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Ça y est, l’Espagne a lâché son ballon !

Par Enzo Leanni, avec Antoine Donnarieix
6 minutes

L’Espagne est entrée de la meilleure des manières dans cet Euro 2024 en pulvérisant la Croatie (3-0). Va-t-elle remettre ça ce jeudi contre l’Italie ? L’important est surtout de savoir quel sera le plan de jeu de Luis de la Fuente, puisque la Roja a étonnement laissé la possession aux Croates. Une évolution majeure dans un pays si attaché au contrôle et à la passe à dix.

Ça y est, l’Espagne a lâché son ballon !

Avant d’aborder la rencontre face à l’Italie, ce jeudi, Unai Simón est passé par la case conférence de presse où il était notamment question d’un débrief de la première journée maîtrisée contre la Croatie (3-0). Le gardien a été interrogé sur une statistique qui alimente les débats en Espagne : pour la première fois depuis la finale de l’Euro 2008, soit 137 rencontres en compétition officielle, la Roja a laissé la possession à son adversaire (46 % contre 54 %). « On n’aura pas toujours la possession, on n’aura pas toujours plus de contrôle du ballon que l’adversaire, mais il s’agit de gagner les matchs, avec 5 % de possession ou avec 95 », a analysé le portier de l’Athletic Club, marquant ainsi une véritable rupture dans l’histoire récente du football ibérique marquée par des séquences interminables de passes, pour le meilleur et pour le pire.

Une adaptation obligatoire

En juin 2008, au moment pour son pays de surprendre l’Allemagne en lui laissant le ballon, Pep Guardiola n’avait pas officié le moindre match à la tête de l’équipe première du FC Barcelone et n’avait donc pas encore dicté la marche à suivre à l’ensemble de l’Europe. On ne calculait même jamais avec cette précision ces pourcentages relativement flous. Sous le mandat de Luis Aragonés, débuté quatre ans plus tôt, l’art de la confiscation avait déjà été quelque peu développé, mais il a été sacrément intensifié par ses successeurs Vicente del Bosque, Julen Lopetegui ou, surtout, Luis Enrique. Ce dernier avait démarré l’Euro 2021 par un triste 0-0 face à la Suède en conservant le cuir 86 % de la partie ! Au fil de la compétition, l’actuel entraîneur du PSG avait peaufiné son style pour arriver jusque dans le dernier carré, avant de s’autocaricaturer de nouveau à la Coupe du monde 2022 en sortant dès les huitièmes de finale contre le Maroc malgré plus de 1 000 passes.

Avant, avoir plus de contrôle sur le ballon vous garantissait de meilleurs résultats. Maintenant, c’est nous qui pouvons surprendre les adversaires.

Luis de la Fuente

Mais comment la sélection espagnole a-t-elle pu opérer un tel changement en si peu de temps ? D’après Carles Martínez Novell, entraîneur ibérique de Toulouse, ce ne sont pas les échecs successifs aux Mondiaux 2018 et 2022 qui l’expliquent : « Le football prend une direction qui oblige à dominer toutes les phases du jeu, la phase de possession, la phase défensive et les transitions offensives et défensives. Les Espagnols sont également touchés par cette évolution et doivent s’adapter. » Ainsi, Pedri, loué pour sa qualité de passe, a été davantage remarqué pour son pressing lors de l’ouverture de l’Euro 2024 que pour ses 25 ballons touchés. Durant la dernière édition, il en comptait 91 de moyenne et, si ce total est accru par trois prolongations, il est surtout révélateur de l’évolution du rôle du milieu barcelonais en sélection. De son côté, José Luis Mendilibar, entraîneur espagnol de l’Olympiakos et vainqueur de la C4, n’a pas raté une miette du match face à la Croatie et se satisfait de la fin « des passes en retrait sans risque pour garder le ballon coûte que coûte » afin de voir arriver « des passes directes vers l’avant qui peuvent surprendre l’adversaire ». Celle de Fabián Ruiz pour l’ouverture du score d’Álvaro Morata n’aurait effectivement jamais été imaginée lors des années Luis Enrique.

