rapporté trois unités (un coup franc et deux penaltys). Et dont les deux derniers spécimens ont tiré l’ASM hors des hautes herbes amiénoises en même temps que de la zone de relégation. Ouf.
Bout de ficelle pour projet branlant
Pour autant, ce sursaut correspond-il à de réelles bonnes performances ou au trompe-l’œil statistique d’un préposé aux lancers francs ? À cette question, Thierry Henry avait une idée assez arrêtée de la réponse au lendemain du succès glané sur un coup de pied arrêté à Caen (0-1), le 24 novembre dernier. Question claire : « Radamel Falcao est-il dans le dur actuellement ? » Et réponse claire, dans ce style passif-agressif devenu chose commune : « Dans le dur actuellement… ? Il nous a fait gagner à Caen. Moi, je me rappelle ça, je
ne sais pas si vous vous en rappelez, vous ? (Il lève la tête et regarde le journaliste, N.D.L.R.) C’est lui qui marque contre Caen : 1-0, but de Falcao, c’est bien ça ? Suffisant, première victoire, trois points. (Il baisse la tête, N.D.L.R.)(…)Donc oui, il rate un penalty (à Madrid), mais c’était pour revenir à 2-1, pas pour mener 1-0 ou revenir à 2-2. On ne sait pas ce qui aurait pu se passer après… Mais ce que je retiens moi, c’est que la dernière fois (à Caen), c’est lui qui a posé le ballon, c’est lui qui a pris ses responsabilités et c’est lui qui a marqué. Donc voilà, mais il va bien. » Au seul élément de son équipe qui fait aujourd’hui figure de pilier, Henry applique la traditionnelle méthode câlinothérapiste, poursuivie au sortir de la Licorne à coups de « on n’a pas joué de manière extraordinaire, mais on a tenu. Et heureusement, Falcao était là quand on a eu besoin de lui. »
Pas seulement parce que le Colombien est peut-être son seul homme au milieu d’une équipe de gamins, mais aussi parce qu’il combine cette singularité avec celle d’être l’unique figure tutélaire encore en forme du Monaco qui gagnait – ne serait-ce que des matchs –, et, en conséquence, justifie l’engagement des autres. Car si, cet été et celui d’avant, Monaco avait continué de remporter plusieurs batailles autour d’espoirs mondiaux (Tielemans, Golovin, Mboula, Pellegri, Geubbels, entre autres), c’était à la faveur de trois promesses tacites : celles de progresser dans un club qui offre à la fois du temps de jeu, un entraîneur didactique, et un encadrement de joueurs d’expérience à la carrière qui impose l’admiration. Sans les deux derniers, reste donc le temps de jeu, aujourd’hui transformé en une série de dépucelages ratés où l’hirondelle Henry se voit forcée de pousser ses oisillons dans le vide alors qu’ils ont encore un peu de coquille sur les rémiges. Et dans ce nid à problème qu’est devenue l’ASM, Falcao est un rapace repère.
Gilet rouge sang
Le bonhomme, dit-on, est de ceux qui baissent les yeux lorsque les journalistes lui posent une question. Paradoxal, de la part d’un type également du genre à imposer le respect sans avoir besoin de hausser la voix, privilège rare de ceux qui sont une légende quelque part, en France, en Espagne, en Colombie ou ailleurs. C’est l’ironie du moment : au milieu d’un club qui empile les blessés, c’est son joueur le plus meurtri au cours de sa carrière qui
reste debout, renforçant par là l’impression christique du combattant décidé à s’en tirer. La suite de son premier doublé depuis septembre 2017 attendra donc, la faute aux gilets jaunes de types eux aussi quelque part blessés, eux aussi quelque part décidés à s’en tirer. Chacun ses objectifs : certains veulent forcer les portes de l’Élysée, d’autres celles de l’histoire de leur club. Radamel Falcao est entré le week-end dernier dans le top 5 des meilleurs buteurs de l’histoire de l’ASM en championnat avec 57 buts, à égalité avec Shabani Nonda. Devant ? Djorkaeff, soixante pions, Yvon Douis, soixante-deux, Lucien Cossou, quatre-vingt-dix-sept, et Dellio Onis, cent cinquante-sept. Entrer dans le top 3, voilà qui répondrait à la question initiale : « Falcao, what are you doing at Monaco ? »
Par Théo Denmat