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Faites place au prince Salah !
Resté sur le banc par précaution face à l'Uruguay lors du premier match de l'Égypte, Mohamed Salah devrait enfin lancer sa Coupe du monde mardi soir, contre la Russie, à Saint-Pétersbourg. La fin d'une parenthèse bordélique où le joueur est définitivement devenu un homme qui ne s'appartient plus.
Un regard vers le ciel, une petite moue et une mâchoire tellement serrée qu’il n’aurait pas été impensable de le voir se lever pour emplâtrer son interlocuteur dans la minute : lundi, Stanislav Cherchesov a fait trembler sa moustache chevron. En face, le journaliste ne s’est pas démonté pour autant et en a remis une couche : la Russie peut-elle se faire dépecer par un seul homme, monté sur cent soixante-quinze centimètres, qui s’amuse à transformer les défenses qu’il croise en terrain de slalom depuis plusieurs mois ? « Bon, nous étudions chaque équipe et chaque équipe a des joueurs auxquels il faut faire attention. Bien sûr, Salah est le meilleur joueur de cette équipe d’Égypte, il faut s’en méfier, mais il n’est pas tout seul. Personne n’a réussi à l’arrêter en Angleterre ? Et bien, nous sommes prêts à le faire. Et nous allons le faire, vous verrez. » Fin d’un avant-match Salah-maniaque et d’un énième épisode du feuilleton le plus suivi depuis le début de cette Coupe du monde : alors, Mohamed Salah, c’est pour quand ? Qu’on se le dise, la mise à mort de l’intenable attente du peuple égyptien est pour bientôt. Mardi soir, à Saint-Pétersbourg, la première superstar planétaire issue du monde arabe va bien entrer sur la piste.
« Nous étions sûrs qu’il allait jouer, mais… »
Autre confirmation : la Coupe du monde du joueur de Liverpool est déjà un bordel monstre et n’appartient déjà plus au foot. C’est autre chose, une autre histoire, un autre monde. Salah est une boule de billard qu’il faut désormais faire entrer dans les trous via trois bandes : la communication, la politique et le jeu. En ça, son Mondial a commencé le 26 mai dernier, à Kiev, lorsque Sergio Ramos lui a fait sauter l’épaule en finale de la Ligue des champions, déclenchant instantanément une course à la haine contre sa personne et activant une bombe à retardement qui aura depuis maintenu toute l’Égypte sous pression. La semaine écoulée n’a pas raconté autre chose et les supporters égyptiens n’avaient pas vraiment la tête au résultat des Pharaons, vendredi dernier, face à l’Uruguay (0-1).
À Ekaterinbourg, l’enjeu était plutôt d’étalonner l’état de santé d’un joueur qui est finalement resté au chaud, sur le banc. Interrogé après la rencontre, Héctor Cúper, qui tient les manettes de l’Égypte depuis mars 2015 et guide la nation sur les eaux de son premier Mondial depuis 1990, a alors été pris par le col : coach, vous n’étiez pas sûr à 100% de le faire commencer ? « On voulait éviter tout risque aujourd’hui. Je pense qu’il sera de retour pour le prochain. La veille du match, nous étions sûrs qu’il allait jouer, mais à la fin de l’entraînement, il a été examiné en détails et on a eu des doutes, si jamais il tombait ou prenait un coup.(…)On a besoin de lui, en forme, pour l’Arabie saoudite et la Russie » , s’est alors défendu le coach argentin alors que le héros filait son maillot tout propre à Edinson Cavani. Entendu.
Réserve, peluche et Kadyrov
Après la rencontre, le peuple a soufflé, direct : confiance aveugle en Cúper et s’il faut attendre pour le plaisir, le plaisir attendra, aucun problème. En arrivant à Saint-Pétersbourg dans le week-end, les supporters égyptiens ont alors fondu sur la fan zone de la ville, sorti des masques de Salah et même dégaîné un T-shirt devenu symbole où l’on voit un schéma résumer l’affaire : « Match Tactics-Kick off-Pass to Salah-Did he score ? » À la question, deux issues possibles : si la touffe marque, retour au kick-off ; si elle échoue, retour à la case « pass to Salah » , facile, non ? Assez, en tout cas, pour couper les fils de la tension juste avant de voir le sélectionneur national annoncer dans la foulée face à la presse que oui, l’heure approchait, ce que le joueur avait déjà confirmé sur Instagram une heure avant. « Il est prêt, mais il y a toujours une petite réserve, à laquelle la séance de lundi soir répondra. Bien sûr, je veux qu’il joue, c’est le moteur de notre équipe, a ainsi expliqué Héctor Cúper en conférence de presse lundi soir. Aujourd’hui, on parle de l’un des meilleurs joueurs du monde et c’est un honneur pour moi de travailler avec lui, mais il n’est pas seul dans cette équipe, je le répète. »
Chechen dictator Ramzan Kadyrov has released a propaganda video about Mo Salah, which includes clips of The footballer while in Chechnya. He also claims Mo Salah « proved that every young man can reach his heights in football » #WorldCup pic.twitter.com/FyDfEI94OM
— Karim Zidan (@ZidanSports) 17 juin 2018
Preuve de l’importance du cas du bonhomme, son agent est entré dans l’arène lors des dernières heures, histoire de répéter à qui veut l’entendre que Mohamed Salah est bien prêt à plonger dans sa Coupe du monde. Une ultime preuve de la courbe prise par un joueur qui ne s’appartient plus : on parle pour lui, on lui donne un rôle et le voilà depuis plusieurs mois transformé en peluche qu’il faudrait agiter pour se sentir en sécurité. Un exemple ? Alors que la délégation égyptienne a posé ses pattes à Grozny, capitale de la douce République de Tchétchénie, son arrivée dans le coin a directement été utilisée par Ramzan Kadyrov, venu le chercher à l’hôtel de la sélection dès le premier jour pour l’emmener faire un tour de stade, se prendre en photo avec, et qui n’a pas hésité à le placer dans une vidéo de propagande publiée dans la soirée de dimanche. Sale rôle et histoire qui a fait bondir le monde entier, Cúper préférant même éteindre une question sur le sujet du bout des doigts avant le match contre la Russie. Place au jeu : mardi soir, Salah, qui aura réussi en quelques mois l’exploit d’unifier son pays, fera tomber le survêt’ et s’apprête à redevenir un joueur de foot, son vrai job, histoire de tout remettre à sa place. Sur la piste, la vraie.
Par Maxime Brigand, à Saint-Pétersbourg