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Florian Wirtz, la renaissance allemande
Si le football allemand est à la peine depuis quelques années, sa renaissance pourrait débuter dès cet Euro 2024 à domicile. Un retour symbolisé par l’émergence du talentueux Florian Wirtz. Portrait d’un garçon qui a toujours fait ce qu’il voulait.
Sans trop rien prévoir, ni comprendre, Florian Richard Wirtz s’est embarqué dans une belle galère. En inscrivant le quatrième but du Bayer Leverkusen face au Werder en ce 14 avril 2024, le meneur de jeu a effectivement scellé le premier titre de champion d’Allemagne du club (score final 5-0, avec un triplé de Wirtz) et déclenché un envahissement de terrain à dix minutes du terme. Fumigènes rouges et drapeaux agités dans tous les sens, la sécurité – et le joueur lui-même – ont dû s’activer pour remettre tout le monde en tribunes. Car cette joie communicative, le public de Leverkusen attendait de la partager avec un enfant du cru, à même de faire renaître les espoirs déchus de Michael Ballack, Bernd Schneider ou Carsten Ramelow en soulevant l’historique Meisterschale. Avant d’en faire de même à l’Euro ? Tentative de réponse.
Pacte brisé et Rüdi voleur
Dans la famille Wirtz, il faut ainsi demander le benjamin. Car oui, Florian est le dernier d’une fratrie de dix frères et sœurs. Une famille nombreuse, dont le père, Hans-Joachim – éducateur – et la mère, Karin – coach de handball – ont largement bâti la vie sportive. Et pour cause. Sur les dix enfants Wirtz, neuf se sont en effet destinés à une carrière dans le football. Seule Sophia, l’une des cadettes, a décidé de prendre une autre voie, en travaillant dans le marketing (au Bayer Leverkusen notamment). Dans ce contexte cadré et favorable, Florian a donc pu bénéficier de l’appui paternel dès ses débuts au SV Grün-Weiß Brauweiler, près de Cologne. Sous les ordres de son père (président du Grün-Weiß Brauweiler), celui qui n’a alors que 7 ans écume les tournois de la région, en se montrant toujours plus brillant que les autres. À ses côtés, sa sœur Juliane en fait de même, et le duo tape très vite dans l’œil des recruteurs du FC Cologne. Problème : Hans-Joachim ne souhaite pas voir ses deux derniers s’éloigner, il refuse. « Les dirigeants de Cologne venaient me supplier presque chaque jour au siège de mon club, narre le père Wirtz au Kölnisch Rundschau. Avec la famille, nous avons fini par accepter de laisser Florian faire une saison là-bas, pour savoir si cela lui plairait ou non. »
Nous sommes en 2010, et Florian Wirtz rejoint donc sa première grande structure. Il y restera dix ans. Pas loin du foyer familial – 18 kilomètres – le meneur de jeu s’éclate et compte aussi sur l’appui de son aînée Juliane, également enrôlée par Cologne. « À 14 ans, nous savions déjà qui était Florian Wirtz. Toute l’Allemagne le savait, à vrai dire », avançait Simon Rolfes, directeur sportif de Leverkusen, dans les colonnes de Goal. Le dirigeant fait alors le forcing pour signer ce jeune talent, dont le contrat à l’académie colonaise arrive à expiration. Cette « pression » mise par le Bayer Leverkusen, la famille Wirtz prend le temps de la gérer. Logique, puisque quelques années auparavant, ce même Bayer Leverkusen avait refusé de signer Florian au terme d’un essai jugé infructueux.
