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Faitout Maouassa : « Parler de son mal-être démontre une forme de courage »
Écarté par le Club Bruges depuis la mi-novembre, muet à son sujet depuis près de deux ans, l’ancien Rennais Faitout Maouassa veut remonter la pente. Annoncé dans le viseur de plusieurs écuries de Ligue 1, le latéral gauche de 23 ans se confie avec du recul sur ses derniers mois difficiles en Belgique, ainsi que sur sa ferme ambition de retrouver les terrains au plus vite.
Comment s’est passée cette année à Bruges ?Pas comme je l’espérais. En arrivant à Bruges, le 31 août, je pensais retrouver du temps de jeu au sein d’une équipe composée de très bons joueurs qui jouait la Ligue des champions. J’ai pu jouer un peu en début de saison, mais dès le départ, on m’a obligé à refaire une prépa. Ils estimaient que mes capacités physiques n’étaient pas aux standards attendus. Pourtant, je me sentais bien physiquement, j’avais fait une bonne prépa à Rennes. Mais à Bruges, ils ont un système qui se focalise sur les données. Et les miennes n’étaient pas à la hauteur. Ça a duré quatre semaines, mais j’étais quand même présent sur le banc, je faisais quelques entrées en jeu. À partir du moment où j’étais fit, j’ai pu véritablement commencer ma saison. Sauf que du jour au lendemain, sans réelle explication, on m’a mis sur le côté. Sur le banc, parfois en tribune. Il y a eu un changement de coach (Philippe Clement est parti à Monaco le 3 janvier 2022, remplacé par Alfred Schreuder, NDLR). J’étais dans le projet. Pareil, sans explication, on m’a carrément sorti du groupe. Le bon point, c’est qu’on a été champion de Belgique. Je suis très fier de ce trophée, même si je n’ai pas beaucoup joué.
Ton dernier match avec Bruges date du 19 novembre 2021 contre Malines, où tu sors à la mi-temps. Que s’est-il passé ?On est trois à sortir à la mi-temps. Il y a Ruud Vormer, le capitaine, Stanley Nsoki et moi. Le coach trouvait que ça manquait d’énergie. Je ne sais pas pourquoi il me sort d’ailleurs, parce que juste avant la pause, je fais un sauvetage sur une contre-attaque, je tacle et je dégage en touche ! Je pensais avoir fait une bonne mi-temps. J’étais juste un peu en dedans sur le plan offensif, mais défensivement j’étais présent. Derrière, plus rien…
Vormer et Nsoki sont revenus dans le groupe. Toi, non. Tu n’as jamais su pourquoi ?J’ai pu parler avec le coach. Je lui ai demandé pourquoi il ne me laissait pas ma chance. Il m’a répondu que j’étais présent offensivement, mais je ne mettais pas, selon lui, assez d’intensité défensive en match comme à l’entraînement. Il m’attendait là-dessus. J’ai essayé de faire des progrès… (Il se reprend.) C’est même pas juste essayer : j’ai fait des progrès sur ça. Puis il est parti à Monaco.
Il n’y a jamais d’embrouilles avec le coach ou avec le directeur sportif ? Rien ?Je ne fais pas de problèmes, moi. Je me concentre sur le terrain. J’ai juste parlé une fois avec Philippe Clement. Le nouveau coach, j’ai aussi pu parler avec lui. Début février, il m’a dit de continuer à travailler, d’être à 100% à l’entraînement. Mais dans le même temps, son équipe commençait à se dessiner, elle n’a perdu qu’un seul match en 2022, donc je peux comprendre. Mais l’autre…
Qu’est-ce qu’il se passe pendant ces six mois où tu ne joues pas ?Il y a énormément de frustration. Forcément, il y a une phase de doute. Il y a aussi de la déception. C’était une période compliquée, surtout en novembre-décembre. Sur le plan mental, c’est là où j’ai été le plus touché. Mes proches l’ont senti. Je n’en ai pas forcément parlé publiquement parce que c’était délicat pour moi. J’étais dans le flou. Je ne savais pas ce que l’on voulait faire de moi. Je ne me sentais pas utile. Heureusement que j’étais avec des coéquipiers extra. J’ai rencontré un groupe extraordinaire qui m’a toujours soutenu, notamment pendant cette période.
