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Everton ravive la flamme
Si la Seleção réalise pour l'instant une Copa América aboutie, le public brésilien n'a depuis le début du tournoi qu'un nom à la bouche : celui d'Everton. Préféré à Lucas, Douglas Costa ou Willian dans la liste initiale de Tite, l'ailier gauche du Grêmio a su profiter du forfait de Neymar et des sorties timides de David Neres pour gratter du temps de jeu. Et injecter à son pays une bonne dose de joga bonito, à même de lui redonner goût à son équipe nationale. Samba !
« Nous ne nous sentons pas à domicile. » La sentence, datée du 14 juin, est signée du capitaine de la sélection brésilienne Dani Alves, frustré de n’avoir pas ressenti d’élan populaire derrière son équipe lors de son entrée dans sa Copa América face à la Bolivie. Un homme, néanmoins, parvient depuis le début du tournoi à rassembler les foules.
Au point de voir le Morumbi (São Paulo), et l’Arena Fonte Nova (Salvador da Bahia) scander son nom : Everton Sousa Soares, plus communément appelé Everton. Il faut dire que depuis le début de la compétition, l’ailier du Grêmio Porto Alegre fait tout ce qu’il faut pour se mettre le public brésilien dans la poche.
Petit oignon donne du piment
Il marque des buts, déjà. Un contre la Bolivie (3-0) en ouverture du tournoi pour clore le score quatre minutes seulement après son entrée en jeu, et un contre le Pérou (5-0) pour tripler la marque afin d’assurer définitivement à la Seleção la première place du groupe A. Deux buts fort jolis, assez similaires dans leur conception : trouvé côté gauche, l’ailier rentre dans l’axe, fixe, élimine et déclenche une frappe soudaine du droit. Enroulée, la première a cloué Carlos Lampe, le portier bolivien, sur sa ligne. Plus puissante et limpide, la seconde a transpercé Pedro Gallese, le gardien péruvien. Muet lors de ses six premières sélections, Everton en est donc désormais à deux caramels. Ce qui, à l’issue de la phase de poules, le place en tête du classement des buteurs (à égalité avec huit autres joueurs, dont Philippe Coutinho) d’une compétition dont il est déjà le grand frisson. Mais si la torcida l’adule et le réclame, ce n’est pas tant pour ses buts que pour ses dribbles. Car le gamin de Maracanaú, ville de 221 000 habitants située dans le Nord-Est du pays non loin de Fortaleza dans l’État du Ceará, est avant tout un dribbleur né.
« Quiconque grandit en jouant au foot dans la rue, pieds nus, sur des terrains sans herbe, apprend à dribbler d’une manière ou d’une autre » , théorisa-t-il un jour face à la presse. Cette arme fait aujourd’hui le bonheur du peuple auriverde, orphelin de Neymar et de ses inspirations, et nostalgique d’un football pensé et incarné par les Canarinhos : celui du joga bonito. Un football où la manière et le spectacle priment sur le résultat, ou sont au moins indissociables de celui-ci. Là où Everton est désigné par la majeure partie de la presse internationale comme « l’homme qui a fait oublier Neymar » , les médias brésiliens ont ainsi plutôt tendance – comme Globo Esporte – à d’abord considérer le Cearense comme « l’homme qui a rendu la joie au Brésil » . Une joie suivie de près par l’ambition, dans le sillage d’une Seleção conquérante et de celui que tout le monde au pays a coutume d’appeler Cebolinha ( « Petit oignon » en VF). Ce surnom, Everton ne le doit pas à sa capacité à faire pleurer les défenseurs, mais à sa ressemblance présumée avec Cebolácio (dit Cebolinha, personnage phare de la BD brésilienne Turma da Mônica). Sobriquet attribué à son arrivée au Grêmio par l’un de ses coéquipiers, Pará, amusé par sa coupe semblable à celle de Cebolinha donc : rasé à blanc sur les côtés, et quelques cheveux au milieu.
Coup de blues, coup de froid et coup de l’été
Mais quand il débarque à seize ans dans le Rio Grande do Sul, à plus de 4000 kilomètres de son Nordeste natal en provenance du Fortaleza Esporte Club, Everton n’a pas envie de rire. Non seulement il doit combattre la saudade, celle-là même qui l’a incité à quitter ado l’État de São Paulo où il était parti tenter sa chance au club de São Bernardo. Mais sans un poil sur le caillou, il doit en prime se faire au froid, les hivers étant plutôt vigoureux dans le Sud du pays. Son salut passera – rapidement – par le terrain. Initialement prêté, le gamin est définitivement transféré et intégré au groupe pro par Enderson Moreira fin 2013.
Le 19 janvier 2014, à même pas 18 ans, le Nordestino gratte ses premières minutes sous le maillot du Tricolor lors d’un match face à São José comptant pour le Campeonato Gaúcho, le championnat d’État. Trois mois plus tard, le 20 avril, il dispute son premier match dans l’élite brésilienne. La success story est lancée. Il faut néanmoins attendre 2015 pour voir l’ailier réellement décoller, et inscrire son premier but en Serie A lors d’un succès (2-1) face à Goiás à la Grêmio Arena. Un stade dont il a fait son terrain d’expression favori : sur les 57 buts qu’il a inscrits en pro, près de 65% l’ont été dans l’enceinte qui va voir son Brésil affronter le Paraguay en quarts de finale de la Copa América.
Remplaçant de Neymar… aussi à Paris ?
Un match aux allures d’au revoir pour Everton, dont la dernière apparition à Porto Alegre le 30 mai s’est soldée par un but, une qualif’ pour les quarts de la Coupe du Brésil aux dépens de Juventude (3-0) et une décla d’après-match lourde de sens devant les médias : « Si je ne devais plus jouer pour le Grêmio, je partirais la tête haute, avec le sentiment du devoir accompli. J’ai réussi à inscrire mon nom dans l’histoire du Grêmio, et je suis très heureux de tout ce que j’ai vécu ici. » Difficile de le contredire : en cinq saisons et demie dans le club formateur de Ronaldinho, le Grêmista n’a pas seulement connu une progression linéaire et mesurable au nombre de matchs disputés (quatorze en 2014, 28 en 2015, 47 en 2016, 59 en 2017) comme à celui de buts marqués (deux, cinq, huit, onze) et dont le point culminant se situe en 2018 avec un exercice à 19 pions (plus une nomination dans l’équipe type du championnat et deux premières capes sous le maillot auriverde en fin d’année).
Il a également largement œuvré à la conquête de quatre trophées, de la Coupe du Brésil 2016 au Gauchão 2019 en passant par la Copa Libertadores 2017 et la Recopa Sudamericana 2018 (l’équivalent de la Supercoupe d’Europe). Collection à laquelle manque seulement le titre de champion du Brésil, qui fuit le Grêmio depuis 1996. Auteur cette année de dix buts en 21 matchs sous le maillot de son club, Petit oignon semble à 23 ans mûr et paré à l’export. De sources brésiliennes, l’AC Milan de Leonardo faisait partie en mai de la liste des clubs sur le coup. Toujours d’après les médias locaux, Leo aurait encore un œil sur son compatriote depuis la capitale. Et s’il n’y avait pas qu’au pays que Cebolinha faisait oublier le Ney ?
Par Simon Butel