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Murat Yakın, enfin prophète en son pays
Éjectée de la première place du groupe A dans les dernières secondes par l’Allemagne, la Suisse doit passer au révélateur italien ce samedi à 18h, pour le premier huitième de finale de l’Euro 2024. Son sélectionneur, Murat Yakın, a cristallisé de nombreux doutes ces derniers mois, mais semble désormais incarner le nouveau visage de la Nati.
« Enfin un peu de reconnaissance », s’est exclamée une internaute sur TikTok à propos de Murat Yakın à la suite de la victoire de la Suisse face à la Hongrie (1-3) pour lancer l’Euro 2024. Il est vrai que depuis son arrivée à ce poste en août 2021, le sélectionneur suisse n’a pas été épargné par les critiques. « Je le dis depuis 2022 », commente une autre pour montrer aux supporters de la Nati que, pendant cette période trouble, elle voyait tout de même les qualités du bonhomme. Finalement, il s’avère que ce sont des vidéos vantant le physique de Murat Yakın qui tournent sur les réseaux sociaux, plus que celles des schémas tactiques. « Il a la cote auprès du public féminin, il a un charme fou et il le sait. Avant chaque match, il se rend vers les tribunes suisses pour se faire acclamer », raconte Laurent Favre, rédacteur en chef de la rubrique sport du Temps, quotidien suisse. Pourtant, le coach de 49 ans, dont le style rappelle Mads Mikkelsen, peut se targuer de sérieux progrès sur le terrain. Ce n’est pas seulement grâce à la nouvelle paire de lunettes de l’homme sur le banc – qui se marie parfaitement avec ses cheveux longs grisonnants – que la sélection helvète a lutté jusqu’au bout avec l’Allemagne pour la première place du groupe et qu’elle s’apprête à affronter l’Italie en huitièmes de finale ce samedi.
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Si le cas de Murat Yakın a longtemps divisé outre-Jura, c’est forcément lié à ce stade de la compétition. D’abord parce qu’il a pris la succession de Vladimir Petković, chef d’orchestre du miracle du huitième face à la France à l’Euro 2021 (3-3, 4-5 TAB) qui a ainsi réussi à exploser ce plafond de verre, puis surtout parce que lui s’est ridiculisé à la Coupe du monde 2022 contre le Portugal (6-1) où il avait sorti de son chapeau une tactique encore jamais affichée jusque-là. Depuis cet échec, le sélectionneur de la Nati, qui n’était que le troisième choix de la Fédération derrière Lucien Favre et Marcel Koller, a essuyé bon nombre de critiques, notamment durant des phases de qualifications de l’Euro 2024 peu reluisantes ces derniers mois. En ouverture de la compétition, certains supporters ont même dû voir ressurgir des démons pas si lointains quand, une heure avant le coup d’envoi face à la Hongrie, ils ont appris les titularisations surprises de Kwadwo Duah et de Michel Aebischer. Le premier ouvre finalement le score sur une passe du second, avant que celui-ci ne marque le deuxième but. Lors du premier tour, les choix osés du sélectionneur lui ont plutôt donné raison, à l’image de la confiance accordée à Xherdan Shaqiri, buteur contre l’Écosse, ou à Fabien Rieder, avant-dernier passeur sur le but face à l’Allemagne et auteur d’une prestation remarquée.
Un style inimitable
Même en cas de qualifications pour les quarts, le coach ne ressentirait sans doute pas le moindre sentiment de revanche face au scepticisme ambiant, tout simplement parce qu’« il s’est toujours considéré comme l’homme de la situation », estime Laurent Favre. Car il est comme ça, Murat Yakın. Capable d’arriver en retard à l’entraînement lorsque son statut de défenseur central à la technique au-dessus de la moyenne le lui permet, de planifier des rassemblements près de lieux où il peut s’adonner au golf une fois le costume de sélectionneur retiré ou d’envoyer balader les moindres critiques comme il remettrait en place une mèche rebelle. « Il est très charismatique et il a une grande confiance en lui parce que ça a été un grand joueur », confirme Giovanni Sio, qui ne garde que des bons souvenirs de la saison 2013-2014 au FC Bâle sous les ordres de l’Helvético-Turc, marquée par un quart de finale de Ligue Europa et un titre national. L’ancien attaquant du Stade rennais balaye d’un revers de main les rumeurs sur le supposé manque de professionnalisme du coach, ainsi que celles sur de possibles tensions entre ce dernier et les leaders du vestiaire du FCB.
