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Euro-politico

Par Nicolas Kssis-Martov et Thomas Andreï
12 minutes
Euro-politico

Chaque pays ayant participé à cet Euro a eu son lot d'échos au sein de sa classe politique. Voici ce qu'il faut retenir, pays par pays.

Albanie

Quand vous êtes un pays tout juste sorti de son glacis communiste et que vous cherchez à devenir une destination touristique bon marché et à la mode, l’Euro 2016 devient vite une drogue dure pour la fierté nationale, avec une prédilection pour le survol de drone avec drapeau, dans une région où l’on s’entre-tuait pour 3 kilomètres carrés voici encore peu de temps. Inutile de préciser à quel point la victoire sur la Roumanie a pris des airs de grand soir. « Vos noms seront gravés à l’entrée du nouveau stade national » , leur a même promis le Premier ministre. Profitez, la FIFA vient d’accepter le Kosovo, ce qui risque de priver la sélection à tête d’aigle d’une partie de ses joueurs. L’Euro a peut-être enterré la grande Albanie.


Allemagne

Angela Merkel n’avait prévu de se déplacer que pour la finale, fidèle à cette vieille habitude d’y être. Dans un tweet envoyé quelques minutes après la fin de la demi-finale contre la France, Beatrix von Storch, porte-parole adjointe du parti europhobe et farouchement anti-migrants AFB, déclara : « Peut-être faudrait-il que ce soit de nouveau l’ÉQUIPE NATIONALE allemande qui joue de nouveau la prochaine fois ? » , un commentaire suggérant que la sélection allemande comptait trop de joueurs « allogènes » . Comme quoi, les Allemands ne copient pas toujours pour le meilleur le modèle français dans le football…


Angleterre

Plus gênant encore que les corners d’Harry Kane, l’Angleterre est sortie de l’UE avant de sortir de l’Euro. Depuis, le pays s’est retrouvé sans Premier ministre et sans sélectionneur. Pour le premier poste, deux dames de fer, les Tories Theresa May et Andrea Leasdom sont en finale. Toutes deux partisanes du Brexit, il n’est pas sûr qu’elles voient l’éventuelle nomination de Roberto Mancini d’un très bon œil.


Autriche

Moins cool, la Cour constitutionnelle autrichienne annulait le 1er juillet le second tour de l’élection présidentielle pour cause d’irrégularités. Ce sera donc un replay entre le candidat indépendant soutenu par les Verts, Alexander Van der Bellen, et Norbert Hofer du parti nationaliste. Attention au vote sanction envers David Alaba.


Belgique

En Belgique, on peut aimer les Diables rouges et ne pas aimer le drapeau, surtout en Flandres. Un chanteur d’outre-Quiévrain, Milow, avait accusé le N-VA, parti flamand, de « râler » à chaque fois que la sélection belge marquait. Philippe Muyters, ministre flamand du Sport, l’a aussitôt taclé : « Bien entendu, je supporte les Diables. J’ai même assisté au match entre l’Italie et la Belgique. Aux JO, je soutiendrai également l’équipe belge de hockey. Et puis, sauf erreur de ma part, la Belgique est l’équipe avec le plus grand nombre de Flamands dans cet Euro, non ? » Cela dit, rajouta-t-il malgré tout, « il ne faut pas mêler le sport à la politique. C’est pourquoi je trouvais déplacé de la part de la part de Laurette Onkelinx (député PS) qu’elle demande au parlement d’applaudir les Diables » . Sinon, vous pouvez écouter la reprise de 50 Cent par Milow sur Youtube…


Croatie

Quelques jets de fumis et un match interrompu. Les ultras croates étaient venus protester à Saint-Étienne contre la corruption de la Fédération de football locale. Ils ont utilement servi le pouvoir de la présidente Kolinda Grabar-Kitarović, qui n’hésita pas à proclamer l’unité nationale contre eux, qualifiés « d’ennemis de la Croatie. Ils haïssent leur équipe nationale et leur pays. Honte sur vous ! » L’occasion de les rendre surtout responsables du nul concédé finalement contre les Tchèques. Malheureusement, personne pour servir de bouc émissaire contre le Portugal. Quel dommage, ils seraient venus mettre un peu d’ambiance ce soir-là, Ronaldo aurait pleuré et peut-être que le sort des Bleus en aurait été différent.


Espagne

En Espagne, c’est en revanche les mouvements plus traditionnels qui ont triomphé. Critiqué, le Parti populaire de Mariano Rajoy a balayé les espoirs de Podemos lors des élections générales du 26 juin. Conforté, le président du gouvernement est à la coule, et s’est même fendu d’un tweet de félicitations après la qualification en finale du rival historique portugais.


