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Fabien Pujo : « Je considère que je suis un privilégié »
Deuxième de son groupe de CFA et tombeur de Lens au tour précédent, Bergerac s'apprête à grimper sur le ring ce soir pour boxer avec le LOSC sur un huitième de finale de Coupe de France à Libourne. Derrière le tableau, un homme : Fabien Pujo (43 ans), arrivé à la barre en juillet 2013 et déjà référence. Une-deux sur le divan.
Fin janvier, à quelques jours de votre exploit contre Lens, vous vous étiez levé en pleine nuit pour aller échanger avec Jean-Marc Furlan à Brest. Qu’avez-vous retenu de cette rencontre ?C’est un moment qui a été riche en enseignements. Nous, on est un peu des novices en matière de parcours en Coupe de France. En tant que technicien, c’est la première fois que ça m’arrive et c’est assez similaire pour le club. Paul Maso, notre conseiller sportif, qui connaît bien Jean-Marc Furlan, nous a permis d’aller le rencontrer pendant toute une journée avant le match contre le Red Star. C’était surtout beaucoup d’échanges, une occasion de puiser beaucoup d’infos sur son passé d’entraîneur amateur avec Libourne où il avait fait plusieurs exploits et aussi de revenir sur son match de la semaine précédente contre Fleury-Mégoris (0-2) pour savoir comment une équipe de Ligue 2, qui a des objectifs, qui joue le haut de tableau dans son championnat, appréhende un match contre un club amateur. C’était les deux ressentis qui m’intéressaient pour préparer le match de Lens. C’est aussi un moment qui nous a permis de voir ce qu’était un avant-match de Ligue 2. Jean-Marc Furlan est surtout un gros passionné du jeu, donc on a pas mal échangé sur cet aspect. Comme si j’étais un chercheur qui allait collecter les infos à droite, à gauche.
C’est quelque chose que vous faites avec d’autres entraîneurs ?Je le fais beaucoup. Là, j’ai eu pendant de longues minutes Jocelyn Gourvennec qui a joué à Lille samedi soir (victoire 3-2 des Girondins, ndlr). C’était important pour moi de connaître son approche, son avant-match, ses observations sur cette équipe de Lille. Je consulte pas mal de techniciens qui sont ouverts sur le jeu, les nouvelles technologies, pour nous permettre de progresser de notre côté et, en finalité, d’atteindre la performance.
À quel moment avez-vous décidé de devenir entraîneur ?Entraîneur senior, sur le tas, mais j’ai eu mon diplôme d’entraîneur très jeune, à vingt-cinq ans. Mais, très tôt, je me suis occupé des jeunes à Moustey, un village dans les Landes. Mon père était trésorier du club donc à partir de mes dix-sept ans, j’avais en charge un groupe et je faisais quelques piges le week-end pour m’occuper de l’équipe senior. C’était du bas niveau départemental. Ce qui me plaît, c’est l’échange, mais aussi le projet commun comme tous les sports collectifs le permettent. Entraîner plus sérieusement est venu après ma petite carrière de joueur. Je suis entré au service des sports de la ville de Lormont (Gironde). Le club était à l’époque en DHR, j’ai fait une pige de six mois en tant que joueur. Ça ne se passait pas très bien, on jouait le maintien, donc le président m’a proposé le poste d’entraîneur. Et là, en trois ans, on est montés de trois divisions.
C’était comment Lormont ?Lormont, c’est un peu le 93 de Paris. C’était assez identitaire, donc j’avais fait un projet autour des joueurs du coin. On est montés jusqu’en CFA2 avec un budget de 150 000€. C’était du bricolage, mais une aventure humaine exceptionnelle. J’étais avec des mecs comme Lamine Sané, son frère Salif, Cédric Yamberé, Rachid Housni. C’était de la formation et la réussite avec peu de moyens. Bergerac avait plus de moyens et était dans notre poule, c’est comme ça qu’ils sont venus me chercher.
