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Evergrande, le rêve chinois était un peu trop beau

Par Nicolas Jucha
6 minutes
Evergrande, le rêve chinois était un peu trop beau

Le plus grand groupe immobilier de Chine accuse une dette équivalente à 260 milliards d'euros et menace de faire vaciller toute l'économie nationale. Quel lien avec le football ? Le proprio Xu Jiayin s'était payé le club de football de Canton, en 2010. Huit titres de champion national, deux Ligues des champions asiatiques en une décennie, et bientôt le néant ? Dans l'ombre, Pékin n'a pas forcément intérêt à laisser mourir le soldat Guangzhou FC...

Le South China Morning Post évoque un chantier démesuré quasiment à l’arrêt, avec seulement « quelques ouvriers » présents sur site. On est fin septembre, et le Guangzhou Football Stadium a mauvaise mine : à moitié construit, et peut être voué à ne jamais être achevé. Pensé avec un design ultra moderne en forme de lotus, le futur – ou ex-futur – stade de football du Guangzhou FC devait dépasser la capacité du Camp Nou avec ses 100 000 places et toutes ses activités périphériques de loisirs, cinémas, restaurants ou encore boîtes de nuit. La livraison initialement prévue ? Fin 2022. La livraison effective ? Tout dépendra de l’évolution des déboires de la maison mère Evergrande, propriété de l’homme d’affaires Xu Jiayin, et propriétaire du Guangzhou FC.

Autant le dire tout de go : pour le plus grand groupe immobilier de Chine, l’avenir de son club de football est le cadet des soucis. Avec une dette estimée à 260 milliards d’euros, près de 800 chantiers à l’arrêt et des millions de Chinois en colère qui manifestent régulièrement pour savoir si l’appartement qu’ils ont acheté sur plans va bien être terminé, Evergrande va déterminer une partie de l’avenir économique du pays-continent. Pour s’en rendre compte, il faut imaginer une dette équivalente à deux points de PIB et considérer son leadership dans un secteur économique qui représente 30% de l’activité économique chinoise, si l’on additionne à l’immobilier tous les secteurs qui interagissent avec lui. Mais alors qu’est venu faire le mastodonte dans un football chinois qui était plus que moribond en 2008 ?

Le foot « pour faire plaisir » à Pékin

« Xu Jiayin et Evergrande ne sont venus au football que pour faire plaisir aux gouvernements central et provincial », annonce calmement le professeur Simon Chadwick. Enseignant à l’EM Lyon Business School, il connaît bien l’économie du sport en Chine, ce qui lui permet de poser le contexte de l’arrivée du loup dans la bergerie. « À l’époque, après les JO 2008, le gouvernement central a fait comprendre aux investisseurs privés qu’il avait besoin de booster le football chinois. D’où ce grand mouvement d’investissements importants et d’achats de joueurs par des clubs chinois. » À côté des transferts spectaculaires de Nicolas Anelka et Didier Drogba à Shanghai Shenhua, pour des résultats mitigés, Xu Jiayin part dans du moins clinquant en rachetant le club de Canton, alors en seconde division. « Investir dans le football à ce moment-là, cela permet à Evergrande, comme aux autres investisseurs, de s’attirer les bonnes grâces de Pékin, voire de gouvernements locaux pour des acquisitions de marché, par exemple. Mettre plusieurs dizaines de millions d’euros sur un joueur étranger, c’est rentable si cela permet derrière de signer plusieurs gros projets immobiliers. » Parce qu’en gagnant des matchs et des trophées, on arrive à « promouvoir le pays ou la province, et cela donne clairement un avantage sur le business. ».

Si Xu Jiayin a été « appelé » par les autorités chinoises, c’est parce que le bonhomme fraye dans les hautes sphères. Né dans une famille modeste du Henan en 1958, orphelin de mère à seulement huit mois, l’homme le plus riche de Chine en 2017 et 2019 a construit sa trajectoire via une formation dans l’aciérie, avant de mettre à profit son opportunisme agressif pour se construire des réseaux – les « guanxi » comme disent les Chinois – lui permettant de fonder Evergrande en 1996, puis de surfer sur la croissance à deux chiffres chinoise au début du XXIe siècle. Xu Jiayin se positionne alors sur l’immobilier, secteur dynamique par excellence. « C’est un proche du Parti communiste et partisan de Xi Jinping », affirme Chadwick, sachant que le boss d’Evergrande a même sa carte de membre du PC et un siège à la Conférence consultative politique du peuple chinois. Il a l’oreille des grands, et donc du numéro un chinois, réputé amateur de ballon rond.

