Retrouvez le super portrait de Fabien Lemoine dans SO FOOT #127
Ton intérêt pour le foot, c’est ton père qui te l’a transmis ?
Oui, lui il a joué très longtemps à un petit niveau, jusqu’à plus de 50 ans. Il n’y allait pas forcément pour jouer, mais prenait son sac au cas où il manquerait des joueurs. En vétéran, tu te retrouves souvent à neuf, car tu as des mecs qui n’ont pas le temps ou pas l’envie. Lui entrait dès qu’il manquait quelqu’un, faisait l’arbitre de touche si nécessaire. C’est vraiment un passionné de football, c’est lui qui m’a emmené le premier au stade, mais c’est moi qui me suis pris au jeu quand j’ai vu que cela se passait bien. Jamais mes parents ne m’ont poussé dans cette voie, c’est moi qui ai demandé à passer les tests à Rennes.
Quand ils ont vu que tu te rapprochais d’une carrière pro, ils t’ont conseillé ou mis en garde ?
Je n’ai jamais dérivé, j’ai toujours travaillé dur pour arriver au bout, et même en travaillant dur, je suis passé par la petite porte. Je n’avais pas de marge de manœuvre, mais ma ligne directrice a été bonne : le travail pour progresser et rester en pro. Je n’avais pas de plan B à part le foot, même si je travaillais bien à l’école. Je travaillais même très bien, mais dès lors que je suis arrivé à l’internat de Ploufragan, le centre de préformation de Rennes, c’est devenu plus dur. Vu que cela se passait bien en foot, j’ai lâché progressivement l’école, surtout quand j’ai intégré le centre de formation de Rennes. À partir de la première, je voulais faire une formation industrielle, mais on m’a poussé à faire ES, au prétexte qu’il y avait plus de débouchés après, mais j’ai regretté, car j’avais plus de taf que les mecs en STG. Je les voyais jouer, alors que moi, j’avais plus de boulot. Au final, j’ai raté deux fois le bac et je ne l’ai pas repassé. À cette époque, j’aurais dû m’affirmer, car là avec mes gosses, je n’ai plus le temps de le passer.
Tu as grandi à Saint-Étienne-en-Coglès en Bretagne, et tu supportais Saint-Étienne dans le Forez. Simplement à cause du nom ?
J’ai un cousin par alliance qui était fan des Verts, on en parlait, et j’ai commencé à suivre cette équipe. Deux-trois matchs à la télé, l’ambiance du Chaudron, le quadruplé d’Alex contre Marseille, les derbys… J’aime la philosophie du club, sa mentalité offensive, son gros public. J’ai commencé à supporter l’équipe et quand ils sont descendus en Ligue 2, je suis allé les voir à Laval. Je suis allé les voir deux fois en matchs officiels et je suivais leurs résultats. Au centre de formation du Stade rennais, cela passait moyennement… Je suis quelqu’un du cru, et un jour, je suis descendu avec mon maillot de l’ASSE dans la salle télé pour une demi-finale de Coupe de la Ligue entre Saint-Étienne et Sochaux. On était trois à regarder, j’étais à bloc, comme un dingue. Le lendemain, M. Rampillon, le directeur du centre de formation, me dit : « Je ne veux plus te voir en bas avec le maillot de Saint-Étienne, si tu n’es pas content d’être à Rennes, tu vas à Saint-Étienne ! »
En 2011 justement, tu signes à Saint-Étienne, opportunité saisie ou rêve de gosse réalisé ?
C’est une opportunité, car je sors d’une saison quasi blanche après mon ablation du rein, j’ai eu du mal à revenir à mon niveau, d’ailleurs mon niveau actuel, je ne l’avais pas avant de me blesser, je suis dans ma meilleure période. Je ne suis pas titulaire à Rennes à l’époque, et on me dit : « Est-ce que tu veux venir renforcer notre milieu de terrain, vous serez trois avec Clément et Guilavogui pour deux places, ce seront les deux meilleurs qui joueront. » Je suis arrivé sur la pointe des pieds, le retour de blessure s’était mal passé… Mais si, à Rennes, j’avais été titulaire, je ne sais pas si j’aurais quitté le club pour Saint-Étienne, j’étais tellement dans un cocon, j’avais fait construire une maison, j’avais tous mes amis, ma femme était enceinte du deuxième enfant… Je n’étais pas demandeur d’un départ et si on m’avait offert un contrat à vie là-bas, je l’aurais signé.
À Saint-Étienne, c’est quand même une bonne surprise pour toi, une mauvaise pour Évian…
J’avais passé la visite médicale pour un prêt d’un an. Le soir, j’ai dîné avec Bernard Casoni, l’entraîneur, Pascal Dupraz, et d’autres dirigeants, je devais signer le lendemain matin. J’ai même pris la photo officielle avec le maillot, que j’ai encore chez moi, « Lemoine, 12, Évian » … Dans la nuit, à 22h30, j’ai un coup de fil de mon agent qui avait discuté avec Saint-Étienne dans l’après-midi, et il me dit que Saint-Étienne est intéressé et me demande de ne pas signer à Évian. Je lui ai dit : « Ben, va falloir vous dépêcher parce que là, je ne suis pas bien, ils viennent me chercher demain matin. » Je me suis couché à 6h du mat, j’ai dormi un peu jusqu’à 8h en attendant les derniers détails. Me concernant, cela a été très vite, mais il fallait l’accord entre les deux clubs, alors que Pierre Dréossi était en République dominicaine et injoignable avant 3-4h du mat. Je voulais aller à Saint-Étienne pour tout, le projet sportif et mon attache au club, les infrastructures. Financièrement aussi, c’était plus intéressant. Moi qui aime bien la sécurité, je préférais, car cela s’est rapidement transformé en transfert sec avec 4 ans de contrat, contre un prêt d’un an à Évian pour après n’avoir qu’un an de contrat à Rennes.