La tactique, que vous bossez beaucoup, c’est un domaine qui vous intéresse depuis longtemps ?Sincèrement, pas obligatoirement. Je n’étais pas quelqu’un qui regardait beaucoup les matchs, j’étais plutôt un amoureux du beau jeu quand j’étais à Lormont. J’ai eu plusieurs phases : cette phase Lormont, où je ne suis pas un grand chercheur, où je mets en place ce que j’ai appris en formation, avec un contexte où j’ai beaucoup de joueurs d’Afrique noire, du Maghreb, qui aiment la prise de risques dans le jeu, donc ça collait bien avec qui j’étais ; et une deuxième, Bergerac, où j’ai été obligé de me remettre en question. Il fallait que je me demande comment atteindre l’objectif de montée en CFA. Et la troisième phase, c’est mon expérience avec la sélection nationale des Comores (Pujo est l’adjoint d’Amir Abdou, ndlr). Le tournant, c’est le premier rassemblement que je fais après mon arrivée à Bergerac. Là, je prends conscience que j’ai des compétences. Certaines personnes me le font comprendre comme Gilles Bourges, qui a travaillé au PSG avec Ancelotti. Il nous dit : « Oui, les jeunes, vous bossez bien, vous êtes passionnés. » C’est des mots qui me décomplexent. Au contact de joueurs pros, je réalise que ce n’est pas beaucoup plus compliqué qu’avec des amateurs qui ne sont pas connectés à 100% de leur temps au foot. Je me dis que des choses sont possibles. C’est comme ça que je suis devenu un dingue de recherches. Je me suis intéressé au suivi individuel, à la vidéo, à l’utilisation des drones, des petits détails qui améliorent la performance.
C’est une bascule que l’on peut fixer à la saison 2014-15 où les six premiers mois de votre saison sont catastrophiques. Vous avez eu l’impression d’arriver à vos limites à ce moment-là ?Oui, je pense. Ma méthode marchait, donc, comme beaucoup d’entraîneurs, tu commences à penser qu’elle va marcher à vie. En fait, si tu n’évolues pas, tu fonces dans le mur. Cette saison-là, on a de grosses difficultés, on parle avant tout de maintien à la trêve. Et la deuxième partie de championnat, on fait onze victoires sur treize matchs et on monte. C’est dans les périodes difficiles que tu prends conscience de beaucoup de choses. C’est un moment qui a fait ce qu’on est aujourd’hui. Il fallait une évolution globale et, depuis, je mange des matchs en me demandant qui fait quoi, pourquoi, dans quel objectif. Je suis toujours dans le questionnement.
Vous êtes-vous inspiré d’autres choses que du foot pour progresser ?Tout à fait. C’est plus compliqué d’explorer quand on est dans le monde amateur où on n’a pas les moyens de mettre en place une cellule scientifique, de bosser avec des universités comme peut le faire Brest avec la faculté de Nantes. Ce qu’on fait, c’est qu’on va voir vers les autres sports. Ça peut m’arriver d’aller à un avant-match de rugby pour voir comment ça se passe, notamment en matière de préparation mentale. Je suis aussi adepte du hand où j’ai pas mal suivi ce que faisait Claude Onesta. C’est une approche du management assez moderne, participatif avec les joueurs.
C’est difficile d’installer le foot dans une ville de rugby ?Oui, c’est difficile. Déjà, c’est difficile de basculer vers le haut niveau dans une région qui a la mer, les montagnes, le soleil et où on mange bien. Il faut une prise de conscience pour mettre en place une cellule pour être forts dans la durée. Ici, c’est difficile de faire exister le foot, mais ça donne aussi des sources de motivation supplémentaires. Dans la région, il y a les Girondins, il y a eu Bayonne pendant un cycle avec Alain Pochat. Aujourd’hui, on a David Vignes qui fait un cycle avec Pau en National. Il faut être patient, mais, ici, on a un cumul des choses qui est positif avec un président ambitieux, un conseiller du président, Paul Maso, qui est un ancien entraîneur, donc on a un assemblage qui fonctionne bien.
Vous parlez parfois de nuits blanches passées pour préparer vos rencontres. Vous faites quoi pendant ces nuits ?Ça, c’est la passion.