Comment occupais-tu tes journées ?(Il lâche un rire nerveux.) Je ne faisais rien. Je vivais mal la situation, je ne prenais plus plaisir à rien. J’étais seul, dans un nouveau pays où de temps en temps, des potes venaient me rendre visite. C’était la seule chose qui me faisait du bien d’ailleurs : voir mes amis et mes proches. Il n’y avait rien d’autre qui pouvait m’apporter la paix.
Quand est-ce que tu as commencé à te sentir mal ?Lorsque je me blesse à l’épaule quand j’étais à Rennes, le 20 décembre 2020. Ce jour-là, j’étais seul chez moi avec mon écharpe à l’épaule, mon strap. J’ai commencé à me poser des questions comme « Est-ce que je vais pouvoir retrouver mon niveau ? » Quand j’ai repris l’entraînement, je ressentais des douleurs. J’ai demandé à ce qu’on me fasse des infiltrations, on me répétait que ça allait passer. Contre Lille à domicile, à huis clos, j’avais d’ailleurs joué avec un gros strap en ayant mal. J’ai commencé à me mettre la pression, il fallait que je retrouve mon niveau. Mais en faisant cela, je n’étais plus le même joueur. Je pars ensuite à Bruges, en espérant retrouver tout cela, mais cela ne se passe pas comme prévu. Donc là, je me dis : « Ah ouais, c’est vraiment chaud. Là, je suis vraiment en train de plonger ? Est-ce que ça va continuer comme ça ? » Ça me faisait mal. D’un coup, j’avais l’impression qu’il n’y avait plus rien. Cela créait beaucoup de frustration. À l’entraînement, tu travailles, mais ton esprit n’est pas vraiment là. Tu ne te sens pas concerné, car tu vois qu’on te met à l’écart. Tu essayes, tu rates une fois, deux fois, le doute arrive, la confiance part.
As-tu pensé à parler à quelqu’un pendant cette période ?Oui.
L’as-tu fait ?Oui, je l’ai fait. Il faut savoir que ma sœur qui joue à Nancy (Sabrina Loukombo) a fait une licence en psychologie, donc je lui ai parlé. Mais j’ai surtout beaucoup parlé à ma maman. Parce qu’elle n’a pas eu une vie simple, donc je me suis beaucoup ouvert à elle. Soit elle venait à Bruges, soit je partais à Nancy, car elle était là-bas au chevet de ma sœur qui accouchait. Cela me faisait du bien d’aller là-bas, de lui parler, de voir ma famille. Au début, je ne lâchais pas tout parce que je ne voulais pas qu’elle voie que je n’étais vraiment pas bien. Finalement, en me répétant qu’elle était là aussi dans les moments difficiles, je me suis livré davantage sur ce mal-être.
Est-ce que tu trouves que les joueurs de foot sont suffisamment préparés à l’échec ?On est suivi, mais pas vraiment assez ouvert sur ça. On a peur de se livrer, car on a peur d’être jugé, peur d’être mis dans une case, d’être considéré comme une personne pas suffisamment courageuse. Au contraire, je pense que parler de son mal-être démontre justement une forme de courage. On est accompagnés, mais on pourrait l’être encore plus lorsqu’on est en situation d’échec, par exemple. Mais nous aussi, footballeurs, on doit parler davantage, que l’on soit dans une bonne ou une mauvaise période. Il y a des clubs qui commencent à avoir des psychologues, c’est une très bonne chose. Cela doit être un sujet moins tabou. Dans mon cas, je dirais que c’était une période très creuse, avec énormément de frustration, plus qu’un burn-out ou une dépression. Je pense qu’il y a des personnes qui souffrent beaucoup plus que moi et, ces personnes-là, il faut vraiment qu’elles en parlent, car la parole est libératrice.
Pour surmonter ces moments difficiles, des personnes se mettent au yoga, par exemple, ou à d’autres pratiques éloignées de leur quotidien. Qu’en est-il de ton côté ?J’ai commencé à lire et je prends vraiment du plaisir depuis. C’est passionnant, ça ne s’explique pas, ça change. J’ai lu La Peste d’Albert Camus, je l’avais déjà lu en classe de 1re, mais j’étais parti à la Coupe du monde au Chili (avec les U17 en 2015, NDLR)et je n’avais pas pu le terminer.
