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Auf wiedersehen, les Bleus !
Face à l’Espagne, l’équipe de France a montré les limites de sa méthode et de son approche. La méforme totale des deux leaders de l’attaque, Kylian Mbappé et Antoine Griezmann, a pesé dans la balance et, paradoxalement, les Bleus ont atteint les demi-finales sans laisser une grande trace ou des émotions mémorables.
Deux cars, deux ambiances : il était environ minuit trente quand le vaisseau espagnol a commencé à cracher de la musique latine pour accompagner le retour de ses héros, qualifiés en finale de l’Euro, en même temps que les Bleus rejoignaient leur bolide sans avoir la tête à la fête. Voilà, c’est fini. Il n’y aura pas de deuxième finale à Berlin après celle de 2006, ni le sacre continental attendu depuis 2000. Le foot laisse encore de la place à la logique quand celle-ci est implacable. L’Espagne était plus forte, la France n’était pas au niveau, et on se demande aujourd’hui ce qu’il restera de ce championnat d’Europe dans la mémoire collective. On aurait voulu poser la question à Didier Deschamps après la rencontre : « Quand on met à ce point le résultat au-dessus de tout et qu’il s’impose comme le seul juge de paix, que reste-t-il quand la victoire n’est pas là ? » Le micro n’est pas arrivé jusqu’à notre siège, mais la réponse n’aurait peut-être pas valu le coup non plus. Comme cette compétition, au fond, où les moments les plus marquants, les plus profonds, auront sans doute été les discours citoyens et humanistes de Marcus Thuram, Jules Koundé et Ibrahima Konaté. Tout ce que le sélectionneur aurait aimé que l’on oublie durant ce mois d’aventure allemande, mais le sujet était trop important et le jeu trop peu emballant pour rassembler tout un pays derrière l’équipe de France.
Un Euro à tâtons
Après tout, Deschamps ne peut pas endosser la seule responsabilité de ce qu’on a envie de rapprocher d’un échec plus que d’une réussite. Les Bleus sont arrivés jusqu’à la demi-finale sans pouvoir compter sur leurs deux joueurs majeurs. Comment aller au bout avec un Kylian Mbappé en perdition et qui avait besoin de vacances et un Antoine Griezmann méconnaissable ? « J’avais l’ambition d’être champion d’Europe et de faire un bon Euro, je n’ai fait ni l’un ni l’autre », résumait le capitaine tricolore, sans se cacher, en zone mixte, assumant la supériorité de leur adversaire du jour et qu’il avait manqué « suffisamment de choses » pour aller en finale. « C’est un coup derrière la tête, enchaînait Grizou, l’autre joueur français à s’être arrêté en zone mixte. Les regrets sont par rapport aux vingt premières minutes, où on a été au-dessus dans l’intensité et l’envie de jouer. […] J’ai mal commencé, je me sentais de mieux en mieux… et j’ai fini sur le banc. On reviendra, j’ai essayé de tout donner, il y a eu beaucoup de changements de positions, il fallait toujours s’adapter. » Un début de malaise, peut-être, et la frustration légitime d’un leader de l’ère DD, qui n’a jamais réussi à emmener la France très loin quand il a manqué de savoir comment utiliser le Colchonero (en 2021, déjà).
La preuve aussi que Deschamps a tâtonné, sans doute trop : il finissait toujours par trouver son onze type au fil d’un tournoi, il n’a jamais réussi à installer une ligne offensive stable. On aura eu le quatuor Griezmann, Dembélé, Thuram, Mbappé contre l’Autriche ; un autre avec Rabiot pour compenser la blessure au nez du numéro 10 contre les Pays-Bas ; un trident Dembélé, Mbappé, Barcola face à la Pologne ; une association Griezmann, Thuram, Mbappé contre la Belgique ; puis Grizou en soutien d’un duo Kolo Muani-Mbappé face au Portugal ; pour finir avec un trio 100% PSG 2023-2024 composé de Mbappé, Dembélé et Kolo Muani. Pour quel résultat ? Deux pions contre son camp, un penalty de Kyks et un coup de casque de RKM pour le seul but dans le jeu du tournoi. Famélique. « Offensivement, on a raté pas mal d’occasions, ça nous a fait mal », concédait encore Griezmann. Voilà ce qui arrive quand il faut tenir sur un fil, compter sur une défense qui ne concède rien et un gardien infranchissable : un chef-d’œuvre lointain d’un môme de 16 ans et un enchaînement dans la surface peuvent finir par vous mettre la tête sous l’eau. Sans jamais pouvoir en ressortir, à force de ne pas savoir attaquer, presser ensemble et mettre le feu dans les 30 derniers mètres. Ce sont les limites d’une approche et d’une méthode, qui n’auraient pu valoir le coup qu’à la lumière de la beauté d’une victoire finale, puisque le reste appartenait au domaine du moche.
Dans le fossé
Les Bleus de Deschamps n’avaient jamais connu une défaite aux portes d’une finale, il ne fallait donc pas compter sur le technicien pour accabler ses joueurs ou donner beaucoup de choses à son auditoire. « La responsabilité est la mienne », a-t-il précisé, avant d’énumérer toutes les péripéties rencontrées depuis le début du rassemblement, entre les blessures des uns et des autres (Rabiot, Upamecano) et la méforme de ses cadres. Facile, un peu. « On a été un peu en dessous aussi, je ne vais pas me chercher d’excuses, a-t-il continué. La marche était un peu plus haute. Dans le jeu, cette équipe a beaucoup plus de maîtrise. On a été moins performants dans l’orientation du jeu, on a manqué de verticalité, même si on a poussé jusqu’au bout. Je ne reprocherai pas aux joueurs d’avoir donné tout ce qu’ils avaient. […] On n’avait pas 100% de notre potentiel. » Il restera le sélectionneur aux trois finales en quatre tournois, celui du Mondial 2018, mais un fossé un peu plus important semble s’être creusé dans un été où il a voulu encore moins donner qu’habituellement. Aux journalistes comme aux supporters, à ceux qui aiment l’équipe de France, priés de « changer de chaîne » en cas d’ennui. Une question simple, sans méchanceté, lui a été posée ce mardi soir, autour de son envie de se projeter dans le même costume pour la Coupe du monde 2026. Il a répondu sèchement, ne masquant pas son agacement : « Vous êtes redoutable. Posez la question à mon président. Moi je vous respecte, essayez de respecter les personnes qui ont des responsabilités. Je ne vais pas répondre à celle-là aujourd’hui, mais vous savez très bien ce que pense mon président. Vous auriez pu très bien ne pas me la poser. » Il paraît que si on n’était pas content, il fallait éteindre la télé. C’est fait.
Par Clément Gavard, à l'Arena de Munich