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Évra et Monaco, souvenirs d’un mariage réussi

Par Romain Duchâteau et Maxime Brigand
8 minutes
Évra et Monaco, souvenirs d’un mariage réussi

Si le quart de finale retour de Ligue des champions entre Monaco et la Juventus est grandement attendu, il revêt aux yeux de Patrice Évra une importance toute particulière. En trois ans et demi passés sur le Rocher (2002-2006), l'actuel Bianconero s'est fait un nom dans l'Hexagone. C'est aussi là qu'il a fait l'apprentissage du haut niveau et que l'équipe de France lui a ouvert ses portes. Retour sur une période charnière où l'international tricolore ne lâchait pas encore des punchlines à tout-va.

Les hommes sur la route inéluctable du crépuscule ont leurs privilèges. Ils sont à la fois rares et précieux. Parmi ceux-là, il y a cette chance, inouïe et inestimable, de contempler en pleine conscience le chemin parcouru. De se rappeler, souvent avec tendresse, ses premiers pas. Ce mercredi, Patrice Évra va, lui, faire mieux que d’y repenser, il va revenir en terre monégasque. Là où la France l’a découvert. Là où sa carrière a véritablement commencé. Ce privilège de voir resurgir ses débuts au plus près lui a valu cette confession, empreinte d’une nostalgie palpable, au micro du Canal Football Club dimanche : « Monaco, ça représente beaucoup pour moi. La belle amitié que j’ai avec le prince, tout ça… C’est retourner à la maison et je n’aime pas ça. Quand je joue contre une équipe, j’aime bien avoir cette envie de tuer mon adversaire dans le bon sens du terme. C’est ça qui va un peu me manquer, donc je vais essayer de mon concentrer » . La parole de l’actuel latéral gauche de la Juventus se veut rare dans les médias français. Donc il convient, en l’occurrence, de lui donner toute l’attention qu’elle mérite. Car si l’AS Monaco a su profiter de ses qualités lors d’un improbable périple en 2004, c’est Évra qui doit avant tout beaucoup au club de la Principauté.

« Tu n’es personne. Il faut que tu bosses »

À trente-trois piges, l’âge du Christ, l’international tricolore (65 sélections) a eu plusieurs vies. Il y a celle improbable, ébouriffante et qui force le respect dans les bas-fonds du football italien. Mais l’épisode de trois ans et demi à l’ASM constitue, sans doute, le virage le plus déterminant dans son parcours. Quand il débarque sur le Rocher à l’été 2002, personne ne connaît son nom. Ou presque. Le gamin de Dakar, vingt et un ans à peine, sort de deux saisons en Ligue 2 et a participé activement à la remontée de l’OGC Nice dans l’élite (élu meilleur latéral gauche de D2 en 2002). Mais le club azuréen, à l’économie exsangue, est contraint de s’en séparer. Si l’AJ Auxerre est tout proche de le faire signer, c’est finalement Monaco qui s’attache les services d’un joueur encore en phase d’apprentissage, mais d’un homme à l’ambition déjà bien affirmée. « Mon objectif : gagner le titre et être élu meilleur latéral gauche de Ligue 1 » , lance-t-il, plein d’aplomb, lors de sa présentation à la presse.

« C’est vrai, quand je suis arrivé à Nice, en 2000, j’avais le cigare, je pensais que j’allais me balader parce que de grands clubs italiens s’étaient intéressés à moi (Juve, AC Milan et Inter, ndlr). Je ne connaissais même pas la couleur du maillot. J’avais la grosse tête, je la jouais un peu relâché, le gars sûr de sa force, qui se prenait un peu pour un autre, exposait-il, sans ambages, il y a près de dix ans. Et puis, je me suis rendu compte que ça ne pouvait pas durer. Quand j’ai eu la chance de me retrouver à Monaco, deux ans plus tard, je me suis surtout dit : « Tu n’es personne. Il faut que tu bosses ». C’est pour tout ça que je crois au mérite. Tout ce qui m’arrive, ce n’est pas un rêve. J’ai suffisamment mangé mon pain noir. » Parce que dès son arrivée, Patoche, au gré de prestations immaculées, a rapidement éteint toute concurrence au poste de latéral gauche. « Il s’est imposé tout de suite, se remémore Nicolas Raynier, qui l’a brièvement côtoyé en Principauté.On ne le connaissait pas avant qu’il arrive à Monaco, mais il a pris la place de tout le monde, notamment de Gaël Givet. Et il ne l’a laissée à personne ensuite. Je me souviens que Sébastien Carole, qui s’entraînait avec le groupe professionnel et revenait le week-end avec nous en CFA, me disait : « Il y a un arrière gauche, il est impassable ! » Sachant qu’il jouait ailier seulement quelques années plus tôt, c’est quand même pas mal » .

Deschamps, son mentor

Ailier durant sa période italienne, le défenseur français évolue depuis son passage à Nice en tant que latéral gauche. C’est l’entraîneur Sandro Salvioni qui l’a définitivement installé à ce poste à l’époque. Après une première saison prometteuse sur le plan personnel et collectif (vice-champion de France et vainqueur de la Coupe de la Ligue 2003), la cuvée 2003/2004 offre à Évra la reconnaissance. À travers le parcours monégasque en L1, mais surtout l’épopée de la « bande d’escrocs » , comme il le clamera des années plus tard en Champions League, il étale ses qualités. Sémillant, bondissant, véloce et solide dans les duels, il se distingue en outre par un caractère bien affirmé. Et cela, malgré son jeune âge. « Lors de mon premier match avec les pros, il m’a pourri parce que je ne lui avais pas donné une passe, alors qu’il partait au but, relate Raynier. J’ai revu cette action la dernière fois à mon mariage et on le voit en gros plan en train de gueuler(rires). » Et François Modesto, son ex-partenaire durant un an et demi (2004-2006), de dessiner en détails les contours de sa personnalité : « Il est décrié, critiqué, alors qu’il n’est pas comme on le prétend dans les médias. Pour l’avoir connu personnellement, il n’est pas comme on le dit. Il avait une place importante dans l’équipe. C’était un garçon tranquille, il ne créait pas de problèmes, il rigolait. Deschamps lui avait donné ce rôle important et c’était l’un de nos leaders » .

