Tchouaméni : milieu à plat

Croatie-France, 17^e minute. Corner de Lucas Digne, Kylian Mbappé remet le ballon au sol à l’entrée de la surface. Aurélien Tchouaméni tente un coup du foulard, directement chopé par Dominik Livaković. Un but sur cette action et le génie sortait de sa lampe. Au lieu de ça, le geste ressemblait plus à un gros plaid d’hiver qu’à une tendre soie designée par un sponsor. Sinon, le bilan d’un des vice-capitaines des Bleus est enneigé. Tchouaméni est celui qui a le plus couru, est le joueur de champ français qui a réussi le plus de passes (avec Guendouzi), mais c’est tout. Jeudi soir, le milieu international U16, U17, U18, U19, U20, U21 et senior a été terne. C’est presque un euphémisme.

The Bridge, cassé

Censé faire le pont entre les rives du terrain, comme pendant son émission, le milieu a justement manqué de liant. Positionné axe gauche d’un 4-4-2 quand la France défendait et en sentinelle quand elle tentait d’attaquer, Aurélien Tchouaméni a assuré l’équilibre, c’est tout. Peu de passes vers l’avant, aucune interception, aucune frappe. Une première mi-temps trop lente sans casser de lignes, une seconde où il prend du recul pour lancer les attaques, mais la pauvreté offensive parle d’elle-même. Ses rares passes verticales ? Mbappé trouvé (10^e). Juste avant, pour la comparaison, Modrić enchaînait un petit pont sur Adrien Rabiot, une passe latérale utile, et une récupération (9^e). Tchouaméni incarne le cruel manque de créativité des Bleus, en somme. Certes pas vraiment aidé par un duo Guendouzi-Rabiot pas toujours inspiré balle au pied et laxiste sur le but de Perišić, l’ex-Monégasque a failli dans la construction. Un job délaissé par Antoine Griezmann, inemployé par le Madrilène, mais que pourraient occuper Désiré Doué ou Michael Olise. Voire Rayan Cherki ou Maghnes Akliouche, mais on s’égare.

Au terme de ce peinant revers, DD, à chaud, a mis l’accent sur les trop nombreuses erreurs techniques. Que la bataille technique d’un Croatie-France soit remportée par l’éternel Luka Modrić, soit. Mais que la bataille tout court le soit, le seuil de l’acceptabilité baisse un peu. Le milieu français a laissé Modrić et Kovačić prospérer autant qu’un joueur de belote dans la salle commune d’un Ehpad. Tchouaméni symbolise ce milieu qui va vers l’arrière, ne progressera plus dans cette France de Deschamps, qui se regarde jouer et qui n’a pas envie de se faire mal. Tout l’inverse du milieu croate. S’il a « horreur des extrêmes », se mettre un peu dans le rouge lui ferait du bien.

Curseur Kings League

Avant la Belgique en octobre dernier, Didier Deschamps faisait du Didier Deschamps au micro de TF1 : « Je ne vais pas faire parler certains si cela ne correspond pas à ce qu’ils sont. Il y a des leaders expressifs, des leaders techniques, des leaders physiques, sur l’aspect mental… Aurélien a cette capacité. Car ce n’est pas tout de prendre la parole en criant. Il y a le fond et la forme, c’est-à-dire les mots qu’on utilise et le faire à bon escient. » Sans tautologie, le sélectionneur rappelait que le Tchouaméni de 2022 est devenu un cadre. Arrivé au Real pour remplacer Casemiro et avec les Bleus bardé d’espoirs, l’ancien Bordelais ouvrait même le score en quarts de finale de la Coupe du monde. Les précieux contributeurs d’une vaste encyclopédie ont alors écrit qu’il était « un milieu assez proche de Paul Pogba dans son profil physique, mais similaire à N’Golo Kanté dans ses aspirations techniques. » Comprendre : plein d’assurance, capable de coups d’éclat, de verticalité et infatigable. Son esprit de corps (Tchouaméni est un excellent avocat de Mbappé) et de sacrifice (relatif, mais il pallie les absences de Rüdiger, Alaba ou Éder Militão) à son poste ne sont plus à démontrer, mais monter son curseur ferait du bien à cette équipe de France. En langage Deschamps : il a 15 mois.