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Eyraud, ministre idéal à l’insu de son plein gré ?
Un remaniement s’annoncerait. Parmi les postes à pourvoir, celui de ministre des Sports serait potentiellement vacant, malgré les bons services rendus par la dévouée Roxana Maracineanu. Forcément, des noms ont commencé à tourner entre « gens bien informés », dont celui de Jacques-Henri Eyraud, qui a immédiatement démenti le sourire aux lèvres. Pourtant, cette peu probable nomination s’avère en fait complètement logique, dans la suite de la politique sportive du gouvernement et du rapport du président de la République au foot.
« C’est une galéjade. » Le boss marseillais a balayé d’un revers argotique les bruits qui circulent à son propos et qui le voient entrer au gouvernement. Voilà pour ce que l’on sait au moment où nous écrivons ces quelques lignes, sachant que, sans remettre en doute sa parole, tous les retournements de positon sont possibles et justifiables, en politique comme dans le foot.
L’ancien monde du sport
Car, si son nom apparaît, il ne le doit pas seulement à l’affection qu’Emmanuel Macron n’a jamais cachée pour les Phocéens. Il est même allé s’amuser comme un enfant, avec malgré tout un certain sens de la comm’, à la Commanderie, le temps d’un entraînement. De fait, un tel choix symboliserait l’aboutissement de la doctrine sportive du macronisme, si tant est qu’il puisse s’agir d’une idéologie. Certes, l’actuelle ministre a été un fidèle soldat, essuyant souvent les plâtres. Elle a su monter au front lors des polémiques, ou encore récemment lors de son audition houleuse au Sénat autour de la question de la radicalisation dans le sport où elle dut répondre aux attaques de l’opposition parlementaire. Elle essaie tant que bien que mal de porter sur les fonts baptismaux son projet de loi « sport et société » . Elle a mené à terme une réforme de la « gouvernance » du sport aboutissant à la création de l’Agence nationale du sport. Elle a même dû se coltiner parfois un petit monde du ballon rond pas simple à manœuvrer, que ce soit sa bataille avec Jean-Michel Aulas autour de la reprise de la Ligue 1, ou sa volonté d’ouverture plutôt courageuse envers les supporters après un premier épisode crispant concernant les chants homophobes.
De la sorte, si son bilan se révèle objectivement loin d’être négligeable, elle incarne peut-être encore un peu trop un profil classique, du « monde d’avant » , de ministre des Sports. Une ancienne championne, olympique qui plus est, qui par capillarité politique, accède à un strapontin ministériel, où, bien entourée, elle traduit la politique gouvernementale dans son domaine « de compétence » . Certes, l’ancienne nageuse, aguerrie par son passage d’élue socialiste au conseil régional d’Île-de-France, avait les épaules plus larges et une présence plus grande pour porter les dossiers et se faire une petite place à l’ombre de Jupiter, plus que son prédécesseur, assez effacée, Laura Flessel.
Casser les codes
Eyraud casserait de fait beaucoup de codes. Jusqu’ici, les footeux ont été peu nombreux à venir hanter les ors de la République, qui allaient généralement se fournir dans les disciplines « nobles » (athlétisme, judo, etc.). Le dernier en date fut un certain Thierry Braillard, avocat de joueurs et proche de l’OL, dont au passage le dir cab’, Cyril Mourin, est aujourd’hui un des conseillers sport de l’Élysée. En nommant un président de club pro – et pas n’importe lequel –, le gouvernement enverrait un message clair quant au changement de paradigme dans son approche du sport en France, dont on se demande comment il serait reçu au CNOSF, tant on sait que le football se soucie fort peu de ce qui se passe du côté des notables de la « grande famille » olympique. Enfin, il s’agit aussi et d’abord d’un chef d’entreprise, version « mondialisation heureuse » , passé par Disney, porté sur les problématiques médiatiques du sport spectacle. Toutes ces caractéristiques donneraient corps à une tendance lourde « en marche » depuis l’arrivée au pouvoir de l’ancien ministre de l’Économie de François Hollande : le recentrage de l’État sur le haut niveau et l’élite (via ses compétences régaliennes comme le fisc ou la loi). Aux collectivités et fédérations de s’occuper du sport pour tous dans le cadre de l’ANS, et de trouver les financements. Sans oublier au passage que de nombreux conseillers du prince ont clairement affirmé leur conviction quant au fait que le rôle des associations pouvait très bien être comblé par le « privé » , salle de sport et five par exemple.
Enfin, recruter du côté de l’OM ne se révélerait pas non plus complètement neutre. Le club et son identité se sont parfaitement inscrits dans le storytelling du macronisme originel. L’OM incarne la mise en exergue de la réussite d’une « entreprise » , un des rares clubs français qui a su exporter son audience au-delà de l’Hexagone, par exemple en Afrique, tout en conservant une image populaire. Bref une réussite avec la seule C1 tricolore, qui rayonne sur un versant « France d’en bas » qui semble désespérément manquer à l’actuelle majorité. Jacques-Henri Eyraud est bien le candidat idéal. Le jeu en vaut-il seulement la chandelle pour lui ?
Par Nicolas Kssis Martov