- Euro 2024 – Finale – Espagne-Angleterre (2-1)
Qu’est-ce qui est blanc et qui attend ?
Une fois de plus, l’Angleterre a échoué à remporter l’Euro. Nope mate, it’s still not coming home. Pour les supporters, de nouveau archinombreux à faire le déplacement, c’est avec – ironie du sort – une douche écossaise qu’ils repartiront d’Allemagne, sans aucun motif d’espoir. Ou presque.
Sur la Breitscheidplatz, au pied de l’église du Souvenir de Berlin, les Anglais sont comme à la maison. Les drapeaux indiquent qu’ils sont venus de Harrogate, de Manchester, de Southend ou encore de Sunderland. Celui de Sheffield, trempé d’une malodorante flaque de vomi, rappelle que le programme suit son cours comme prévu : boire, boire, boire et chanter à tue-tête Sweet Caroline, Dancing in the Dark et Hey Jude. Le légendaire It’s Coming Home se fait quant à lui plus discret. « C’est fait exprès, justifie Mark, venu de Stoke. Avec les années, on a compris que ça nous portait la poisse de le chanter autant, c’est pour ça qu’on attend d’avoir gagné cette fois-ci. » Aussi prudent que présomptueux, le lad retourne vite attaquer une dix-septième bière en beuglant un simple « EN-GER-LAND ! » avec ses potes. L’esprit est rustre, mais bon enfant.
Les Espagnols sont loin, et même s’ils se rendent au stade en cortège, ce sont les Anglais qui dominent les effectifs d’une large tête. « Je crois qu’on est environ 50 000 aujourd’hui, mais il n’y a que 30 000 places pour nous au stade, ça veut dire que 20 000 gars sont venus juste pour faire la fête », dit Olly – « comme l’aéroport de Paris » –, un étudiant venu de Bath et qui, par conséquent, n’est pas attendu au boulot ce lundi matin.
Lui sera bien présent à l’Olympiastadion, mais n’a pas envie de révéler le prix qu’il a payé pour son ticket, par pudeur. « Money talks », se contente de lâcher celui qui suit l’Angleterre pour la première fois dans un grand tournoi, contrairement à Jim, qui en est déjà à son cinquième. « Franchement, l’Allemagne c’était trop cool. Vrai pays de foot, respect. Maintenant, si on peut rentrer avec le trophée, ce serait encore mieux, je n’en peux plus de voir mes espoirs réduits à néant à chaque fois ! »
De fait, le traumatisme de la séance de tirs au but perdue face à l’Italie il y a trois ans est encore dans toutes les têtes. Entre-temps, il y a eu le Mondial au Qatar et une élimination en quarts de finale, puis cet Euro lors duquel, selon Olly, « l’Angleterre ne méritait objectivement pas d’aller en finale. On a eu de la chance de tomber dans la partie droite du tableau. Si on avait dû jouer contre l’Allemagne, la France ou le Portugal, ça fait bien longtemps qu’on serait déjà dehors ! » Pourquoi exactement ? La réponse semble tenir en deux mots : Gareth Southgate. Sous le feu des critiques pour la supposée pauvreté du jeu proposé et des choix tactiques discutables, le sélectionneur des Three Lions a tout de même provoqué pas mal de retournements de gilets à mesure de l’avancement de son équipe, à l’image de cette silhouette en carton découpée à son effigie et brandie triomphalement par-dessus la foule de la Breitscheidplatz. « Malgré tout, même si on gagne, je lui souhaite de partir, souffle Olly. On a des talents incroyables dans cette équipe, ce n’est pas possible de pratiquer un football aussi ennuyeux. C’est même du gâchis. »
21 169 jours de diète
Avant la rencontre, Southgate avait affirmé ne pas croire « aux contes de fées, mais plutôt aux rêves ». Sur le parvis de l’Olympiastadion, ils sont des milliers à y croire eux aussi. Et à l’approche du coup d’envoi, les It’s Coming Home se font toujours aussi rares. L’Angleterre aurait-elle appris la modestie ? Il faudrait au moins ça pour mettre fin à très exactement 21 169 jours passés sans remporter le moindre trophée international. Dans les tribunes, les supporters des Three Lions jouent clairement à domicile. Pas un centimètre carré de rambarde qui ne soit recouvert d’un drapeau, pas une seconde sans qu’un chant ne vienne rompre le silence. Même pendant la cérémonie d’ouverture, de vibrants « EN-GER-LAND ! » couvrent la performance de MEDUZA, OneRepublic et Leony, venus interpréter leur hymne Fire. Les Anglais sont venus pour en finir avec la malédiction. Que le match commence.
Il n’y a qu’à la 21e minute qu’on entend résonner le chant du jinx. Une fois, pas plus. L’Espagne fait le jeu, l’Angleterre résiste bien, le 0-0 à la pause est justifié. Puis, c’est la douche froide : Nico Williams ouvre le score dès le retour des vestiaires, les supporters espagnols profitent de l’accalmie pour se réveiller, jusqu’à oser une série de « Ooooléééé ! » lorsque la Roja entame une séquence de passe à dix. Grossière erreur : tout juste entré en jeu, Cole Palmer égalise et prouve qu’il ne faut pas crier victoire trop vite. L’Olympiastadion se mue de nouveau en volcan shakespearien, mais la suite, on la connaît : à cinq minutes de la fin du temps réglementaire, Mikel Oyarzabal vient crucifier Pickford et offrir à l’Espagne sa quatrième couronne européenne. Fin du rêve, même la plus grande prudence n’aura servi à rien. It’s actually not coming home, point à la ligne.
En conférence de presse, Gareth Southgate avait – logiquement – des airs de chien battu, reconnaissant avoir perdu « contre la meilleure équipe du tournoi » et se disant « très fier de [son] groupe ». « C’est incroyablement dur de perdre une finale, surtout dans les cinq dernières minutes, récitait-il, même si cette équipe a rendu le pays fier. » Pas de quoi consoler les supporters, à en croire les nombreux « Fuck Southgate ! », entendus dans les coursives du stade olympique.
On retiendra surtout que c’est la première fois qu’une nation perd deux finales consécutives. L’intéressé ne se satisfait évidemment pas lui-même de ce maigre bilan : « Dans ma tête, rien de tout ça ne compte, car je ne suis concentré que sur le fait qu’on avait l’opportunité de remporter un titre et qu’on l’a manquée. » À la question de savoir si son mandat de huit ans à la tête de la sélection prenait fin avec ce nouveau revers, l’intéressé a botté en touche : « Je comprends parfaitement la question et je sais que vous avez besoin de la poser, mais j’ai d’abord besoin d’avoir une discussion avec des personnes importantes en coulisses avant d’en parler publiquement. » Quoique ? « Il ne fait aucun doute que l’Angleterre possède des joueurs fabuleux et qu’elle a l’expérience des tournois majeurs. Beaucoup de ces joueurs seront encore là dans deux, quatre, six ou huit ans », a-t-il conclu, cette fois-ci sans dire « nous ». Un signe ? Laissons aux supporters encore un peu de temps avant de l’interpréter. Dans l’immédiat, ils ont une nouvelle gueule de bois à soigner.
Par Julien Duez, à l'Olympiastadion de Berlin
Photos : Icon & JD.