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Existe-t-il un secret pour réussir son tir au but ?
Qui dit fin de saison dit finales, et donc, potentiellement, séances de tirs au but. Un exercice étrange et cruel, en complète rupture avec l'intensité du match, et que l'on décrit souvent comme une « loterie ». Mais peut-on dompter le hasard ?
Le 17 mars dernier, un stade Vicente-Calderón bouillant s’apprête à assister à une séance de tirs au but entre son équipe de cœur et le Bayer Leverkusen, avec, à la clé, une place en quarts de finale de la Ligue des champions. Premier tireur pour l’équipe allemande, Hakan Çalhanoğlu, étoile montante du football turc, déjà reconnu par ses pairs comme un maître artificier sur coups de pied arrêtés, rate complètement sa frappe, bien trop écrasée, et l’envoie directement sur le gardien madrilène, alors que Raúl García, premier tireur de la séance, avait envoyé la sienne au-dessus. Derrière, évidemment, son équipe s’écroule et rate deux nouvelles tentatives. Mercredi dernier, rebelote pour le Bayer, avec une nouvelle séance de tirs au but décisive face au Bayern, pour une place en demi-finale de la Coupe d’Allemagne. Cette fois-ci, le jeune numéro 10 s’avance face à Neuer et le prend tranquillement à contre-pied en plaçant une mine dans sa lucarne. Mais alors, comment un même joueur peut-il obtenir deux résultats si différents dans un même exercice, à moins d’un mois d’intervalle ?
Maîtriser le coup de pression
Une affaire de pression, évidemment. C’est la théorie développée par Geir Jordet, ancien footballeur norvégien reconverti en docteur de la psychologie du sport : « Les paramètres qui comptent tournent autour d’un sujet unique : la pression et comment composer avec. Cela n’a rien à voir avec le football. C’est de la psychologie. » Au cours de son étude, Jordet a ainsi défini quatre grands moments distincts où l’on constate une montée de l’anxiété chez les tireurs lors d’une séance de tirs au but. D’abord, le moment de la désignation des tireurs, sur le bord du terrain. Ensuite, l’attente dans le rond central. Puis la « marche solitaire » vers le point de penalty. Enfin, le moment fatidique de l’exercice, où le tireur se retrouve face au gardien, le ballon au sol. Les conclusions montrent que les moments les plus stressants sont les phases 1 et 2, et plus particulièrement l’attente dans le rond central, où au lieu de se concentrer sur leur tir à venir, les joueurs désignés ont tendance à se laisser envahir par des émotions négatives, et notamment si le groupe n’affiche pas un sentiment d’union collective. Enfin, l’échec à une séance nourrit la potentialité d’un nouvel échec, les émotions négatives affectant plus les joueurs que les sentiments positifs.
Trouver le tir parfait
Mais une fois ces données psychologiques prises en compte, n’est-il pas possible de dompter le stress inhérent à l’exercice par une qualité technique sans faille, c’est-à-dire d’avoir l’assurance de réaliser le « tir parfait » ? C’est l’avis de Clive Woodward, sélectionneur champion du monde avec le quinze de la Rose, appelé par Southampton pour améliorer ses résultats dans l’exercice en 2005, en tant que Performance Director. Après avoir installé des caméras à différents angles d’une cage, il analyse les résultats des différents tireurs. « Tout était différent. Or, pour frapper un ballon arrêté, il faut avoir une routine et s’y tenir. Faire la même chose, encore et toujours. » Comme un certain Jonny Wilkinson, finalement. « À la fin de chaque séance, je demanderais à chaque joueur de tirer un penalty et je les invectiverais de la façon suivante : « Personne ne s’en va tant que tout le monde n’a pas marqué. (…) Je ferais en sorte que les conditions du tir au but soient réunies au maximum. C’est-à-dire qu’il faudrait attendre cinq minutes après la fin de l’entraînement avant de lancer les penalties. Faire patienter les joueurs dans le rond central et leur imposer de traverser un demi-terrain. Trouver un arbitre pour donner le coup de sifflet. » Et le public dans tout cela ? « Chaque match de Premier League devrait se terminer par une séance de tirs au but, quel que soit le score. Elle n’aurait pas d’autre raison d’être que d’habituer les joueurs anglais à tirer des penaltys. »
L’époque du gardien roi
Sacré programme. D’autant que, comme pour faire l’amour, il faut être deux pour un tir au but. Et à ce petit jeu-là, l’adversaire du tireur a bien évolué. Aujourd’hui, les gardiens de classe internationale sont peu nombreux à favoriser leur instinct, comme pouvait par exemple le faire Fabien Barthez lorsqu’il était confronté à cet exercice. En effet, de plus en plus de portiers sont assistés par des analyses poussées des tireurs, réalisées conjointement avec leur entraîneur des gardiens, comme nous le confiait Christophe Lollichon, à l’occasion des dix ans de Petr Čech en Ligue des champions, au moment d’évoquer la victoire contre le Bayern Munich, en 2012 : « Moi, je m’étais quand même payé l’ensemble des penaltys tirés par le Bayern depuis 2007, ça représentait 29min30 de penalty. Du coup, quand on arrive au match, on sait qu’on n’est pas les favoris, mais qu’on a fait le taf. Quand on arrive à la séance des tirs au but, Čech vient vers nous et dit : « Alors ? » Hilario, le gardien portugais, lui dit : « Eh ben voilà, tu sais tout maintenant, c’est ton talent qui va faire la différence et nous faire gagner la Ligue des champions. » » Une Ligue des champions à laquelle Çalhanoğlu évitera assurément de penser au moment de tirer son prochain tir au but.
Par Paul Piquard
Propos de Geir Jordet et de Clive Woodward tirés de Onze mètres : la solitude du tireur de penalty de Ben Lyttleton, ceux de Christophe Lollichon recueillis par Martin Grimbergs