Comment cela s’est passé avec Évian ?
C’est Pascal Dupraz qui est venu me chercher à l’hôtel… (rires). Je ne leur en veux pas du tout, ils ne m’ont pas insulté, mais cela a été super froid avec Pascal Dupraz. Quand je suis arrivé au siège du club, le président ne voulait pas me voir, ce qui m’arrangeait, car je n’aime pas les conflits, mais finalement, il a voulu me voir avant que je ne parte. L’échange avec M. Trottignon a été houleux jusqu’à ce que je lui parle de ce par quoi j’étais passé.
Et vu que tu revenais de blessure, un contrat de quatre ans, c’était une aubaine ?
Bien sûr, tout l’été de fin juin à ma signature en août, je savais que je n’entrais pas dans les plans de Frédéric Antonetti à Rennes. Entre fin juin et mi-août, aucun club n’avait misé sur moi, aucun appel pour mon agent, et c’était dur. Je me suis dit : « Personne ne croit en moi, si je reste à Rennes cela se passera mal, il ne me restera qu’un an de contrat, et après ? Qu’est-ce que je vais faire ? Je n’ai pas de diplômes, j’ai fait construire une maison que je n’ai pas terminé de payer… Comment je vais la payer ? » Cela peut vite être une descente aux enfers, et quand je l’ai dit à Trottignon, il a changé de ton, je pense qu’il a compris ma position. Si c’était à refaire, je ferais exactement pareil.
En août 2010, tu dis avoir failli mourir quand tu t’es abîmé un rein dans un choc avec Raynald Lemaître. Au moment du choc, as-tu pensé que ta carrière de footballeur était terminée ?
On m’a dit que la convalescence serait longue, mais ce n’était qu’un choc, pas une maladie. C’est moi dans une deuxième phase qui me suis dit : « J’arrête » , à l’hôpital, au bout de deux semaines. Ma femme m’a dit de réfléchir, de prendre le temps. En retournant chez moi, en allant au centre d’entraînement, en voyant les gars, en allant au stade ou en regardant les matchs à la télé, je me suis dit : « Fab, t’as 23 ans seulement, tu n’as rien d’autre… » , je pense que cette peur-là aussi a joué pour que je reprenne le foot. Quand j’ai commencé à me préparer pour revenir, je suis devenu une machine, tous les jours je bossais et quatre mois après l’accident, j’ai repris le 18 décembre à la maison contre Valenciennes, alors que j’avais été opéré le 19 août.
Cela t’a apporté quelque chose, cet accident ?
Je ne sais pas, mais en tout cas, j’ai un regard différent. Je profite plus des moments, surtout avec mes enfants, ma femme, la famille. Dans les jours qui ont suivi mon opération, quand je suis redevenu autonome, j’avais conscience de toutes les petites choses autour de moi qui d’habitude passent inaperçu. Quand j’ai revu ma fille de neuf mois à l’époque pour la première fois, c’était extraordinaire. Les enfants ont conscience de plus de choses qu’on ne le croit.
Le 18 décembre de la même année, tu rentres deux minutes contre Valenciennes en Ligue 1, alors que le score est de 0-0. Tu tires un corner qui se conclut en but de Kana-Biyik et on a l’impression que tu viens de gagner la Coupe du monde…
Pire. Je ne m’attendais pas à être dans le groupe, je ne m’attendais pas non plus à entrer. Le coach m’a demandé de m’échauffer, mais il restait deux minutes, donc je pensais que c’était trop tard, mais il s’est tourné vers moi et m’a dit : « Fabien, enlève la chasuble, tu entres ! » J’étais comme un fou. Il y a eu une série de corner, je suis allé les tirer, car je n’avais pas touché le ballon, j’avais le droit de me faire plaisir (rires). Le premier corner je le rate, le deuxième, cela donne un but. Il n’y avait pas énormément de monde dans le stade, mais j’étais dans un état second.
Et à ce moment, tu ne fêtes pas le but….
Je fête mon retour (rires). Après le match, toute ma famille et mes amis devaient venir chez moi, on a fait péter le champagne. Ma femme m’a dit que dans sa tribune, réservée aux familles du club, aux kinés, il y avait des gens qui pleuraient à mon entrée. C’est pour ça que j’ai des rapports forts avec certains à Rennes.
Tu as dit que c’était le plus beau jour de ta vie footballistique…
Sportivement, c’est sûr qu’on a gagné un trophée à Saint-Étienne, mais ce n’est pas pareil… Rennes-Valenciennes, il n’y aura jamais de moments plus forts. Avec Saint-Étienne, j’ai eu des bonheurs collectifs, mais le jour de Rennes-Valenciennes, les trois points je n’y ai pas pensé, c’était une victoire personnelle. Je suis revenu, j’ai été décisif, je me suis dit que cela me referait basculer dans le positif plus vite vis-à-vis des autres joueurs, de l’entraîneur, du public… Ce sera toujours le moment fort de ma carrière, ce 18 décembre.
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