- Euro 2012
- Politique
- Ukraine
Evguenia Timochenko : « Je n’instrumentalise rien »
Ukraine-France, c’est à 18h. Mais, dès ce midi, à deux pas de l’église de la communauté ukrainienne, la mairie du VIe arrondissement de Paris organisait un hommage à l’ex-Première ministre ukrainienne Ioulia Timochenko. Cette rivale du président Viktor Ianoukovitch a été condamnée à sept ans de prison, en octobre 2011, par ses opposants qui l’accusent d’abus de pouvoir. Elle est détenue à l'hôpital de Kharkov depuis le 9 mai, après avoir fait une grève de la faim pendant près d’un mois pour dénoncer un procès qu’elle estime injuste et les violences qu’elle déclare avoir subies en prison. Nous avons rencontré à la cérémonie d'aujourd'hui sa fille de 32 ans, Evguenia Timochenko, sur fond d’Euro 2012.
Evguenia, l’Ukraine et la Pologne ont obtenu dès 2007 l’organisation de l’Euro 2012. Aujourd’hui, la compétition peut-elle vous aider à faire libérer votre mère, Ioulia Timochenko ? Depuis le départ, cette compétition est censée avant tout être une grande fête sportive. En organisant des matches, l’Ukraine a l’intention de montrer qu’elle est bien une nation européenne. Moi, en tant que fille de leader de l’opposition, je n’instrumentalise rien. C’est le régime au pouvoir dans mon pays qui instrumentalise l’Euro. Le président Ianoukovitch et ses hommes utilisent l’événement à des fins politiques avant les élections législatives d’octobre. On dit même que, avec la corruption, deux à trois milliards d’euros destinés à l’organisation de l’Euro seraient allés dans leur poche.
Plusieurs gouvernements européens, dont la France, ont décidé de boycotter les matches de l’Euro en Ukraine pour soutenir votre cause. Que répondre à ceux qui affirment qu’une compétition de sport doit rester apolitique ? En principe, oui, la compétition devrait être apolitique. Mais en réalité, chaque Euro ou chaque Coupe du monde a bien sûr une dimension politique. Disons que le plus important est de bien faire la différence entre l’aspect politique et l’aspect sportif. Si les leaders européens boycottent l’Euro en Ukraine, c’est parce qu’ils ne sont pas d’accord avec ce que fait l’État ukrainien et ils ont raison de ne pas légitimer le régime. Ils ne peuvent pas dire que tout va bien, car tout ne va pas bien. De leur côté, les joueurs n’ont pas à boycotter l’Euro, parce qu’en ce qui les concerne, la compétition n’est qu’un événement sportif.
Le boycott diplomatique représente-t-il une arme efficace ? C’est en fait la première action concrète à mener contre le régime. Là, il ne s’agit pas simplement de déclarations, c’est une action bien réelle qui sert à montrer qu’à l’étranger, on n’accepte pas la situation en Ukraine. Évidemment, Ianoukovitch et son entourage ont essayé d’étouffer ces contestations extérieures, mais c’est trop tard. Pour le gouvernement actuel, le boycott est un gros coup dur. Maintenant, à cause de ces actions, le régime ukrainien est isolé. Il s’est éloigné du peuple en s’enrichissant par la corruption, en tuant la démocratie et la liberté.
L’Euro permet de lever le voile sur la situation en Ukraine, où une grande partie de la classe politique s’est compromise aux yeux de la population. Faut-il définitivement oublier l’éventuelle adhésion de votre pays à l’Union européenne, qui avait à une époque été envisagée pour 2015 ? De manière indirecte, le sport est probablement en train de sauver la démocratie en Ukraine, parce que l’Euro montre la situation telle qu’elle est. Actuellement, le comportement du régime ukrainien rend impossible pour mon pays la signature de tout accord d’association avec l’Union européenne. Rien n’a donc été signé à cause de ce gouvernement, or cette signature constituerait la première étape avant de pouvoir demander l’adhésion à l’Union européenne.
Propos recueillis par Adrien Pécout