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Euro 2024 : des arbitres enfin libres ?
Dans le vaste débat sur l’arbitrage, une des rares excuses dégainées à décharge de l’homme ou de la femme en noir consiste en la sale manie de l’attroupement de joueurs à la moindre faute. L’UEFA désire y mettre un terme lors du prochain Euro. On est en droit de douter qu’elle y parvienne.
En août dernier, déjà sous le feu des critiques, la commission fédérale des arbitres avait annoncé une série de mesures pour améliorer la situation. Elles ont pour le moins raté leur cible, par exemple sur la VAR. Un des points avancés visait notamment « à casser l’image d’un arbitre entouré par quatre ou cinq joueurs pour mettre la pression », selon les mots de Stéphane Lannoy, directeur technique, depuis remercié. « Nous souhaitons mettre en place une relation privilégiée avec le capitaine ou bien avec un joueur de champ identifié avant le match », concluait-il. Malheureusement, la réalité du terrain a largement démenti ces belles intentions. Des joueurs incapables de faire un repli défensif de 10 mètres en font 40 pour exprimer leur désaccord au sujet d’une faute qu’ils n’ont pas pu voir correctement. Et lorsque l’arbitre se déplace vers son écran pour vérifier son « erreur manifeste », certains continuent de lui coller aux basques dans l’espoir de lui souffler par avance à l’oreille ou à l’esprit ce qu’il doit tirer des images.
Ces rassemblements aussi spontanés que mélodramatiques font quasiment partie de la culture du ballon rond. Ils ont certainement autant une vocation catéchistique, afin de permettre de soulager la colère devant l’injustice d’un hors-jeu annulant un but ou d’une main oubliée, qu’ils sont inutiles dans les faits (il est quand même assez exceptionnel que la décision en soit infléchie). Pire, cette habitude participe d’un climat délétère qui, par ailleurs, déresponsabilise les joueurs. Ces derniers ne se perçoivent qu’en simples clients de l’arbitrage, mécontents de la qualité du service et qui poussent un coup de gueule pour obtenir une remise.
Des discours, en attendant les actes
L’UEFA semble néanmoins également soucieuse du problème. Par la voix de Roberto Rosetti, le patron de l’arbitrage européen, l’instance a annoncé avoir pris la décision de renforcer la position des hommes et femmes au sifflet à l’occasion de l’Euro, qui se tiendra en Allemagne du 14 juin au 14 juillet. « Nous demandons à toutes les équipes de veiller à ce que le capitaine soit le seul joueur qui parle à l’arbitre, a-t-il expliqué à L’Équipe. Nous demandons aux capitaines de s’assurer que leurs coéquipiers ne viennent pas entourer l’arbitre, ce qui permettra d’avoir une conversation directe afin que la décision soit relayée en temps opportun et avec respect. Il est de la responsabilité du capitaine de s’assurer que ses coéquipiers respectent l’arbitre, gardent leurs distances et ne viennent pas l’entourer. » Le risque ? Les intrus pourraient écoper d’un carton jaune, une menace censée être dissuasive durant une compétition aussi courte.
Le hiatus entre les discours et les actes reste toujours le même. Qui pense une seconde que les biscottes tomberont sur des stars comme Jude Bellingham, Jamal Musiala ou d’autres au milieu d’un quart de finale ou d’une demie ? Il faudrait aussi que les capitaines, à l’instar de Kylian Mbappé chez les Bleus, désirent assumer ce rôle devant leurs coéquipiers et leurs supporters. Entraîneurs et joueurs se lamentent déjà du moindre carton, en se montrant toujours plus lourds et excessifs. Comment croire qu’ils ne hurleront pas à la mort quand ils seront distribués pour une « simple » question ? L’acceptation de la loi est le fondement de toute vie sociale, qui assoit la légitimité de la sanction. Mais l’arbitre est vu comme celui qui compromet une saison ou un match par son incompétence, en bref comme un prestataire de services. L’individu en crampons ne se définit évidemment pas comme le citoyen d’une république du foot, surtout dans le haut niveau comprimé entre la dimension économique et les enjeux sportifs.
La confédération du Vieux Continent elle-même semble d’abord préoccupée par le besoin de protéger la qualité, et donc la valeur, de son bien, son foot. « Nous voulons des arbitres avec une forte personnalité qui prennent des décisions – parfois impopulaires – et les assument sur le terrain, a aussi déroulé Roberto Rosetti. Mais nous voulons aussi qu’ils soient plus ouverts et qu’ils expliquent ce qui les a conduits à certaines décisions. » La Ligue 1 s’apprête à sonoriser partiellement les arbitres dans la même perspective. L’objectif principal reste de rattraper le rugby, dont les médias et autres observateurs ne cessent de vanter le comportement des « players » et le fair-play général. Il s’agit seulement de conserver ses parts de marché. Sinon « cela peut entraîner des problèmes de communication, et le football peut très rapidement prendre une tournure très négative, enchaîne Rosetti. Ce qui, comme tout le monde s’accorde à dire, nuit à l’image de notre sport. » Il ne faudrait surtout pas effrayer les sponsors.
Par Nicolas Kssis-Martov