Surtout, ce beau monde se heurte à un accord tacite : aucun transfert entre jeunes des clubs de Rhénanie (Cologne, Leverkusen, Mönchengladbach) n’est autorisé. Pour en trouver la raison, il faut remonter à 2001. À l’époque, Cologne « arrache » le jeune Marco Quotschalla (12 ans) au Bayer Leverkusen en lui offrant un contrat de huit ans. L’affaire fait alors grand bruit en Allemagne, et les trois clubs décident de signer l’armistice. En janvier 2020 rebelote donc, cette fois avec Florian Wirtz, dont les performances à Cologne (champion d’Allemagne U17) et en sélections de jeunes allemandes (U17) affolent la direction leverkusenoise. Afin de débloquer la situation, le Werkself fait appel à sa légende : Rudi Völler. Pour Völler, il n’y a aucun accord qui tienne, le joueur doit signer. De plus, Juliane, la sœurette, a déjà rejoint les rangs de Leverkusen en 2018. Son petit frère est ainsi invité à la BayArena et a le droit au fameux discours sur la formation locale. Résultat : il signe. Steffen Baumgart, entraîneur de Cologne à l’époque et désireux de faire monter Florian chez les pros, se fendra de cette phrase : « Ce transfert a brisé le semblant d’accords humains qu’il peut y avoir entre les clubs de football. »
Ligaments, écart d’âge et João Félix
Les leçons de morale foutues à la poubelle, Florian Wirtz peut désormais se concentrer sur sa nouvelle aventure. Car après une demi-saison de rodage avec les moins de 17 ans, le voici propulsé dans le monde des adultes. Lancé par Peter Bosz, Wirtz ne tarde pas à apposer sa marque en Bundesliga, devenant d’abord le plus jeune joueur de l’histoire du Bayer Leverkusen à commencer une rencontre (le 18 mai 2020 face au Werder Brême, à 17 ans et 15 jours, surpassant la performance de Kai Havertz), puis en devenant le plus jeune buteur de l’histoire du championnat (le 6 juin 2020, contre le Bayern Munich, à 17 ans et 34 jours, avant d’être détrôné par Youssoufa Moukoko). Des amuse-bouches lui permettant de se peaufiner, comme le décrit son coéquipier Amine Adli : « Florian est un vrai numéro 10, à l’ancienne, même s’il ne rechigne pas à faire les efforts quand il faut s’ajuster tactiquement, que ce soit en 8 ou sur un côté. Mais il est en pleine possession de ses moyens lorsqu’il a les clés du jeu. »
Ce trousseau, Wirtz aurait pourtant pu le perdre deux ans après ses débuts. La faute à une rupture du ligament croisé antérieur du genou gauche survenue le 13 mars 2022 face à Cologne (tiens, tiens), dont il dira : « Je ressens encore la douleur rien qu’en y pensant. » Le soutien vient alors de la sagesse des parents, offrant à leur dernier bambin un appui psychologique crucial. En effet, il est important de souligner que Florian Wirtz a près de 40 ans d’écart avec ces derniers. Récemment, la télévision allemande s’était même trompée en les décrivant comme les grands-parents du joueur. Le socle familial est solide, au même titre que l’apport de Xabi Alonso, arrivé sur le banc de Leverkusen durant cette période de blessure. Conscient du talent à sa disposition, l’Espagnol n’hésite ainsi aucunement à remettre Florian dans le bain après quelques entraînements, et à lui confier l’entière responsabilité offensive de son onze. Amine Adli : « Le coach Alonso lui a fait comprendre qu’avec les qualités qu’il avait, que ce soit sa frappe ou ses différences balle au pied, il fallait qu’il soit beaucoup plus décisif. Et Florian lui-même a fini par comprendre qu’en prenant les rênes de l’attaque, il ferait gagner l’équipe. » Dès lors, puisqu’il faut parler statistiques, la transformation est saisissante : lors de l’exercice 2022-2023, le premier avec Xabi Alonso – tronqué par la phase de reprise post-blessure – Florian Wirtz inscrit 4 buts et délivre 8 passes décisives en 25 matchs toutes compétitions confondues. Lors de cet exercice 2023-2024, conclu par le doublé championnat coupe, Florian Wirtz affiche 18 buts et 20 passes décisives en 49 apparitions (et est accessoirement élu joueur de l’année en Allemagne). Les « rênes de l’attaque » ont bien été prises.
D’autant qu’aux chiffres s’est greffé un vrai style de jeu. Cet aspect esthético-technique qui fait du footballeur un être à part et dont Florian Wirtz peut désormais profiter. « Quand on lui demande de comparer son style de jeu, il répond toujours “João Félix”, abonde Adli. Et c’est une vérité. Lorsque nous avions joué contre l’Atlético (en 2022, NDLR), je lui ai moi-même fait la remarque. Ils ont beaucoup de similitudes dans leur façon de manier le ballon, leur élégance. » Mais n’allez surtout pas faire du Portugais le joueur référence de Wirtz. Non, le modèle de Florian se nomme Marko Marin. Le Lutin de Brême, figure emblématique de la Bundesliga des années 2010, a visiblement enchanté l’enfance de Florian, au point de lui donner le goût des dribbles en espaces réduits. Du purisme. Reste que Marin a pour lui une troisième place à la Coupe du monde, obtenue avec la Mannschaft en Afrique du Sud. Une carrière internationale que Florian Wirtz, de son côté, débute à peine. En mars dernier, l’équipe de France a ainsi pu goûter à ses fulgurances (défaite 0-2), tant sur le missile envoyé dans les filets de Brice Samba après 15 secondes de jeu seulement, que sur l’ensemble de sa prestation, proche du 10/10. Julian Nagelsmann y voit d’ailleurs l’un des facteurs de la future réussite allemande, aux côtés de l’autre érudit de l’entrejeu, Jamal Musiala. Ce futur potentiellement brillant, Florian Wirtz tâchera donc de le préparer dès ce vendredi en ouverture de l’Euro face à l’Écosse. Pour prouver, une énième fois, qu’il obtient toujours ce qu’il veut.
Par Adel Bentaha
Propos d’Amine Adli recueillis par AB. Ceux de Florian Wirtz, Hans-Joachim Wirtz, Simon Rolfes et Steffen Baumgart tirés du Kölnische Rundschau, Bild, Goal et de conférence de presse.