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Pays-Bas : l’instant orangé !
Avec les Néerlandais, il faut toujours se méfier des réveils tabasseurs qui, parfois, surgissent soudainement dans des matchs indigents. Devenus brusquement irrésistibles, ils déclenchent alors un super temps fort qui leur est propre. Et dans cet Euro 2024, ça fonctionne pas trop mal jusqu’ici.
Une tornade orange s’est abattue sur la Turquie alors qu’elle menait 1-0. En six minutes chrono, par Stefan de Vrij (70e) puis par Mert Müldur, pressé par Cody Gakpo (76e), les Néerlandais ont plié une qualif pour les demies jusque-là mal engagée, même en souffrant sur la fin. Ce retournement soudain qu’on peut appeler « l’instant orangé » est en fait un classique de l’équipe des Pays-Bas dans les grandes compétitions… Il se déclenche dans des circonstances diverses. La première tient à la légendaire suffisance batave, qui vire parfois à une certaine arrogance. Cette attitude irrespectueuse vis-à-vis de l’adversaire plombe parfois le contenu de leurs entames de match, comme ce fut justement le cas contre des Turcs. Il n’y avait qu’à voir le manque d’entrain, devant, et les replis défensifs aléatoires, derrière, de la bande de Van Dijk. D’autres fois, c’est un manque d’envie ou des schémas tactiques inefficients, voire une infériorité qualitative qui font que les Néerlandais proposent alors une bouillie de football indigne de leur culture chatoyante.
Et puis… Au moment où tout semble perdu, c’est le réveil conquérant ! En empruntant une métaphore marine qui sied bien à ce peuple de marins, l’instant orangé c’est une situation où l’adversaire mène au score : calme plat, soleil au zénith, mer d’huile… Et puis en quelques minutes, les Oranje déclenchent des tempêtes de force 10 : ciel noir, creux de 15 mètres, pluie battante, mâts qui cassent, gouvernail endommagé, coque emboutie et naufrage ! Cet instant orangé qui agit par instinct de survie, par fierté retrouvée ou par un banal coaching en forme de déclic ne permet pas de gagner à tous les coups, mais il offre toujours un spectacle offensif impressionnant avec des footballeurs redevenus irrésistibles. L’instant orangé n’est pas exactement du hourra football où on balance devant en ayant fait entrer trois attaquants supplémentaires. On reste dans la culture néerlandaise, méthodique et bien coordonnée. Cet « instant orangé » peut enfin s’apparenter au fameux french flair immortalisé par la remontée géniale, inouïe, presque irrationnelle mais parfaitement maîtrisée du XV de France face aux All Blacks en demi-finales de Coupe du monde 1999 (43-31).
Shot d’adrénaline concentrée !
Le premier épisode connu de l’instant orangé pourrait remonter au Pays-Bas-Brésil, en quarts de Coupe du monde 1994. Menés 2-0 et à la rue total, les Néerlandais se sont soudainement réveillés face des Brésiliens plongés de suite en mode panique et ont égalisé en 12 minutes par Bergkamp et Winter, manquant de peu la qualif (2-3). Mêmes équipes en quarts de Coupe du monde 2010 : menés 1-0 et ridiculisés par un Kaká imperator, les Oranje ont tout renversé en 15 minutes dans un finish infernal et éblouissant (2-1 final). Le Mondial 2014 avait été grandiose aussi. Face aux « petits » Australiens qu’ils avaient d’abord pris de haut, en poules, les Néerlandais étaient menés 2-1 avant qu’ils s’énervent enfin, pliant l’affaire en 10 minutes par Van Persie et Depay pour une victoire 3-2. En huitièmes, cauchemar en cuisine face au Mexique qui fonce en quarts en menant 1-0 à la 87e. C’est mort ? Non : égalisation de Sneijder (88e) et péno victorieux d’Huntelaar à la 94e ! Plus proche de nous, le quart de Coupe du monde 2022 Pays-Bas-Argentine avait été une des grosses sensations du tournoi. À 2-0 dans le néant absolu, l’entrée de Wout Weghorst à la 78e a agi comme un shot d’adrénaline concentrée ! Les Tulipes se sont mises à tabasser littéralement les Argentins paralysés en revenant à 2-2 ! Ils ne gicleront qu’aux tirs au but, mais l’Albiceleste avait bien flippé. En Ligue des nations 2019 et 2021, contre l’Allemagne puis la Pologne, les Oranje avaient également renversé la situation dans des fins de matchs époustouflantes…
Voilà pourquoi, en compétitions internationales, les Pays-Bas restent sans doute la sélection la plus imprévisible et la plus terrifiante. Parce que quand ils se mettent vraiment à jouer, c’est inspiré, au sol ou dans les airs, et ça déferle de partout : le dutch style, quoi ! C’est pour ça qu’ils sont craints, tel le Real Madrid en foot de club, ou un peu comme la Mannschaft d’alors. L’instant orangé peut survenir à n’importe quel moment, face à n’importe quelles équipes, grandes comme petites… Destructeur et traumatisant pour l’adversaire, l’instant orangé peut être très bref ou plus prolongé, comme lors du 5-1 légendaire du Mondial 2014 infligé à la Roja. Le tsunami s’était déclenché avec l’égalisation fabuleuse de Van Persie à la 44e qui avait galvanisé d’un coup la bande de Van Gaal. Voilà l’Angleterre prévenue…
Par Chérif Ghemmour