Quand tu l’as, ce n’est pas très compliqué. Par exemple, ma présentation d’hier après-midi, je l’ai préparée pendant les deux nuits dernières. Ma petite famille s’est couchée vers 23 heures, donc je me suis mis tranquillement à bosser dessus. Et, d’un coup, tu regardes l’heure, il est 4 heures du matin. Tu as l’impression que ça fait cinq minutes que tu bosses. Je n’ai pas d’analyste vidéo, donc je fais mes montages moi-même. Je suis adepte de l’image et je pense qu’avec la nouvelle génération, beaucoup de choses passent par l’image. Au total, ça fait peut-être 25 heures par semaine. C’est beaucoup, mais je considère que je suis un privilégié. C’est ma première année de professionnalisme en tant que technicien. J’y suis pour deux ans. Avant, je cumulais ça avec mon emploi d’éducateur sportif à la ville et ma vie de famille, donc, là, je peux mieux organiser mon temps de travail. Pour moi, les nuits blanches, c’est comme un cinéphile qui passe ses nuits à regarder des films.
Comment on arrive à toucher la nouvelle génération ?Il faut la comprendre, ce qui est parfois complexe. Notre staff est relativement jeune, aucun de nous quatre n’a plus de 45 ans. Il faut être dans la peau du jeune. Par exemple, avant le match contre Lens, mes dirigeants avaient du mal à comprendre qu’on ouvre les portes. Ils avaient peur qu’on oublie l’essentiel, mais j’ai réussi à leur expliquer que la nouvelle génération est née avec la vidéo. Cette organisation leur permet, selon moi, d’être eux-mêmes. En NBA, ça fait partie du deal, tu peux voir des joueurs qui répondent à la presse dix minutes avant le début du match et ça ne les empêche pas d’être dans leur bulle une fois sur le parquet. Cette nouvelle génération n’est pas nous. Ma fille de 14 mois arrive déjà à aller sur YouTube avec le téléphone. On essaye donc de les toucher sur l’image. On essaye d’être dans leur délire tout en les gardant dans le nôtre. Ce qu’ils aiment aussi, c’est l’entretien individuel, la franchise, ils aiment ça.
Lors de vos causeries, vous insistez souvent sur le mental, la notion de sacrifice. Les mots touchent encore autant que les images ?Ce qui est important, c’est la crédibilité de ton discours. Si les joueurs voient qu’après ton discours, rien ne se passe, tes mots sont vite zappés. Ce qu’il faut, c’est des résultats dans la durée. Aucun acte verbal ne doit être suivi d’injustice, que ce soit dans la gestion du groupe, dans l’avant-match, dans le plan de jeu. Il faut tenir le discours. J’ai aussi évolué là-dessus. Cette génération-là aime la franchise.
Surtout pour un groupe composé de recalés du monde pro.C’est sûr. Au départ, c’était un projet local, mais plus les résultats arrivent, plus le niveau augmente, plus le local est réduit. On en a encore, mais on a surtout un projet grand sud-ouest avec des mecs revanchards avec qui on a envie de prouver que c’est possible de réussir dans la région. Une montée en National sert aussi à ça et avec deux ou trois montées, tout va très vite. C’est une seconde chance pour eux.
Considérez-vous que le match contre Lens était une forme de perfection ?C’était une étape pour nous tous, un moment où tu peux montrer tes compétences. Notre discours en est sorti renforcé. On voulait montrer qu’on n’était pas bidons face au monde professionnel. Les joueurs, eux, ont eu l’opportunité d’être sur un moment ponctuel face à leur rêve. C’est quelque chose qui renforce la confiance, la cohésion collective. Nous, ça fait 228 jours qu’on est ensemble. Lille, ça fait 29 jours vu qu’ils sont en train de reconstruire quelque chose. Ce match contre Lens, c’était l’aboutissement, l’occasion de prouver qu’on pouvait arriver ensemble à une vraie bonne performance. Elle existait régulièrement en CFA, là, elle a existé ponctuellement contre une Ligue 2.
Cette préparation a changé pour le match contre Lille ?Non, pas vraiment par rapport à un match de CFA. Là, ce qui change, c’est l’événement. L’événement n’est pas régulier, ce n’est pas normal, donc on doit être un petit plus attentif à certaines choses. C’est plus les joueurs qui changent parce que, pour eux, c’est fort. La préparation invisible a peut-être changé, notamment après la victoire contre Mantes samedi dernier (1-0). Ils n’ont sûrement pas été en boîte à Bordeaux ensemble comme ils ont l’habitude de le faire, pareil pour la nourriture. Tous les curseurs grimpent. Mais, dans la préparation, c’est serein et plus facile à présenter vu qu’on a plus d’images. Pas grand-chose ne va changer.
Propos recueillis par Maxime Brigand