Tu racontes cette période difficile avec un certain détachement, alors que tu n’as pas rejoué depuis. Comment est-ce possible ?Je n’ai pas rejoué, mais c’est bon, j’ai basculé ! (Rires.) Je dirais que la bascule s’est faite en février. J’ai eu une discussion avec Danijel Zentkovic, l’un des coachs adjoints. Il me regardait pendant l’entraînement. On a fait un jeu réduit, j’ai dribblé un gars qui m’a retenu par le maillot. Il n’a pas sifflé. J’ai levé les bras en l’air parce que, déjà que ça n’allait pas, je ne comprenais pas pourquoi il faisait ça… Lors de la pause pour aller boire, Carl m’a demandé : « Faitout, qu’est-ce qu’il y a ? » Forcément, je lui ai répondu qu’il y avait faute. Derrière, lors de la dernière séquence, quand je perdais le ballon, je ne me replaçais pas. Je n’y étais plus. À la fin de la séance, il m’a demandé de venir le rejoindre sur le côté. Il m’a demandé ce qui n’allait pas, j’ai tout déballé : « Coach, c’est vrai qu’aujourd’hui, je ne me suis pas bien entraîné, et vous l’avez vu. Mais quand je m’entraîne bien, personne ne le remarque. » J’étais rempli de frustration. Il m’a rétorqué que je n’avais pas le droit de penser ça, qu’ils voyaient les choses, mais qu’à la fin, c’est le coach qui fait ses choix. Puis il a ajouté : « Tu dois faire attention à ton langage corporel. » Je ne comprenais pas. Alors, il m’a demandé de l’accompagner dans son bureau. Là, il m’a montré une vidéo… Dans mon attitude, je montrais que je m’entraînais, mais que je n’étais pas vraiment concerné. J’étais nonchalant. Il m’a dit : « À partir de demain, ça, je ne veux plus le voir. » Quand je suis sorti de son bureau, je me suis juré de beaucoup travailler là-dessus. Avant tout pour moi.
Comment as-tu travaillé le langage corporel ? Tu as arrêté de courir la tête dans les épaules ?(Rires.) Non, ça ne changera pas ! C’était plutôt des attitudes sans ballon, mon corps montrait que je n’étais pas concerné.
Pourquoi ça s’est matérialisé à Bruges et pas avant ? Peut-être parce que là-bas, ils sont très exigeants. Je leur en suis très reconnaissant à ce niveau-là. Mais je ne l’avais pas bien compris au départ, parce que je ne me sentais pas bien vis-à-vis de ma blessure, vis-à-vis des promesses qu’ils n’ont pas vraiment tenues. Maintenant, je suis sûr que les beaux jours arriveront. Il y a beaucoup de personnes, que ce soit dans le foot, dans d’autres domaines, qui traversent des moments compliqués. Mais il suffit de basculer du bon côté, car je suis persuadé que le positif appelle le positif.
Hormis la fête du titre, tu as vécu d’autres bons moments à Bruges cette saison ?On a remporté le championnat, mais après, c’est surtout dans le vestiaire. Les gars m’ont accueilli comme si j’étais là depuis cinq ans. À Bruges, il y a beaucoup de bons souvenirs aussi. En salle de muscu, par exemple, où j’étais pas mal avec Kamal Sowah. Il n’avait pas beaucoup de force, il tremblait lorsqu’il prenait les poids. (Rires.)
Comment vois-tu l’après ?J’ai surtout envie d’avoir du temps de jeu, retrouver les sensations d’un match, les supporters. Que ce soit à Bruges ou en Ligue 1, c’est de retrouver les sensations du terrain.
L’Équipe parlait récemment d’un intérêt de Lille et de Montpellier à ton sujet. Ce sont des challenges qui t’intéressent ? Forcément, c’est flatteur malgré le fait que je n’ai pas beaucoup joué cette saison. Que des clubs de Ligue 1 comme Lille et Montpellier s’intéressent à moi, ça fait réfléchir.
Il y en a un des deux qui t’intéresse en particulier ?On va discuter ! (Rires.)
En 2020, Manchester United s’était renseigné à ton sujet. Tu y repenses parfois ?Dans une période de doutes, tu penses à tout ça. Avant, il y avait ça, et maintenant, j’en suis là. C’est un peu compliqué à accepter. Mentalement, ça m’a servi d’avoir passé une période compliquée comme celle-ci. Aujourd’hui, j’estime que le plus important est de retrouver les terrains. Ce seront mes performances qui permettront que des clubs comme cela s’intéressent de nouveau à moi.
Propos recueillis par Andrea Chazy et Mathieu Rollinger, à Paris