- Euro 2024
Les Balkans font parler la poudre
Un journaliste kosovar exclu, une enquête ouverte contre les supporters serbes, une plainte déposée par la Serbie, un joueur albanais qui insulte la Macédoine du Nord... Y a pas à dire, les Balkans font parler d’eux à l’Euro, et pas forcément pour le football, même si cela fait pourtant longtemps que celui-ci y est lié aux revendications politiques.
En 2022, le président de la République, Emmanuel Macron, déclarait qu’il ne fallait pas « politiser le sport ». Cela semble raté pour cet Euro. Outre les prises de parole des Bleus autour des élections législatives, les tensions existant dans les Balkans rythment également la compétition. Preuve de ces tensions : la Serbie a annoncé jeudi dernier qu’elle demandait à l’UEFA de punir les fédérations croate et albanaise pour des chants anti-serbes entonnés lors du match entre les deux pays, faute de quoi elle quitterait le tournoi. En réaction, des Serbes ont scandé des slogans contre l’indépendance du Kosovo en marge de la rencontre entre la Slovénie et la Serbie, ce jeudi. Cette haine réciproque, c’est l’héritage d’un État désormais disparu : la Yougoslavie.
L’Origine du mal
La Yougoslavie était un État fédéral, créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qui comportait six républiques : la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Macédoine, le Monténégro, la Serbie et la Slovénie ; ainsi que deux régions autonomes : le Kosovo et la Voïvodine. Le projet de la Yougoslavie était de réunir des nations, cultures et religions différentes autour d’une même fédération. Le hic, c’est que les frontières de ces différentes républiques yougoslaves ne correspondaient pas à des communautés nationales unifiées : il existait d’importantes minorités serbes en Croatie et en Bosnie par exemple, ou encore une importante minorité croate en Slovénie.
À partir des années 1990, la montée du nationalisme dans les différentes républiques exacerbe les tensions entre les communautés. Certaines proclament leur indépendance, comme la Croatie et la Bosnie, où vivent d’importantes minorités serbes voyant d’un mauvais œil cette séparation de la Serbie. La minorité serbe de Croatie s’inquiète également du retour du drapeau à l’échiquier, utilisé notamment par les Oustachis – groupe fasciste croate proche des nazis, ayant exécuté des milliers de Serbes durant la Seconde Guerre mondiale. S’ensuivent alors deux longues guerres tristement célèbres. Dans le cas de la Bosnie, ces évènements ont même donné lieu à une épuration ethnique, menée par le président serbe Slobodan Milošević, et orchestrée par le commandant en chef de l’armée serbe de Bosnie, Ratko Mladić, surnommé le « boucher des Balkans ». Résultat : encore aujourd’hui, la Serbie entretient des rapports très tendus avec ses voisins.
Grands problèmes entre voisins
Les guerres en ex-Yougoslavie continuent donc de marquer les rapports entretenus par les différents États de la région. Certains Croates et Serbes se vouent encore une haine réciproque, qu’on a pu constater lors du match Croatie-Albanie en deuxième journée de cet Euro. Les supporters croates ont entonné un chant peu glorieux, se résumant à : « Tuez, tuez, tuez les Serbes ». Ce chant a ensuite été repris par des supporters albanais qui, bien que n’ayant jamais fait partie de la Yougoslavie, ont eux aussi des rapports tendus avec la Serbie, en raison du statut accordé au Kosovo. Cette ancienne région de la Yougoslavie, majoritairement peuplée d’Albanais, a entamé un conflit armé contre la minorité serbe en 1998, avant d’obtenir son indépendance en 2008. Depuis, la Serbie s’oppose farouchement à toute reconnaissance du Kosovo devant les instances internationales, considérant cette région comme le berceau de la nation serbe et donc comme faisant partie de son territoire.
Pour cette raison, plusieurs personnalités serbes, telles que Novak Djokovic, reprennent le slogan « le Kosovo est le cœur de la Serbie ». Dans ce contexte, il est donc plus facile de comprendre le tollé général provoqué par le journaliste kosovar Arlind Sadiku, qui a mimé avec ses mains l’aigle bicéphale albanais face à une tribune de supporters serbes lors du match Serbie-Angleterre. Mais les tensions dans les Balkans ne sont pas toutes liées à la Serbie. On a ainsi pu constater que l’Albanie, de son côté, avait un problème avec la Macédoine du Nord. Un problème illustré par le « Fuck Macedonia » entonné par le joueur albanais Mirlind Daku (depuis suspendu par l’UEFA) après la rencontre contre la Croatie. La raison ? La Macédoine du Nord est majoritairement peuplée de Slaves, mais comporte également une importante minorité albanaise, et les tensions communautaires y sont fortes. Certains nationalistes albanais rêvent d’une « Grande Albanie », qui rassemblerait tous les territoires composés de minorités albanaises, empiétant ainsi sur le territoire actuel de la Macédoine.
Coup de pied dans la poudrière
Le football a donc toujours constitué une arène où les différentes velléités nationales s’expriment. En 1990 déjà, à la veille des guerres qui allaient déchirer la région, des supporters croates et serbes en venaient aux mains en marge du match entre le Dinamo Zagreb et l’Étoile rouge de Belgrade, provoquant une émeute. Cet évènement sera marqué par le high kick du numéro 10 du Dinamo, Zvonimir Boban, porté à un CRS attaquant un supporter croate. Des années plus tard, en 2014, le match de qualification à l’Euro 2016 entre la Serbie et l’Albanie avait été interrompu par un drone survolant le stade avec une carte de la « Grande Albanie ». Quatre ans plus tard, au Mondial en Russie, les joueurs suisses Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri, tous deux d’origine kosovare, avaient été sanctionnés par la FIFA pour avoir célébré leur but contre la Serbie en mimant l’aigle bicéphale albanais. Les affrontements dans les stades reflètent-ils pour autant les relations entre pays des Balkans ? Dans le cas des relations entre la Croatie et la Serbie, il semblerait que oui. En novembre dernier, les relations diplomatiques entre les deux pays s’étaient fragilisées, à la suite de l’expulsion d’un diplomate croate de Belgrade, accusé d’espionnage. En réaction, Zagreb en avait fait de même avec un homologue serbe.
En juillet 2022, la Croatie a également refusé que le président serbe se rende dans un ancien camp de concentration, où des milliers de Serbes avaient été tués par des autorités croates pro-nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Les différentes tentatives de réchauffement entre les deux pays sont régulièrement freinées par des discours politiques nationalistes, où chacun se rejette la faute : les populistes serbes accusent la Croatie de ne pas faire assez d’effort pour reconnaître son rôle dans la Seconde Guerre mondiale, tandis que la Croatie reproche à la Serbie de ne pas assez travailler sur son implication dans les guerres des années 1990. En tribunes, nous assistons donc au prolongement violent, de ces discours politiques. Les choses sont plus nuancées concernant les relations entre l’Albanie et la Macédoine du Nord. En mars dernier, un nouveau Premier ministre, albanophone, a ainsi été nommé en Macédoine. Une première dans l’histoire du pays. Cette nomination se veut un pas en avant vers la paix et le symbole d’un nouveau virage pour la Macédoine, désormais tournée vers son adhésion à l’Union européenne. En espérant que les autres pays des Balkans suivent la tendance.
Par Jules Reillat