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Mbappé, il a changé
Pourquoi Kylian Mbappé n’est-il plus un joueur de profondeur ? La faute aux caractéristiques de ses coéquipiers au milieu de terrain, un peu, selon ses explications données avant Portugal-France. Le capitaine des Bleus a pourtant vu son jeu évoluer en même temps que son corps, de ses débuts à Monaco à cet Euro pour l’instant décevant.
La question s’est invitée lors des deux dernières conférences de presse de Kylian Mbappé, et elle s’impose comme une évidence quand on observe les déplacements, le jeu et les prestations du capitaine des Bleus ces derniers temps, en équipe de France comme au Paris Saint-Germain. Pourquoi le numéro 10 attaque-t-il moins la profondeur ? À interrogation simple, réponse étonnante : « Un attaquant doit toujours s’adapter à toutes les situations, ses coéquipiers et leurs caractéristiques. Beaucoup de gens font référence au jeu qu’on avait quand je suis arrivé en sélection, mais on avait des joueurs différents. On avait un joueur comme Paul Pogba, qu’on n’a plus aujourd’hui. Avec lui, tu as juste à baisser la tête, courir et faire un appel, tu sais que le ballon va arriver dans tes pieds. Il faut analyser quel type de joueur tu as avec toi et essayer de les mettre dans les meilleures conditions. Aujourd’hui, avec les joueurs que j’ai, peut-être qu’on peut moins jouer en profondeur, car c’est moins leurs caractéristiques. » Boum : ce n’est pas lui, c’est les autres. Les milieux tricolores, Aurélien Tchouaméni, Adrien Rabiot, N’Golo Kanté et compagnie ne seraient donc pas capables d’envoyer Mbappé sur orbite. Notre petit doigt nous dit pourtant que l’ex-Parisien a aussi sa part dans cette évolution de son profil.
📢 Mbappé sur le fait qu'il prend moins la profondeur : "Quand je suis arrivé en sélection, on avait des joueurs différents. […] Mais s'il y a des espaces demain, je vais m'engouffrer dedans" #lequipeFOOT pic.twitter.com/mrsWQKkLNv
— L'ÉQUIPE (@lequipe) July 4, 2024
À Mbappé, tu lui parles d’âge
Ce constat dépasse la sphère de l’équipe de France, il existe aussi en club. Au PSG, Mbappé s’est également montré moins explosif dans les espaces et dans la profondeur, fuyant même parfois la surface, cette dernière saison. « Je ne pense pas avoir toutes mes jambes, a-t-il rappelé ce jeudi, renvoyant sans doute à l’absence de préparation l’été dernier. Je ne me trouve pas d’excuses, mais pour être à 100% et bien véloce, j’ai besoin d’une bonne préparation. » Le néo-Madrilène a seulement 25 ans, mais la nostalgie a déjà pointé le bout de son nez quand on parle du joueur qu’il est devenu par rapport à celui qu’il était à ses débuts. Plus fin, plus léger, il avait marqué la planète foot de par ses accélérations dévastatrices, avec Monaco et avec les Bleus, à l’instar de celles qui avaient tué les Argentins en huitièmes de finale du Mondial 2018. « On l’a connu, il avait quoi ? 17 ans ? À cet âge, musculairement, tu n’es pas fait, explique Sidney Govou (49 capes). Son arrivée à Paris coïncide un peu avec la maturité adulte, donc une prise de poids, de muscles… Tous les joueurs prennent du poids, c’est normal. Les entraînements sont plus poussés, les préparations différentes, ton jeu finit par être affecté. Quand tu as 17 ans, tu cours, tu voles, on a même l’impression que tu planes. Quand tu es plus musclé, tu peux aller aussi vite, mais tes déplacements ne sont pas les mêmes. »
Ses statistiques restent délirantes, en tout cas cette saison avec le PSG (44 buts, 10 passes décisives), mais son jeu est moins impressionnant. Comme s’il avait cherché à devenir un autre type de joueur, en se posant comme un organisateur, un créateur, loin de ses caractéristiques de base et du profil qui l’a emmené au statut de star du foot. « C’est quelqu’un qui prenait beaucoup de profondeur, c’était un dévoreur d’espaces et je pense qu’il est à contre-courant de ce qu’il fait de mieux aujourd’hui, analyse Govou. Quand il a débuté, je le voyais tout le temps de trois quarts, pour pouvoir prendre la profondeur, avoir ce temps d’avance pour faire la différence dès les premiers mètres. Là, je trouve qu’il prend beaucoup trop de ballons arrêté. Mais c’est aussi un défaut du foot moderne, ce n’est pas spécifique à Kylian. Le foot va moins vite, il est arrêté, donc forcément on demande dans les pieds. Dans un sens, il subit le foot actuel. »
Alors, à qui la faute ? Aux défenses plus prudentes et plus reculées qui l’ont poussé à changer ? À ses coéquipiers qui ne peuvent pas répondre à ses besoins ? Réponse de l’ancien Lyonnais : « La prise d’espaces n’est pas dépendante du défenseur, mais seulement de toi et tes coéquipiers. Un joueur de trois quarts, qui demande le ballon devant lui, on lui donne devant lui. Un joueur dos au jeu, on lui donne le ballon dans les pieds. » Un schéma que l’on a souvent observé durant cet Euro, et qui rappelle que Mbappé assume ne pas être le genre de joueur à faire des courses pour les autres : quand il en déclenche, il faut lui donner le ballon.
Se réinventer pour mieux régner ?
Sur le même thème, le champion du monde 2018 avait pourtant livré une réponse autrement plus intéressante à la veille de France-Belgique dimanche dernier : « Tout joueur évolue, j’ai changé, j’ai préparé mon corps à jouer des saisons plus pleines. Le rythme n’est plus le même. Potentiellement, avec le Real, on parle de sept compétitions à jouer, c’est énormément de matchs. Il faut préparer votre corps. Quand vous gagnez quelque part, vous perdez ailleurs, ce sont tous ces calculs qu’il faut faire. La saison prochaine, j’aurai le temps de faire une grosse prépa avec le Real Madrid, ça va être cool. » Une histoire d’époque et de cadences infernales : Mbappé, comme d’autres, va boucler la saison 2023-2024 avec près de 60 rencontres disputées. Pour Sidney Govou, son championnat d’Europe s’explique aussi par son année bizarre passée au PSG, « moyenne dans le jeu, dans son implication. […] Il y a aussi un côté psychologique, qu’on le veuille ou non, ça reste un être humain. »
Il n’a jamais caché son admiration devant la capacité de Cristiano Ronaldo, son idole qu’il va retrouver ce vendredi soir à Hambourg, à se réinventer, pour s’adapter au temps qui passe et aux époques. « Je pense qu’on ne reverra plus ce qu’il a été. Le Mbappé de Monaco, virevoltant, on ne le reverra pas, pose Govou. Il faut relâcher beaucoup de choses, son arrivée à Madrid va lui permettre ça. Pour lui, il faut juste penser au foot. À Paris, tout le monde pensait trop à Mbappé avant de penser au club. Madrid, ça va l’aider à avoir une vision plus centrée sur ce qu’il sait faire et ce qu’il doit faire. » En attendant de découvrir la version madrilène du gamin de Bondy, il y a un quart de finale d’Euro dans lequel il doit briller, marquer. « Maintenant, s’il y a des espaces, j’adore les dévorer, a conclu Mbappé. S’il y en a demain, je vais m’engouffrer dedans, en espérant qu’on puisse les saisir et marquer des buts. »
Par Clément Gavard, à Hambourg, avec Maxime Verhille
Propos de Sidney Govou recueillis par MV