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Faites entrer les accusés de Bastia 1905

Par Thomas Andrei
6 minutes
Faites entrer les accusés de Bastia 1905

Mercredi 16 novembre, quatre membres du groupe de supporters Bastia 1905 sont arrêtés. Tous sont conduits au commissariat, dont le président du groupe de supporters et Maxime Beux, le jeune homme éborgné par un tir de flash-ball la saison passée. Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ?

Il est 6h du matin dans la région bastiaise. Jean-Baptiste Castellani dort encore lorsqu’il entend tambouriner à sa porte. Il ouvre : « Police » . Sans trop comprendre pourquoi, le président de Bastia 1905 est interpellé, son domicile fouillé. Au même moment, des scènes similaires se déroulent chez un autre membre du groupe, Ghjilormu Garelli, ainsi qu’un sympathisant. Conduits au commissariat de Bastia, les trois hommes sont rejoints quelques heures plus tard par Maxime Beux, arrêté dans une rue de Corte. Maxime qui ? Maxime Beux, ce jeune supporter blessé à l’œil en marge de la rencontre Reims-Bastia, le 13 février dernier. Selon la version de l’étudiant de vingt-deux ans, ses amis et lui auraient à l’époque été renversés par des voitures de la BAC et fait l’objet de tirs de flash-ball. La police, elle, assure avoir été attaquée. Maxime Beux se serait blessé seul, en tombant contre un poteau. Bavure ou accident, il a depuis appris qu’il ne retrouvera jamais l’usage de son œil gauche.

Incompréhension vs « Pétanques explosives »

Quand la nouvelle des interpellations tombe, les autres membres de 1905 restent incrédules. L’un d’eux, Romain Paoli, raconte : « On a appris l’arrestation du président de l’association vers 7h du matin. Puis deux autres. On ne comprenait pas trop ce qui se passait. Puis on a su que c’était par rapport à la manif’ du 20 février, ce qui, pour nous, est incompréhensible. » Et pour cause, la marche de soutien à Maxime Beux s’était alors déroulée dans le calme. Néanmoins, on apprenait quelques semaines plus tard que des engins explosifs, plus précisément des « pétanques explosives » , avaient été retrouvés près de la préfecture de Bastia avant la manifestation. Létales à dix mètres, ces grenades artisanales ont une puissance de destruction proche de leurs cousines militaires, suffisantes pour faire sauter un semi-remorque.

Mercredi après-midi, le procureur de la République de Bastia, M. Nicolas Bessonne, donne une conférence de presse. Il intime à deux autres supporters encore en fuite de se rendre. Il confirme que deux pains de Nitram « de 500 grammes chacun, reliés à une mèche lente » ainsi que « des cagoules, des masques, des combinaisons et des lunettes » auraient aussi été retrouvés. Joint par téléphone, le procureur évoque les raisons des interpellations : « L’infraction, c’est fabrication, détention d’explosifs en bande organisée et association de malfaiteurs. » L’ADN de Beux et Garelli figureraient sur les sacs contenant les boules de pétanque. Quelques heures plus tôt, le leader de 1905, Jean-Baptiste Castellani, est relâché, alors que ses trois collègues restent en cellule. Bessone explique : « On avait besoin de lui dans le cadre des perquisitions des locaux associatifs, on avait des questions sur le fonctionnement de l’organisation. Mais il ne semble pas avoir participé à la confection de ces explosifs retrouvés en marge de la manifestation. » Selon Castellani, qui rejoint Romain Paoli et les autres, les policiers « n’ont rien » et ont arrêté des membres au hasard pour obtenir des pistes. Pourtant, le lendemain, Beux et Garelli sont mis en examen pour association de malfaiteurs en vue de commettre un acte violent. Le duo est placé sous contrôle judiciaire avec « interdiction de quitter la Corse, de se rendre au stade, de participer à des réunions du club de supporters Bastia 1905, et d’avoir des contacts avec les autres personnes recherchées dans le cadre de cette affaire » .