France

Cela commençait à sentir bon. Les Français allaient de nouveau s’aimer à l’abri d’une sélection tricolore empreinte d’humilité et de courage. Le beau temps était revenu. François Hollande et Manuel Valls grimpaient dans les sondages, alors que même la légère inversion de la courbe du chômage n’y avait rien fait. Le FN se taisait et l’Europe, au sens large, nous félicitait pour cette belle compétition. Une finale aura suffi à nous rappeler que l’an prochain, il faudra choisir un nouveau président et que les caisses sont vides. Et que nous ne nous aimons toujours pas… Mais que nous restons bon perdants. Le ministre des Finances français, Michel Sapin, déclara le lendemain de cette injuste défaite contre la Selecção : « Certes, la Commission est dans son droit, et peut-être même dans son devoir, lorsqu’elle souligne que le Portugal n’a pas respecté ses engagements, mais le Portugal a fait énormément d’efforts (et) ne mérite pas qu’on lui applique une discipline exagérée. » Alors la Maman se calme pour la blessure de son petit Ronaldo et on dit merci.


Hongrie

Dans cette Europe centrale où les populistes sont déjà arrivés au pouvoir, le retour de la Hongrie dans l’Euro après des décennies de disette footballistique ne pouvait que ravir son président Viktor Orbán qui ne jure que par la censure et le ballon rond (il vient un peu plus de ruiner son pays en construisant un stade à 500 millions pour recevoir dans 4 ans l’Euro itinérant du 60e anniversaire). Il avait même écrit sobrement sur son compte FB « j’avais raison » . Ils vont être sympas les prochains mois pour l’opposition.


République d’Irlande

L’auteur Finnan O’Toole se demandait ainsi dans le Guardian : « Peut-on être citoyen européen et ne pas l’être ? » À cela, Gerry Adam, leader charismatique barbu des nationalistes du Sinn Féin, a la solution : la réunification. Une idée qui plairait bien, entre autres, à James McClean, ailier valeureux contre la France, né au Nord, mais qui joue pour le Sud.


Irlande du Nord

« On a voté Remain, on a voté Remain, on n’est pas débiles, on a voté Remain. » Voilà ce que chantaient les fans nord-irlandais à l’adversaire gallois pendant le huitième de finale de l’Euro au Parc des Princes. À l’inverse du pays de Galles, l’Irlande du Nord a opté pour rester dans l’UE, à 56%. Il faut dire que le Brexit pourrait mettre en péril les accords de paix du Vendredi saint, garantissant le choix entre les citoyennetés britannique et irlandaise.


Islande

Caution volcan d’amour du tournoi, le public islandais élisait le jour de son anniversaire un homme qui lui ressemble. Historien de 48 ans, Guðni Thorlacius Jóhannesson s’est ensuite rendu au match de son pays face à la France et a refusé la tribune VIP, préférant chanter et taper des mains avec ses semblables. Le président normal vrai.


Italie

Autre parti populiste, mais ancré à gauche, le Mouvement 5 étoiles du comique Beppe Griglio a remporté sa plus grande victoire. À 38 ans, Virginia Raggi est devenue la première femme élue à la mairie de Rome. Traumatisé par la Ligue 1, Marcelo Bielsa la confond avec le Monégasque Andrea Raggi, panique, et quitte la Lazio après un règne de deux jours.


Pays de Galles

Plus résistant au tournoi, Galles a aussi dit au revoir à Bruxelles le 24 juin, à 53%. Cela n’a pas empêché Leanne Wood, dirigeante de Plaid Cymru de balancer : « Il est tant de reconsidérer la question de l’indépendance en vue de préserver le futur du pays de Galles. » Reste à savoir si le parti nationaliste saura surfer sur la vague de fierté déclenchée par Gareth Bale, Ashley Williams et les autres Dragons.


Pologne

Le 30 juin 2016 restera un sale jour pour la Pologne. En plus de l’élimination aux tirs au but face au Portugal, l’agence Central Statistical Office confirmait la déflation économique du pays de Robert Lewandowski, démarrée en juin 2014, au début de la Coupe du monde. L’avant-centre du Bayern et ses coéquipiers ont deux ans pour se préparer au tournoi en Russie. Membre du parti Droit et Justice, le président Andrzej Duda sera en pleine campagne électorale. En octobre, il s’inquiétait d’un « risque d’épidémies » apportées par les hordes de migrants se pressant à ses frontières. D’ici là, Grzegorz Krychowiak marchera sur l’Europe et le dirigeant conservateur changera peut-être d’avis sur l’apport des « étrangers » au bien-être de la nation.


Portugal

À Madère, des torrents de fierté se sont déversés après le sacre de la nation, et de l’enfant du pays, Cristiano Ronaldo. Accusé de liens avec le terrorisme, Manuel Coehlo a pu se détendre un peu. Membre du parti communiste, José est habitué des coups d’éclat. Après s’être pointé dans l’hémicycle en caleçon, puis avec un drapeau nazi, Jojo a décidé de brandir la bannière noire de Daesh. Juste pour attirer l’attention. Il encourt 15 ans de prison. Pas très Charlie.


