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Mbappé, le masque et la purge
Capitaine décevant d’une équipe de France sortie d’un Euro qu’elle n’aura pas vraiment embrassé, Kylian Mbappé n’aura jamais eu l’impact espéré sur la compétition. Le destin des Bleus passait par lui, cette fois, il n’aura pas pu les sauver.
On l’avait quitté en grande compétition sur un statut de sauveur malheureux face à l’Argentine, à Lusail, lors de la finale de la Coupe du monde. On l’a retrouvé fatigué, puis rapidement blessé, mais décisif, face à l’Autriche à Düsseldorf. On le laissera cette fois tête basse, à Munich, au sortir d’une défaite synonyme d’élimination face à l’Espagne et sans les petits mots de réconfort de Macron dans l’oreille. Dans un Euro qu’il voulait marquer de son empreinte, Kylian Mbappé a presque tout raté, personnellement et collectivement. Surtout, dans ce dernier match comme dans les quatre autres qu’il a disputés jusque-là, il a trop souvent semblé emprunté, tout au long d’un tournoi qu’il a traversé comme une ombre, et dont on espérait qu’il change la destinée.
Démasqué mais pas retrouvé
Pourtant, dès les premiers instants de cette demi-finale, on a bien cru qu’il avait retrouvé la lumière qu’il aime si souvent prendre, une fois la tunique tricolore revêtue. Sans son masque au coup d’envoi – « j’en avais ras le bol » –, il a de suite cherché à provoquer Jesús Navas dans son couloir gauche. Avec réussite d’abord, puisque c’est lui qui délivre un véritable caviar pour Randal Kolo Muani sur l’ouverture du score des Bleus, avant d’allumer la mèche quelques instants plus tard, repris de justesse par Nacho. Pétard mouillé.
La suite, c’est un match traversé comme une âme en peine, sans magie ni idée et avec, surtout, un nouveau gros raté face au but, à cinq minutes du terme de la rencontre. Une frappe qui s’est envolée dans les nuages comme les espoirs français, sur un geste qui a maintes et maintes fois été décisif par le passé. Une façon de boucler la boucle, avec un face-à-face finalement annonciateur, raté face à l’Autriche, le match qui a changé son Euro. Son penalty contre la Pologne ou la passe décisive du soir pourraient adoucir un tableau franchement sombre, cela ne suffira malheureusement pas. Jamais les Bleus n’avaient perdu un match au cours duquel leur capitaine s’était montré décisif. Il faut bien une première à tout, mais voilà un nouvel exemple que le Kyks avait perdu un peu de son mojo en Allemagne.
Des excuses oui, éternellement non
Alors qu’il est apparu aussi déçu que soulagé d’être enfin en vacances, Mbappé a mis des mots sur ce qu’il vient de traverser : « On avait l’ambition d’être champions d’Europe, j’avais l’ambition d’être champion d’Europe, à partir de ce moment-là, c’est une compétition ratée. » Surtout, il s’est montré lucide sur son rendement personnel, ne mâchant pas ses mots sur son tournoi. « Ma compétition est difficile, ratée », a ainsi lâché le gamin de Bondy. Le rendement sur le terrain ne peut qu’abonder dans ce sens. Avec 30 petits ballons touchés en demies, il n’a pas eu d’influence sur la rencontre. Ses 14 petites passes tentées témoignent aussi d’un individualisme certain, et paradoxal compte tenu de son offrande. Avec une seule frappe cadrée sur quatre tentatives, contrée par Nacho et qui n’aura pas fait cinq mètres, il a encore manqué d’efficacité, de lucidité aussi. Comme lorsqu’il a tenté de tirer directement un coup franc axial, envoyé droit dans le mur espagnol, établissant un record d’inefficacité à l’Euro.
23 – Kylian Mbappé est le joueur qui a tenté le plus de tirs hors penalty à l’EURO 2024 (23), mais aucun n’a trouvé le chemin des filets. Pif. pic.twitter.com/8Q7OBUWq7u
— OptaJean (@OptaJean) July 9, 2024
Mbappé a bien le droit de trouver des explications à cet Euro très en deçà des attentes. C’est même conseillé pour revenir plus fort. Cependant, toutes ne sont pas à mettre au même niveau. Il l’a joué fatigué, on le sait, handicapé par une prépa tronquée par une petite gêne au genou (et de manière plus large par une préparation en 2023 faite dans le loft parisien), on le sait aussi. Il a joué le nez cassé, ce qui l’a forcé à porter un masque contre la Pologne, la Belgique et le Portugal. On le sait très bien là aussi. Ses coéquipiers, curieux, ont essayé l’outil et témoigné d’une vraie gêne. Il a également mis le contexte politique assez pesant dans la balance. On l’a senti nous aussi. Sauf qu’un joueur de sa trempe se doit par moments d’assumer son statut.
Enlever le brassard pour jouer libéré ?
Tout n’est pas à jeter pour autant. Malgré des performances très en dedans, qui ont permis à certains joueurs de devenir leaders sur le pré, il a sans doute gagné en épaisseur dans la vie de groupe, en témoigne son attitude en amont de la séance de tirs au but face au Portugal, qu’il ne disputait pourtant pas. Mais comme un symbole, le climax de l’Euro tricolore s’est fait sans lui. Après son tir au but manqué contre la Suisse en 2021, Mbappé avait dû se remettre en question, réflexion finalement bénéfique. Peut-être en sera-t-il de même cet été, avant le grand saut vers le Real Madrid, dès le mois d’août. La question du brassard de capitaine se posera sans doute aussi, même si Didier Deschamps ne devrait pas prendre le risque de destituer son n°10.
Si souvent capable de porter les Bleus sur ses épaules, il a fini l’Euro sur les rotules, au sortir d’une saison il est vrai éreintante, où il aura accaparé toute l’attention médiatique, en club comme en sélection. On l’a bien senti tout au long de ses trois semaines allemandes, il était fatigué et avait besoin d’un grand repos, qu’il a appelé de ses vœux en zone mixte. Avec cette défaite, voilà au moins qu’il vient de gagner six jours de vacances par rapport à ses futurs coéquipiers espagnols du Real Madrid, alors que sa future présentation au public merengue va venir puiser ses dernières forces. Comme il le dit si bien : « C’est le football, il faut passer à autre chose. »
Par Julien Faure