« Le procureur nous en veut »

Le jeudi soir, lorsque les deux accusés sortent du poste, leurs camarades supporters sont là. Beux semble abattu. Romain Paoli souffle : « On connaît tous sa situation. Le gamin se retrouve à l’hôpital à Reims, rentre la veille de la manif’, fait une déclaration saluée par tout le monde et on va lui expliquer qu’on a retrouvé son ADN sur des cocktails Molotov (sic). Il n’était même pas à la réunion de préparation ! » Agacé, Paoli ajoute : « Puis il attend toujours son propre procès. Il attendait l’expertise médicale qui devait être positive pour lui. Ça devait tomber début septembre. Elle n’est toujours pas là. Ça commence à le saouler. » Le lundi suivant, les deux supporters recherchés, Adrien Matarise et Julien Muselli, décident de se rendre. Le soir même, ils sont mis en examen à leur tour, mais également écroués à la prison de Borgo, au sud de Bastia. Le duo est accusé « d’association de malfaiteurs, confection, détention et transport d’explosifs » . Maître Jean-André Albertini, connu pour être l’avocat du Sporting Club de Bastia, défend aussi les quatre accusés. Dans un post Facebook, publié par 1905, il assure « avoir consulté l’intégralité de la procédure instruite au cabinet de M. Mende (magistrat instructeur, ndlr) » et affirme « que l’ADN de [ses] clients n’est présent ni sur les sacs ni sur les charges explosives » . Une déclaration qu’il développe encore aujourd’hui : « Du fait du secret de l’instruction, je ne peux pas vous dire pourquoi les mises en examen varient, raconte l’avocat avec prudence. C’est difficile à comprendre. C’est la raison pour laquelle on a fait appel pour les deux personnes placées en détention, qui contestent leur implication. Je pense qu’on va avoir des rebondissements prochainement. On ne sait pas d’où viennent ses explosifs. La procédure ne l’indique même pas ! » Même son de cloche du côté de 1905. Romain Paoli insiste : « On n’a aucune idée d’où ça sort. Ça peut venir de tous les côtés… Nous, on avait appelé au calme, et on y a veillé tout le long de la manifestation. Ensuite, on ne fait pas du maintien de l’ordre. Si des gens se faisaient égorger sur le port ou qu’on faisait sauter un truc à Toga, on n’y est pour rien. » Les pétanques explosives pourraient donc n’avoir aucun lien avec le groupe. Pour Paoli, toute l’affaire n’est qu’une chasse aux sorcières, orchestrée directement par le procureur : « Bessone nous en veut, il veut nous faire du mal. Ils sont sur ce système-là. »

De l’huile sur le feu

Du côté des élus nationalistes, on reproche à la justice d’attiser les braises de la révolte. Vendredi 18, Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni, les deux présidents de l’Assemblée de Corse, se fendaient d’un communiqué de soutien : « Les interpellations contre des jeunes supporters, le moment et la méthode de ces interpellations, la personnalité et l’âge des personnes arrêtées ou recherchées, ont[…]réactivé une logique de tension. Tout le monde connaît ces mécaniques et[…]sait qu’il faut impérativement les éviter. Nous refusons que la jeunesse corse soit une fois encore happée dans un engrenage de confrontation, alimenté par le sentiment d’injustice. » Un texte de Femu a Corsica, le parti de Simeoni, soulignait l’arrestation de Maxime Beux « atteint dans sa chair de façon irréversible dans des conditions scandaleuses » avant de se demander « qui, à Paris, a intérêt à cette stratégie du pire ? » En attendant le développement de l’enquête, les membres de Bastia 1905 font bloc comme ils peuvent. Selon le groupe, les arrestations « sans aucune preuve sérieuse » ne visent qu’à « perturber le bon déroulement du procès de Reims (celui de Maxime Beux, ndlr) qui se tiendra le 15 décembre prochain. » À « emprisonner pour dissimuler la vérité » . Les quatre accusés risquent jusqu’à dix ans de prison et 150 00 euros d’amende.

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