Plus récemment, les cadres de la Nati ont pourtant montré leur mécontentement à plusieurs reprises, notamment Granit Xhaka qui pestait, en septembre 2023, qu’il n’y avait pas « besoin d’être un grand connaisseur de football [pour voir] que les entraînements ne sont pas assez bons ». Depuis, Yakın s’est rendu à Leverkusen afin de discuter avec son fer de lance du milieu de terrain autour d’une bouteille de vin et repartir du bon pied. « C’est quelqu’un de très calme, il dégage en tant qu’entraîneur ce qu’il montrait sur le terrain, je pense que c’est plus simple pour emmener les joueurs dans le même sens », assure Patrick Müller, son compère en défense centrale suisse durant 30 sélections à cheval entre les deux millénaires. Il en tient pour preuve le retour des bons résultats de l’équipe et de l’attitude de Xhaka, Shaqiri et consorts.
En février dernier, une arrivée dans son staff n’a pas fait grand bruit, mais peut potentiellement expliquer le changement de visage de l’équipe. En effet, Giorgio Contini, son ancien adjoint sur le banc de Lucerne lors de la saison 2011-2012, l’a rejoint en sélection. « C’est une très bonne chose. Ils font bien la paire parce que Giorgio est bien plus porté sur l’offensive que Murat. Aujourd’hui, la Suisse montre un plus beau jeu qu’avant son arrivée », explique Sally Sarr, défenseur des Bleu et Blanc cette année-là. Souvent critiqué pour ses approximations tactiques et sa frilosité par rapport à Vladimir Petković, Murat Yakın est pourtant dépeint comme un « grand tacticien » par Sarr et Sio. Les deux l’ont connu dans des contextes bien différents, en position de dominé à Lucerne et de dominant à Bâle. « Il a une excellente analyse défensive. On regardait beaucoup de vidéos dans la semaine pour savoir comment l’équipe qu’on allait affronter attaque, par où elle termine ses actions, comment elle relance… À partir de là, on s’entraînait pour contrer ces différents schémas. Typiquement, le match contre l’Allemagne, j’ai revu ses principes à la lettre : bien défensivement et capable de faire mal en contre », avance le défenseur, quand l’attaquant se souvient davantage de l’aspect offensif : « Il adore le jeu. Il voulait qu’on ressorte de derrière, un peu à la barcelonaise, pour marquer en beauté. » Alors qu’il n’optait pour une défense à 3 que face aux grosses écuries du championnat, Murat Yakın conserve désormais cette ossature à chaque rencontre de la Nati.
La Suisse s’annonce radieuse
Son 3-4-2-1 devrait donc encore être de sortie ce samedi pour affronter la sélection italienne. Plus question d’improviser un coup de poker similaire à celui face au Portugal en 2022 ? « Je ne pense pas, il a appris de cet échec. Il va aussi falloir apprendre du match contre l’Allemagne, sur ce qui a bien marché, mais aussi des détails qui ont coûté le but en fin de match », explique Gelson Fernandes, ancien milieu suisse aux 67 sélections. Les hommes de Murat Yakın pourraient mettre en difficulté ceux de Luciano Spalletti avec les mêmes principes que lors du dernier match de groupe, à savoir un bloc haut, une tentative souple de marquage individuel et un harcèlement de tous les instants entre la ligne médiane et leurs 30 derniers mètres pour enclencher des transitions offensives dangereuses. Patrick Müller va même plus loin : « Pour la première fois, la Suisse part favorite face à l’Italie. On parle maintenant de nous comme d’une équipe qui est capable d’aller au bout, elle peut rivaliser avec n’importe quel gros pays. Elle fait partie des équipes du haut niveau avec la France, l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne. »
Si certains placent le point de bascule à juin 2021 et la victoire face aux Bleus, Gelson Fernandes, qui s’occupe désormais du développement des fédérations africaines auprès de la FIFA, remonte à 1995, soit l’arrivée de Hansruedi Hasler au poste de directeur technique de la Fédé. « L’ASF a mis en place les structures de formation, ça va dans la même direction et ça permet d’arriver à ces générations de joueurs talentueux : celle d’aujourd’hui, la nôtre à l’époque, celle d’Alexander Frei avant ou de Stéphane Chapuisat », se félicite le huitième-de-finaliste des Coupes du monde 2014 et 2018, ainsi que de l’Euro 2016. Pour réussir à passer ce cap pour la deuxième fois consécutive sur la scène continentale, la Suisse peut effectivement compter sur un contingent de joueurs qui ont encore plus de poids dans les grandes écuries européennes que ces dernières années. En plus du défenseur de Manchester City Manuel Akanji, du gardien de l’Inter Yann Sommer, des Monégasques Denis Zakaria et Breel Embolo, voire des révélations de Bologne Michel Aebischer et Dan Ndoye, la Nati place ses espoirs en son capitaine, de nouveau exemplaire, Granit Xhaka. Habitués à jouer de manière offensive toute l’année, ces joueurs ont ravalé leur amertume, se sont habitués aux sessions vidéo défensives de Murat Yakın et sont désormais prêts à faire taire les critiques.
Par Enzo Leanni
Tous propos recueillis par EL, sauf mention.