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Géorgie : la belle occase du Caucase
Ce samedi, dans une Dinamo Arena de Tbilissi chauffée à blanc, la Géorgie défie Israël. Un duel d'outsiders, après que Zuriko Davitashvili et ses compères sont sortis premiers du groupe de la mort de cet Euro U21. Mais qu'est-ce qui se passe dans le Caucase ? Tentative d'éclairage.
« Quel que soit le résultat, nous avons déjà marqué l’histoire. » Ces mots, ce sont ceux de Ramaz Svanadze, l’entraîneur de l’équipe U21 géorgienne, à la veille de Géorgie-Belgique, dans la salle de presse du stade Boris-Paichadze de Tbilissi. Deux jours plus tôt, son équipe faisait en effet sensation pour le premier match de l’histoire de la Géorgie dans un grand tournoi, U21 et A confondus : les Espoirs géorgiens battaient le Portugal (2-0) pour leur entrée en lice. De quoi chambouler ce groupe A où la Géorgie, même à domicile, faisait office de petit Poucet face aux ogres portugais, néerlandais et belges. Et le chamboulement sera complet : menée 0-2, la Géorgie ira au courage chercher le partage des points face à des Belges médusés, dans une ambiance de folie. Restait à composter le ticket avec un dernier exploit face aux Pays-Bas (1-1), et ce sera chose faite : non seulement les U21 de Svanadze sont en quarts, mais ils terminent premiers du « groupe de la mort ».
Suivre le plan
Flash-back. Le 12 novembre 2020, le rêve de la Géorgie vole en éclats : face à la Macédoine du Nord de Goran Pandev, les Croisés s’inclinent (0-1) dans ce même stade Boris-Paichadze. C’est le vétéran macédonien qui, à 37 ans, découvrira une phase finale de l’Euro, et pas le tout aussi légendaire Guram Kashia, recordman de capes avec la Géorgie. À partir de là, bien malin qui pouvait prévoir un retour au premier plan du football géorgien. Les qualifications pour le Mondial 2022 sont un désastre avec 7 points seulement ; Willy Sagnol, arrivé en février 2021, est alors loin de faire l’unanimité. Le vice-président de la fédération géorgienne, Alexander Iashvili, nuance ce constat : « Bien sûr, c’était un crève-cœur, et les résultats consécutifs ont été difficiles aussi. Mais il faut plutôt le voir comme ceci : nous étions en bonne voie. Ce match s’est joué dans le contexte de la pandémie, sans notre public, et deux de nos cadres avaient été testés positifs avant la rencontre. »
En effet, la Géorgie était en bonne voie. Et pour cause : elle a un plan. En 2015, la fédération géorgienne, à la tête de laquelle est élu le légendaire Levan Kobiashvili (100 capes avec la Géorgie et plus de 350 matchs de Bundesliga, tout de même), met en place son « Strategic Development Plan », en plusieurs phases. « C’était une grande première dans le football géorgien. Au début, nous avons voulu implémenter le plus de choses possible en un laps de temps limité », nous explique Iashvili, qui est en charge de la coordination des équipes nationales au sein de la GFF.
C’est l’un des grands points de ce plan : unifier les styles de jeu et la philosophie des équipes d’âge, à l’image de ce qui se fait en Espagne depuis longtemps, et en Belgique depuis l’an 2000, avec les résultats que l’on connaît. En 2022, la seconde phase du plan est lancée, avec pour horizon 2026 : objectif, aller plus en profondeur, « corriger les erreurs » qui ont pu être faites, souligne Alexander Iashvili. L’homme aux 255 matchs avec Fribourg le sait : la Géorgie est un petit pays, au vivier naturellement limité – il y aura des ratés, des périodes de moins bien. Mais le longtemps endormi géant géorgien, qui a tout de même fourni à l’URSS quelques grands joueurs (comme Ramaz Shengelia) et une Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe (C2) avec le Dinamo Tbilissi en 1981, semble bel et bien réveillé.
Khvicha, Georges, Zuriko et compagnie
Le symbole de ce réveil, c’est bien sûr la sensation Khvicha Kvaratskhelia. À moins d’être suiveur de la Russian Premier League, bien peu savaient à quoi s’attendre quand le génie de Tbilissi a signé au Napoli ; un an plus tard, tout le continent a compris. Khvicha (comme toute la capitale géorgienne l’appelle avec affection) a mis la Serie A à ses pieds, et c’est bien sûr très bon pour le football en Sakartvelo. « Kvaratskhelia était déjà l’un des leaders de notre équipe avant de signer en Italie, mais peu de gens le connaissaient. Et voir sa réussite, cela peut évidemment inspirer les clubs européens à s’intéresser aux talents venus de Géorgie, ce qui est toujours une bonne chose. Il représente son pays, lui comme d’autres talents tels que Georges Mikautadze, Zuriko Davitashvili, Giorgi Mamardashvili », énumère Iashvili.
La Ligue 1 est prévenue au sujet de Georges Mikautadze, élu meilleur joueur de Ligue 2 – même si pour le coup, lui est un pur produit de la formation hexagonale. Dvalitashvili vient de parapher son contrat à Bordeaux après un prêt très convaincant, et marche en ce moment sur l’eau avec les U21 géorgiens : demandez aux Pays-Bas, qui ont été victimes de sa « spéciale », le déboulé à travers une défense plus friable que du sulguni.
Ramaz et les fruits du succès
Retour à ce samedi 1er juillet : à 20h, heure de Tbilissi (18h heure de Paris), la Géorgie dispute l’un des matchs les plus importants de l’histoire de son football, et pas uniquement au sein des équipes de jeunes. Le petit stade Mikheil-Meskhi (27 223 places), initialement prévu pour accueillir l’événement, a rapidement été abandonné pour les 54 202 places de la Dinamo Arena, autre nom du stade Boris-Paichadze, annoncé sold out. « Les attentes sont hautes, et nous voulons prouver qu’elles sont justifiées. Cette fois, nous serons favoris et ce n’est pas le moment de s’effondrer », sait Ramaz Svanadze. Sans aucun doute, car en face de son équipe se dresse une autre surprise : Israël, récemment troisième du Mondial U20 et qui confirme aussi la bonne forme de son foot de jeunes.
Ramaz Svanadze est le grand homme de ce parcours géorgien : ancien entraîneur des U19, il a été promu à la tête des U21 avec toujours cette idée de continuité dans la formation. « Ce groupe de joueurs est ensemble depuis longtemps, avec ce but en tête : performer à domicile, pour ce premier tournoi, du mieux possible », affirme le vice-président Iashvili, qui reconnaît tout de même aisément : « Finir en tête d’un groupe avec des équipes aussi réputées pour leur formation que les Pays-Bas, la Belgique et le Portugal a dépassé nos attentes. C’est incroyable de voir l’esprit de corps de cette équipe. »
L’opportunité de se hisser dans le dernier carré de cet Euro U21 et d’aller potentiellement chercher un ticket historique pour les Jeux olympiques est désormais dans toutes les têtes, et il faudra vivre avec cette pression. Avant le rêve ultime : un grand tournoi… avec l’équipe A, cette fois. « C’est à la fois un rêve… et un objectif », clame en conclusion Alexander Iashvili. « Sans de tels objectifs, une fédération ne peut pas progresser. L’objectif devant nous est l’Euro 2024, malgré un groupe difficile. Nous devons avancer sur ce chemin, avec en ligne de mire l’Allemagne en 2024. » L’Europe est prévenue : Khvicha Kvaratskhelia n’était peut-être que l’avant-garde des Jvarosnebi…
Par Florent Malice, à Tbilissi