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Didier Deschamps serait-il misomuse ?
Antithèse stylistique de l’équipe de France et de son Doppelgänger anglais, la Roja a soulevé son quatrième Euro après avoir livré un football offensif, créatif et proactif. En somme, du beau jeu qui met tout le monde d’accord. Une dimension plastique que refuse pourtant catégoriquement d’évoquer Didier Deschamps, quand on lui demande de causer ballon. Cet homme-là serait-il donc hermétique à toute forme d’esthétisme dans le sport ?
« Si vous vous ennuyez, regardez autre chose. Vous n’êtes pas obligés. » Interrogé sur les vertus anesthésiantes du jeu de l’équipe de France avant d’affronter l’Espagne en demi-finales de l’Euro, Didier Deschamps avait répondu en ces termes à un journaliste suédois. Mi amusé, mi agacé, la Desch’ avait ensuite précisé sa pensée : « Si les Suédois s’ennuient, ça n’a pas trop d’importance pour moi… Ce que je sais, c’est que nous avons la capacité de pouvoir partager des émotions, de rendre beaucoup de nos compatriotes heureux. »
Didier, t’es chiant
Pas sûr, pourtant, que beaucoup de Français aient vraiment fait l’expérience cet été des émotions évoquées par leur sélectionneur. Qu’importe : Didier Deschamps ne veut pas parler de jeu. Surtout pas de celui de son équipe, qu’il ne serait pas abusif de qualifier de disgracieux. Pire : depuis sa nomination à la tête des Bleus en 2012, le sélectionneur fait comme si la dimension esthétique du football n’existait pas. Tout cela relèverait, à l’entendre, de l’accessoire. D’un caprice supporteriste et journalistique. D’un infantile gadget footballistique.
Si Deschamps ne veut jamais parler de jeu, peut-être serait-il plus prolixe pour causer de littérature. Notamment de Milan Kundera, disparu en 2023. Le célébrissime auteur tchécoslovaque avait inventé un mot pour désigner les types comme l’actuel sélectionneur français : misomuse. Ce néologisme qualifie toute personne dépourvue de sensibilité artistique, et plus largement esthétique. Mué par une logique froidement utilitariste, Deschamps, aura, de fait, fait du résultat pur et dur le seul et unique déterminant de son bilan sur le banc de l’équipe nationale, sans jamais se soucier de la moindre considération stylistique. Alors ? Alors, tout cela est, finalement, bien étrange. Un peu consternant, aussi. Après tout, si le football se résumait à un score, plus personne ne regarderait les matchs et tout le monde se contenterait de zieuter une simple feuille de résultats. En 2024, qu’est-ce qui peut encore bien pousser des millions de gens à consacrer 90 à 120 minutes de leur temps à regarder 22 types taper dans un ballon ? Probablement la recherche d’une émotion visuelle. D’un choc. D’une expérience esthétique en somme, que ne conçoit tristement pas l’actuel sélectionneur des Bleus.
Foule sentimentale
Si le football n’est pas un art, il se trouve que peu ou prou toute l’Europe du pied-balle s’est retrouvée à soutenir l’Espagne ce dimanche soir, face aux Three Lions. Parce que le cerveau humain a le bon goût de produire plus de sérotonine après un une-deux amoureux ou une passe exquise en première intention. Parce que l’œil préfère naturellement la symétrie, la symbiose des corps qui se meuvent ensemble, à celle d’une silhouette qui cavale seule en contre. Parce que le football qui ose, qui crée, qui invente sera toujours davantage capable d’exalter les passions et les sentiments, que celui qui se recroqueville apeuré sur ses bases arrière. Moralité ? Parlons de style. D’harmonie collective. De plaisir. De panache. En équipe de France ou ailleurs. Quitte à s’autoriser un nouveau pas de côté littéraire, en opposant à tous les misomuses de France et de Navarre les jolis mots d’un des personnages de L’Idiot, l’un des maîtres romans de Fiodor Dostoïevski. L’un de ses protagonistes y proclame que « la beauté sauvera le monde ». Gageons, contrairement à ce que pense Didier Deschamps, qu’elle sauvera le football aussi.
Par Adrien Candau