« Peut-être qu’avant, avoir plus de contrôle sur le ballon vous garantissait de meilleurs résultats. Maintenant, c’est nous qui pouvons surprendre les adversaires comme nous l’avons fait aujourd’hui », se félicitait, samedi, Luis de la Fuente, dont le style tranche clairement avec son prédécesseur, aussi bien sur le terrain qu’en dehors. L’ère du sélectionneur au look de proviseur avait toutefois débuté avec les mêmes carences face à l’Écosse sur une défaite (2-0) malgré 75 % de possession. Depuis, il se montre plus flexible que le coach du PSG et « ne valorise pas son jeu uniquement parce qu’il a eu le ballon ou non », d’après Carles Martínez Novell, ce qui a notamment permis de remporter la Ligue des nations, six mois après l’élimination précoce au Qatar.

Le mérite de Luis de la Fuente

L’ancien latéral de l’Athletic Club ne vit que pour la gagne d’après Marc Fachan, son joueur lors de onze petits matchs à Alavés en 2011. Licencié trois mois après son arrivée, Luis de la Fuente a pourtant laissé un souvenir impérissable à l’actuel entraîneur de Tarbes, qui passe son diplôme d’État supérieur et qui est resté en contact avec le sélectionneur de l’Espagne pour parler tactique. « C’est un entraîneur pragmatique, qui voit le jeu de manière verticale. Il veut tout le temps aller de l’avant en mettant beaucoup de vitesse », confirme l’arrière droit. Ce dernier avoue avoir « chialé » lors de son départ et assure que l’équipe de deuxième division aurait pu développer le même style que la Roja face à la Croatie.

Finalement, le Deportivo Alavés n’a pas laissé assez de temps au coach pour mettre en place son projet, malgré de nets progrès au fil des semaines : « On manquait de qualité pour le mettre en pratique lors des matchs, mais les grandes lignes étaient déjà là. Si on le garde, on va en play-off et on joue la montée en Liga. » Après cette courte expérience, qu’il a eu du mal à digérer d’après Marc Fachan, Luis de la Fuente a intégré la fédération en 2013 pour entraîner les différentes sélections en montant les échelons petit à petit. Après des titres européens à la tête des U19 et des Espoirs – en plus d’une finale olympique –, son nouvel objectif est tout trouvé : l’Euro avec les grands.

Vers un changement définitif ?

Reste à voir s’il arrivera à faire perdurer ses idées au-delà de l’été dans ce pays où le football se regarde près d’un tableau noir. Même si l’Italie de Luciano Spalletti arrive à chiper de nouveau le ballon à la Roja, ce jeudi, il n’est pas dit que l’ensemble du football espagnol soit affecté pour autant et abandonne définitivement le contrôle de la possession. « L’Espagne est un endroit où les entraîneurs essaient toujours de chercher de nouvelles options. Je pense qu’il y a toujours un débat entre le style du Barça de Guardiola, celui plus défensif de cette année avec Xavi, le jeu d’Emery, mais avoir le ballon reste très important », explique Carles Martínez Novell. Selon lui, il paraît peu probable de voir arriver du jour au lendemain un amour du jeu de transition, voire, pire, de la contre-attaque, dans les catégories de jeunes joueurs espagnols. José Luis Mendilibar croit également à une tradition perpétuée dans les années futures, car « il est fondamental d’avoir soit les joueurs pour parvenir à ce résultat, soit la mentalité pour pratiquer le football de transition ». Avant 2008 et l’avènement du guardiolismo, l’Espagne ne pensait sûrement pas non plus réussir à garder le ballon durant seize longues années.

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Tous propos recueillis par AD et EL, sauf mentions.

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