Guangzhou FC, un destin national

Très vite, en recrutant en priorité les meilleurs joueurs chinois disponibles et quelques joueurs étrangers à même d’apporter une plus-value sportive, le Guangzhou Evergrande monte en Chinese Super League puis joue le titre. Avant de les empiler dans le courant des années 2010, avec en point d’orgue deux victoires en Ligue des champions asiatique (2013 et 2015), alors que les clubs chinois y étaient plutôt réputés pour leur ridicules performances. Xi Jinping a de quoi se réjouir, et laisser libre cours aux envies de grandeurs de Xu Jiayin, quand ce n’est pas à leurs envies de grandeurs communes. Au hasard, l’exemple du stade en forme de lotus… « Le nouveau stade, c’est un projet national, analyse Simon Chadwick. Cela illustre la volonté de la Chine d’être leader mondial dans tous les domaines. Quand le projet a été lancé, en milieu de pandémie, il s’agissait clairement de passer un message au reste du monde : la Chine est puissante. » Ce projet dépasse le cadre du football, et donc la seule ambition de Xu Jiayin.

« Grâce à ce stade monumental à Canton, la Chine voulait se positionner pour d’autres projets, comme la rénovation de San Siro », explique le spécialiste de l’industrie sportive. Qui rappelle une info passée inaperçue auprès du grand public, mais qui souligne les intentions chinoises : « Le stade de la finale du Mondial 2022 au Qatar, le Lusail Iconic Stadium, fait l’objet d’une joint-venture(entre le Qatari HBK Contracting Co. W.L.L. (HBK) et China Railway Construction Corporation Limited (CRCC), NDLR). L’idée pour la Chine serait de participer à la construction d’autres enceintes sportives à travers la planète. » Et donc se positionner comme le numéro 1 mondial dans la construction d’infrastructures. L’expert croit savoir que dans les hautes sphères du pouvoir, on nourrit un rêve de Coupe du monde 2030 dans l’Empire du milieu, et le stade cantonnais ferait partie des plans. « Canton est une énorme ville, le stade actuel de Guangzhou FC était plein, le projet de nouveau stade par conséquent n’est pas illogique. Pour une Coupe du monde, il accueillerait probablement une demi-finale, le stade olympique de Pékin étant tout désigné pour la finale. »

Faut-il sauver le soldat Guangzhou FC ?

Alors que les observateurs économiques s’interrogent – Pékin sauvera-t-il Evergrande ou le laissera-t-il s’écrouler pour l’exemple ? -, le destin du club de football cantonais est en suspens. Et pour Chadwick, le plus probable reste qu’à défaut de sauver Xu Jiayin et son empire aux pieds d’argile, Pékin et la province du Guangdong fassent le nécessaire pour exfiltrer le club de football et sa future enceinte. « En matière d’images, Pékin ne peut laisser sombrer Guangzhou FC comme il l’a fait pour Jiangsu Suning. » Champion en titre, l’écurie de l’entreprise éponyme – actionnaire principal de l’Inter Milan – avait dissous son club en début de saison en raison de difficultés économiques. Mais dans ce cas, « les intérêts étaient essentiellement privés » quand, pour le Guangzhou FC, « on a un symbole de la Chine qui gagne dans le foot, et un club avec une vraie base de supporters, donc une dimension populaire ». Le départ récent de Fabio Cannavaro, le chantier de stade au ralenti ou le silence radio de Xu Jiayin qui a mis à l’arrêt l’activité boursière de son groupe à Hong Kong n’incitent pas à l’optimisme.

Mais en coulisses, les manœuvres seraient déjà enclenchées : selon Reuters, Pékin fait pression pour que des entreprises cantonaises, partiellement dotées de fonds publics, rachètent les actifs d’Evergrande les plus stratégiques. Le Guangzhou City Construction Investment Group serait ainsi pas loin d’un deal pour récupérer le futur Guangzhou FC Stadium et l’ensemble de son projet immobilier. Le club lui-même pourrait passer dans les mains d’un ou plusieurs investisseurs locaux, et même s’ils vont, selon Simon Chadwick, « revoir le train de vie du club à la baisse, ils vont au moins lui permettre de survivre ». Et tant qu’il reste un peu de vie…

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Par Nicolas Jucha

Propos du professeur Simon Chadwick recueillis par NJ.

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