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Marcus Thuram, un moment très spécial

Par Clément Gavard, à la Home Deluxe Arena
5 minutes

Marcus Thuram a été le premier joueur de l’équipe de France à prendre clairement position contre le Rassemblement national, ce samedi matin, en conférence de presse. Un moment rare venu rappeler à tout le monde qu’un joueur de foot peut avoir des convictions et les défendre, dans le calme et avec une certaine forme de pédagogie.

Marcus Thuram, un moment très spécial

Il s’est passé quelque chose de spécial, ce samedi matin, à la Home Deluxe Arena. En apprenant la veille à 22h30 que Marcus Thuram serait, avec Theo Hernandez, présent en conférence de presse à deux jours du match contre l’Autriche, les suiveurs de l’équipe de France savaient qu’il ne fallait pas être victime d’une panne de réveil ou d’une gueule de bois trop conséquente. Le latéral du Milan est passé le premier, avec le sourire, mais en distribuant des réponses courtes, comme attendu, avant de laisser sa place à l’attaquant de l’Inter. Il n’y a pas eu d’échauffement, la première question a d’emblée abordé le sujet des élections législatives à venir : « Quel regard vous portez sur la situation politique en France, avec la possible arrivée du Rassemblement national, un parti raciste, au pouvoir ? » Son regard s’est allumé, d’un coup, et les mots n’ont pas été difficiles à trouver. Ils pourraient pourtant l’être pour un jeune homme de 26 ans. « Je pense qu’elle est très triste, très grave. J’ai appris ça après le match contre le Canada, on était tous un peu choqués dans le vestiaire. C’est la triste réalité de notre société aujourd’hui, a-t-il lancé. Des messages sont véhiculés tous les jours à la télé pour aider ce parti à passer. Comme l’a dit Ousmane, il faut aller voter, il faut dire à tout le monde d’aller voter et, en tant que citoyen, vous comme moi, il faut se battre au quotidien pour que ça ne se reproduise pas et que le RN ne passe pas. » Et Marcus Thuram, dont le nom signifie quelque chose en France dans ce genre d’engagement, est devenu le premier joueur de l’équipe de France à se positionner clairement contre le Rassemblement national aux portes du pouvoir en France.

L’héritage de Lilian

Depuis l’arrivée des Bleus à Paderborn, en Allemagne, chaque joueur passé devant les médias – à l’exception de Theo Hernandez, qui a déménagé en Espagne à l’âge de trois ans – a eu le droit à au moins une question sur l’actualité politique. Ils sont plusieurs à avoir botté en touche, et c’est leur droit : priorité au terrain, au football, et à la compétition. Ousmane Dembélé avait quand même ouvert une voie jeudi, en appelant les Français à se mobiliser pour aller voter. Il a été suivi par Olivier Giroud et Benjamin Pavard. Chacun fait ce qu’il veut, comme il le peut. Thuram est allé plus loin, en développant ses convictions et en répondant à huit questions (!) sur le sujet, sans jamais se défiler ni réciter un texte. L’Interiste savait seulement de quoi il parlait. « Je ne pense pas que ce soit très compliqué de s’exprimer là-dessus, a-t-il dit. Ça vient de ma personnalité et de mon éducation. Je sais que plein de gens me suivent sur les réseaux sociaux, donc en tant qu’exemple, je suis obligé de faire passer certains messages. » Ce qu’il avait fait sur le terrain, aussi, en mai 2020 en posant un genou à terre après avoir marqué avec le Borussia Mönchengladbach pour rendre hommage à George Floyd.

Je pense qu’en grandissant avec lui, je me sens responsable de tenir ce genre de message.

Marcus Thuram à propos de son père

Le nom de Lilian, son père, est forcément venu sur la table. « Mon père ne m’incite à rien, à part être un garçon bien élevé, a-t-il déroulé. Je pense qu’en grandissant avec lui, je me sens responsable de tenir ce genre de message. C’est une éducation que j’ai eue depuis petit et de la sensibilisation sur ce sujet.» Le champion du monde 1998 s’est toujours battu contre l’extrême droite et s’est imposé, dans le foot et dans la société, comme une figure de la lutte contre le racisme. En 2016, il racontait par exemple sur Europe 1 ce jour où Marcus était venu le voir en s’étonnant des propos d’un copain de l’école, lui ayant dit que les mathématiques étaient plus dures pour lui « parce qu’il était noir ». «  Le racisme, je leur en parle depuis qu’ils sont tout petits, confiait récemment Lilian Thuram dans un entretien donné à So Foot Club. Pour lutter contre les discriminations, il faut éduquer les enfants très tôt. Aujourd’hui, Marcus et Khéphren ont les armes pour ne pas en souffrir. » C’est aussi pour cette raison, peut-être, que le premier a su prendre la parole et assumer ses idées ce week-end.

Penser aux autres

Marcus Thuram a dit beaucoup de choses en peu de temps (18 minutes et 7 secondes pour être précis) et la clarté de ses propos, leur puissance aussi, ont presque fait oublier, pour l’instant, tout ce qu’il avait pu dire d’intéressant sur le jeu et son évolution sur le terrain. Il a bien sûr parlé de la situation en Italie, dont la Première ministre est Giorgia Meloni, qui appartient également à l’extrême droite. « Est-ce que c’est un problème pour moi directement ? Non, je suis un joueur de foot, les gens me reconnaissent, a-t-il détaillé. Mais je sais que ça l’est pour des personnes noires en Italie. » Son partenaire Mike Maignan en a été victime à plusieurs reprises. Les footballeurs sont des privilégiés, mais ils ont des familles, des amis, des connaissances, qui ne disposent peut-être pas de leur confort et peuvent avoir des craintes.

Il a évoqué les émissions à la télé, les débats « faits pour que la montée du RN arrive ». Il a laissé le choix aussi aux autres d’avoir leurs idées, ne voulant pas imposer les siennes, mais n’imaginant pas une seconde qu’une personne dans le groupe Bleu ne partage pas sa vision des choses. « Je comprends que certains joueurs puissent venir devant vous et juste dire qu’il faut aller voter, mais je pense que ce n’est pas assez. Il faut expliquer comment on en est arrivé là et la gravité de la situation, a continué Thuram, plein d’assurance. Chacun sent comment il veut gérer cette situation, je ne suis pas là pour forcer quelqu’un à dire quelque chose. Je suis là grâce à mon père, je maîtrise assez cette situation.» On ne sait pas si Marcus Thuram (20 sélections, 2 buts) réussira son Euro sur le terrain, s’il marquera, s’il gagnera sa place de titulaire, mais il a déjà pris, par les mots, une autre dimension.

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