Tchéquie

Qui se souviendra que les Tchèques ont participé à l’Euro ? Peut-être les fans de Petr Čech, qui vient de mettre un terme à sa carrière internationale. Un départ de la sélection qui pourrait être suivi par un départ de toute la nation de l’Union européenne. Quelques jours après le Brexit, le président Milos Zeman a appelé à un référendum sur la sortie de l’UE, mais aussi de l’OTAN, tout en étant un Européen convaincu. Zdeněk Zeman > Milos Zeman.


Roumanie

Si quelqu’un a perdu de son mojo politique lors de cet Euro, c’est bel et bien l’entraîneur roumain. Son équipe est sortie par la plus petite des portes d’une compétition qui semblait donner sa chance à tout le monde, y compris les plus faibles. La défaite contre l’Albanie enfonça le dernier clou sur le cercueil des illusions des Carpates. Anghel Iordănescu, par ailleurs général de réserve de son état, avait ainsi embrassé une carrière de sénateur du PSD (Partidul Socialist Democrat) avant de rallier Traian Băsescu. Tous ses rêves de retour devant les urnes viennent sûrement de prendre un sacré coup…


Russie

D’un point de vue politique, la Russie a gagné l’Euro, le sien, peut-être le seul qui comptait pour elle. Ses hooligans nationalistes ont montré dans la rue que les cosaques n’avaient peur de rien, et sûrement pas de quelques Anglais bedonnants, et certainement pas de la police ou des douanes françaises. Vladimir Poutine géra l’affaire comme un videur de boîte lors de la sortie des clients à l’aube : « Cela dit, je ne comprends pas comment 200 de nos supporters ont pu passer à tabac plusieurs milliers d’Anglais… » C’est donc peu dire si les menaces de sanction, en l’occurrence contre son équipe, n’ont pas franchement troublé son sommeil. De toute façon, dans deux ans, ils remportent la Coupe du monde…


Slovaquie

Indépendante depuis à peine 1993 – le précédent État était un protectorat nazi, pas franchement une référence dont on peut se glorifier –, la Slovaquie reste le plus méconnu des membres de l’UE, dont elle assure la présidence tournante depuis le 1er juillet, en plein Euro et Brexit (on l’accuse souvent d’être un peu trop pro-britannique). La sélection de Martin Škrtel n’a malheureusement pas confirmé les espoirs placés après des phases de qualification menées tambour battant. Robert Fico, son président « populiste de gauche » allié à l’extrême droite, pourra donc continuer de « protéger l’héritage slovaque et refuser de faire de son pays un pays multiculturel » . À savoir qu’il vise la minorité hongroise… Oui, on n’est pas rendu en Europe centrale !


Suède

Juste avant l’Euro 2016, notre Ibra parti comme une légende déclarait au sujet de notre président de la République : « Quel genre de président est François Hollande ? J’aide ce pays plus qu’il ne l’aide.(…)Je ne peux pas parler pour lui, puisque je ne le connais pas. Mais je peux le rendre populaire, si je veux. Mais je ne sais pas si j’en ai envie. » Aux dernières nouvelles, après le parcours des Suédois, le directeur de cabinet de l’Élysée aurait choisi de se passer de ses conseils.


Suisse

La Suisse, ce fut une équipe de binationaux qui avaient lavé leur maillot Puma à 60 degrés et marqué des buts de folie pour rien. Dans ce pays où même l’extrême droite se réjouit de voir des joueurs d’origine kosovare porter le maillot de la Nati, cet Euro n’a guère suscité qu’une joie mesurée. De toute façon, pourquoi gagner une compétition quand ils savent très bien où vont atterrir les 900 millions de bénéfices – records – réalisés par l’UEFA. Après, si les Portugais sont contents de soulever un trophée…


Turquie

Si l’Euro fut une grosse déception pour les Turcs, l’élimination avec seulement une victoire dans le groupe D fut tristement gommée une semaine plus tard par les terribles attentats de l’aéroport Atatürk d’Istanbul. Bilan : 45 morts et plus de 230 blessés. Les joueurs se fendent d’un tweet désolé, dont Arda Turan qui déclare : « Nos poumons sont brûlés. Nous sommes avec la Turquie. Que ceux qui causent de la douleur soient maudits ! » Resté à la maison, l’ancien Toulousain Umut Bulut qui a, lui, perdu son père Kemal dans les attentats de mars dernier, devait avoir le cœur lourd.


Ukraine

Avant le début de la compétition, l’Ukraine se vanta d’avoir arrêté un terroriste français qui projetait, paraît-il, de réaliser des attaques racistes et antisémites durant la compétition. Certainement leur principale contribution à cet Euro. Sinon, ils ont aussi su importer quelque chose d’autre que le vin de France, notamment pour justifier les piètres résultats de leur sélection nationale. « Les joueurs de football sont des gens très superstitieux. Ils croient aux traditions et voient des signes partout. Je les ai vus, moi aussi. Rakitskï n’a pas chanté l’hymne ukrainien à deux reprises, et on a perdu lors de ces deux premières journées 2-0. Peut-être que si l’on changeait quelque chose, le résultat serait différent ? » Après tout l’explication de Borislav Beresa, député de la Rada Suprême (parlement ukrainien), en vaut bien une autre.

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