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Le Morata dans les chaussettes
S’il est moins en verve que ses cadets Yamal et Williams, le capitaine Àlvaro Morata n’a pas ménagé ses efforts pour porter la Roja en finale de l’Euro. Sauf qu’à l’aube d’affronter l’Angleterre, le quatrième meilleur buteur de l’histoire de l’Espagne est en passe de réussir à 31 ans son plus beau défi : faire taire tous ses haters.
Il célèbre ses buts en dessinant avec ses doigts les initiales de ses quatre mômes (Leonardo, Alessandro, Bella et Edoardo), il se rase les cheveux pour soutenir la recherche contre le cancer, il republie tous les contenus de ses coéquipiers dans ses stories Instagram, suivies par plus de monde que Xavi, Puyol, Yamal ou encore Pedri. Il est aussi le meilleur buteur de l’Espagne lors de la dernière Coupe du monde et des trois derniers Euros et le quatrième buteur de l’histoire de la Roja (36 buts), derrière Fernando Torres (38), Raúl (44) et David Villa (59). En plus de ça, Àlvaro Morata porte le brassard à l’Euro, et n’a plus qu’à terrasser l’Angleterre pour brandir le trophée. Toute cette liste pourrait faire frétiller n’importe quel Andalou, Catalan, Galicien ou Basque, mais non. Àlvaro Morata reste impopulaire en son pays. Avant la demi-finale contre la France à l’Euro, le journal El Confidencial a titré : « Morata, un capitaine qui embarrasse l’Espagne, et pas seulement par son pauvre niveau à l’Euro », pointant du doigt son côté « mal élevé », qui « prend toute critique comme une attaque personnelle ». Bim. Juste avant la victoire face aux Bleus, l’attaquant de 31 ans a fini par craquer dans un entretien à El Desmarque : « Je suis plus heureux à l’étranger parce que les gens me respectent. » Alice Campello, sa compagne, a pris sa défense sur ses réseaux sociaux : « J’hallucine de voir qu’au lieu d’encourager un joueur de votre sélection, vous vous consacrez à essayer de l’enfoncer. » À l’heure de fêter sa dixième année avec la sélection par une finale continentale, l’interminable chemin de croix semble donc se poursuivre pour Morata.
Full sentimental
Ce rejet, le bouc émissaire des Espagnols l’expérimente depuis son enfance. À cette époque, il ne mesure pas encore 1,90 mètre, mais adore déjà le foot, biberonné par son grand-père à l’Atlético de Madrid. C’est son club de cœur, il a des photos avec des maillots rayés de rouge et de blanc. Souci : il porte aussi la tunique du Real Madrid. Comme s’il ne pouvait pas choisir. Son abuelo le reniera même lorsqu’il rejoindra le rival en 2008 pour finir sa formation, acte de haute trahison pour les supporters des deux clubs.
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Le tatoué s’exile alors, ballotté entre l’Italie, l’Angleterre et l’Espagne. À Chelsea et malgré son statut de plus gros transfert de l’histoire du club avant que les Blues ne craquent pour acheter Enzo Fernández et Mykhailo Mudryk, il ne s’impose jamais vraiment. Plus tôt à la Juve, même s’il répond présent lors des gros matchs, marquant cinq buts en Ligue des champions dont deux en demies contre le Real Madrid, il n’inscrit que huit buts en Serie A. Morata part et revient, se confiant sans états d’âme sur ses clubs précédents. « Si sa carrière avait duré quinze ans en Espagne, dans la même équipe, je crois qu’on ne le critiquerait pas aussi facilement aujourd’hui », résume à Relevo le défenseur italien Leonardo Bonucci, qui parle d’un coéquipier « authentique, sensible et profond ». En sélection, le goleador de l’Atlético de Madrid est conspué pour ses occasions ratées, symbole de l’Espagne qui galère. Pas retenu pour la Coupe du monde 2018, délaissé quand il faut jouer avec un faux 9, il fut moqué, voire menacé de mort, pour sa maladresse et ses hors-jeu. Un refrain lui était dédié lors des matchs de la Roja, sur l’air de Guantanamera : « Qué malo eres, Morata, qué malo eres » (« Qu’est-ce que t’es mauvais, Morata, qu’est-ce que t’es mauvais », en VF). En 2021, alors qu’il est pourtant meilleur buteur de l’Espagne à l’Euro, il confiait avoir eu recours à un psychologue. Morata lit beaucoup les réseaux sociaux, il répond. Preuve juste avant cet Euro : il fond en larmes devant sa famille qui l’encourage. « Je ne veux pas donner le sentiment que je suis là pour me plaindre ou pour pleurer », disait-il alors.
Le Giroud espagnol
Finalement, Álvaro est revenu aux sources, à l’Atlético de Madrid en 2022 et devient titulaire avec Diego Simeone. Quelques mois plus tard, Luis de la Fuente arrive sur le banc espagnol. Comme le veut la tradition dans le pays de la corrida, le remplaçant de Luis Enrique place le brassard autour du bras du joueur comptant le plus de sélections (il en compte 79 à ce jour). Depuis, sur le terrain, il n’a pas grand-chose à se faire reprocher. Même s’il ne termine pas ses matchs (un impondérable de sa carrière), le troisième meilleur buteur de l’histoire de l’Euro, derrière Platini et Cristiano Ronaldo, aimante les défenses centrales adverses, gagne ses duels aériens, est un poison au pressing, brille par sa roublardise pour récupérer des coups francs, décroche ou file dans la surface pour exploiter au mieux les flèches Yamal et Williams. Bref, le profil idoine pour cette Espagne et son nouveau registre, comme le fut Olivier Giroud chez les Bleus. « Je ne pense pas qu’il y ait un seul entraîneur au monde qui ne fait pas d’éloges à un joueur comme lui, avait expliqué Luis de la Fuente après la victoire de l’Espagne face à la Croatie (3-0). Il te crée des supériorités numériques, il donne de la fluidité au jeu, il défend comme s’il était un stoppeur, il est dominant dans le jeu aérien, il sait marquer, il est puissant. »
Bien qu’il se soit fait faucher par un stadier après la victoire face aux Bleus, il cherchera ce dimanche à devenir le quatrième joueur de l’Atlético à remporter une Coupe d’Europe avec l’Espagne. Le royaume, lui, se rendra peut-être compte qu’elle a dans ses rangs une pointe comme elle n’en a plus connu depuis l’époque bénie de Fernando Torres et David Villa. « On a de la chance qu’il soit parmi nous, disait Luis de la Fuente après la qualification pour la finale. On a vu la générosité d’un génie. Morata est un exemple. C’est le meilleur capitaine qu’on peut avoir. Il est généreux dans l’effort, il a une grande force de travail. Il est indiscutable et on a besoin de lui sûr comme en dehors du terrain. Il est un homme d’une grandeur exceptionnelle. Il va entrer dans l’histoire du football espagnol. » Et fêter ça en famille.
Ulysse Llamas