Justement, Didier Deschamps a joué un rôle majeur dans la progression et l’ascension du latéral. Sous la férule du champion du monde 98 qui voit en lui un « Lizarazu en plus jeune » , Évra a franchi les étapes sans discontinuer. Et s’il a été élu meilleur espoir et membre de l’équipe type de L1 aux trophées UNFP en 2004, c’est en grande partie grâce à son mentor. « Honnêtement, c’est le coach qui m’a fait prendre une nouvelle dimension. De toute manière, il m’a toujours dit qu’il ne me lâcherait pas. Il y a eu un gros travail psychologique de sa part pour que, progressivement, je raisonne comme un vrai défenseur, reconnaissait-il cette même année. Je me suis rendu compte que je n’avais pas la même explosivité sur les gestes défensifs qu’offensifs. Je préférais faire vingt centres dans le match plutôt que de tacler sur la ligne, ou faire une belle fermeture. Maintenant, c’est le contraire : je prends du plaisir à tacler, à faire de belles couvertures. À mon poste, et vu le jeu que pratique l’équipe, je me dois de garder un certain équilibre entre mes montées et mon travail défensif. » Modesto a également été témoin de l’estime réciproque que se portaient les deux hommes : « Il y a une aventure d’hommes entre eux. Ils se sont connus au début de leur carrière respective au haut niveau. Ils ont connu des moments forts, gagné des titres ensemble. Patrice ne l’a jamais déçu sur le terrain. Et Didier était content de ça et savait qu’il pouvait compter sur lui » .

Une romance qui finit en eau de boudin

Avec la Dèche, Patrice étoffe aussi sa panoplie. S’aguerrit face à l’exigence du haut niveau. S’adapte sans sourciller aux demandes du coach. Comme celle d’évoluer, parfois, en tant que milieu gauche. Un poste qu’il avait d’ailleurs déjà appréhendé dans le 3-5-2 de Raymond Domenech chez les Espoirs Bleus. Surtout, le tricolore apprend à haïr la défaite, à cultiver le goût de l’effort. « Je sais que j’ai encore une grosse marge de progression et je compte bien faire les efforts nécessaires pour atteindre le haut niveau. Je veux toujours plus. Je suis dur avec moi-même. Sans doute parce que mon parcours n’a pas été des plus simples. Aujourd’hui, je tiens avant tout à être efficace à défaut d’assurer le spectacle » , assurait le principal intéressé en mars 2004. Ses belles performances finiront par taper dans l’œil du boss Jacques Santini, qui lui accorde sa première sélection à l’occasion d’un match amical contre la Bosnie-Herzégovine, en août 2004. La romance avec l’AS Monaco va, toutefois, prendre du plomb dans l’aile au fil du temps. La faute à l’affaiblissement de l’équipe, causé par les départs successifs de cadres comme Giuly, Rothen, Pršo ou Morientes (retour de prêt au Real Madrid) à l’été 2004. Mais c’est celui de Deschamps, en septembre 2005, qui, conjugué à l’élimination en tour préliminaire de C1, infléchit le cours de son aventure monégasque.

Ambitieux, aspirant à un club plus huppé, le latéral accueille avec félicité l’intérêt de Manchester United à son égard, au mercato hivernal de 2006. Mais l’issue met du temps à se décanter. Gérard Brianti, vice-président de l’ASM alors en charge des transferts, refuse, dans un premier temps, péremptoirement un hypothétique transfert. « Il m’a dit qu’il me restait deux ans de contrat et que, de ce fait, je ne pouvais pas prétendre à un départ, expliquait Évra en janvier 2006. Il m’a parlé comme quelqu’un qui défendait les intérêts de l’ASM, sans respecter ma position. Personnellement, je l’ai mal pris. Son comportement m’a vexé. C’est pour cela que je ne suis pas revenu tout de suite à l’entraînement. Je ne comprenais pas la position plutôt inflexible de Gérard Brianti. » Ce dernier, constatant qu’il ne peut retenir le joueur contre son gré, entame alors à son insu des négociations avec l’Inter Milan dans le but de faire monter les enchères, le défenseur étant pourtant en contacts avancés avec les Red Devils. Finalement, le transfert aboutit et l’ASM récupère 7,5 millions d’euros pour la vente du Français. « Monaco est un grand club mais, aujourd’hui, je vais dans un plus grand club que Monaco. Manchester, ce n’est pas n’importe où. C’est un choix et ça ne veut pas dire non plus que je n’ai pas le cœur gros de partir, justifiait-il, ému, à son départ. Ça me fait vraiment mal et je ne le dis pas pour faire bien, ce n’est pas du bluff. Je ne remercierai jamais assez Monaco pour tout ce qu’il m’a apporté. Si je signe à Manchester, c’est aussi grâce à Monaco. Je suis fier d’avoir porté ces couleurs et j’aimerai ce club pour toujours. » Ce mercredi soir, dans le regard de Patrice Évra, il n’y aura pas seulement le reflet des lumières rutilantes du stade Louis-II. Il y aura aussi de la nostalgie.

Dans cet article :
Les notes de Monaco-PSG
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Par Romain Duchâteau et Maxime Brigand

Tous propos recueillis par RD, sauf ceux de Patrice Évra extraits de L'Équipe et France Football

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