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Euro 2016 : Les mots bleus (3)

Par Benjamin Laguerre
6 minutes
Euro 2016 : Les mots bleus (3)

L'EDF joue l'Euro à domicile, peut-être pour le gagner. Mais au fond, on s'en fout un peu, car comme le dit Sami Frey dans Danse avec lui : « Qu'importe le but, l'important c'est le chemin parcouru...  » Alors on s'est dit que c'était l'occasion de revenir sur les chemins de nos Bleus. Des victoires et des défaites, des histoires individuelles ou collectives, heureuses ou malheureuses, ancrées dans notre mémoire collective ou inconnues du grand public. Une sélection de livres estampillés «  bleus  » pour vous accompagner avant et pendant la compète. Parce qu'un championnat d'Europe à 24 équipes, c'est long et que ça laisse du temps pour bouquiner. Onze livres en onze points afin de mieux connaître nos Bleus.

Chronique 3 : Guy Carlier, Qui veut tuer Mathieu Valbuena ?

I. Le pitch du bouquin

Guy Carlier explique en amont : « J’aurais pu écrire un livre entier sur l’odeur du sandwich au saucisson à la mi-temps d’un match à Colombes. Alors, me direz-vous, pourquoi Montherlant, pourquoi Valbuena et pourquoi pas l’odeur du saucisson à l’ail ? » On sent que l’auteur a envie de parler ballon, mais que ça peut vite partir en cacahuète. L’ex-sniper du PAF s’explique sur le pourquoi du comment de son projet : « Parce que, un beau soir de septembre, Mathieu Valbuena, entrant sur la pelouse d’un stade Vélodrome auquel il avait donné huit années de bonheur, s’est vu pendu en effigie dans les tribunes par ceux qui l’avaient adoré. » Guy Carlier s’annonce donc en mode vengeur démasqué.

II. La cote « bleue attitude »

Avec Mathieu Valbuena, il n’y a pas de demi-mesure, c’est 0 ou 100%. Des moments de solitude et de désamour (accusé d’être la taupe de Knysna en 2010, seul joueur de champ n’ayant joué aucune minute à l’Euro 2012, non sélectionné depuis septembre 2015) entrecoupés d’épisodes de gloire (Espagne-France en octobre 2012 et une entrée en jeu décisive devant sa famille franco-espagnole, l’historique France-Ukraine de novembre 2013, titulaire à la Coupe du monde 2014 au Brésil, coup franc magistral à Lisbonne il y a neuf mois). Guy Carlier résume cette histoire avec philosophie et en chanson : « J’ai écrit une chanson pour Johnny Hallyday qui s’intitulait Ce qui ne tue pas rend plus fort. C’est une phrase de Nietzsche, Johnny ne l’a jamais su. Elle symbolise parfaitement Mathieu Valbuena. À chaque souffrance, à chaque blessure, à chaque injustice, même s’il titube sous le choc, même s’il tombe parfois, il se relève et repart plus fort, plus haut. Sa carrière n’est qu’une succession d’épreuves suivies de rebonds. »

III. Pourquoi faut-il lire ce livre

? Pour le plaisir de lire quelques passages de l’enfance de Guy Carlier et son amour du ballon rond pendant sa scolarité : « Un jour que nous remontions en classe après la récré, M. Moureaux m’appela au tableau, me tendit une feuille et me demanda de lire le poème.(…)Je me mis donc à déchiffrer comme il était d’usage : De Henry de Montherlant : « Un ai… ailier est un enfant perdu… » Je regardai le prof, interloqué. « Mais, m’sieur, c’est le vrai Montherlant qui a écrit un poème sur un ailier ? » (…)M. Moureaux, professeur des classes de cinquième au collège Paul Vaillant-Couturier d’Argenteuil, venait de faire entrer la passion de la littérature dans nos âmes en se servant de notre passion du foot comme d’un cheval de Troie. »

IV. Pourquoi gagner du temps et ne pas acheter ce bouquin ?

Parce que, dans son récit, Guy Carlier mélange tout. C’est un condensé d’émotions liées à l’enfance, d’expérience professionnelle inattendue au PSG, de jugements moraux sur le monde du foot pro ou amateur… avec Mathieu Valbuena en toile de fond. On a parfois du mal à suivre, et ça part un peu dans tous les sens. Un exemple ? En dix pages (dans le chapitre 5, « Le temps des assasins » ) on a droit à son avis sur les affaires actuelles de Platini, le Periscope d’Aurier, la fin de Jacques Glassmann mise en chanson par Jean-Jacques Goldman… Et, au milieu, la présence du secrétaire d’État de Richard Nixon, Henry Kissinger… On se pose donc une question : que prend Guy Carlier avant de se mettre à écrire ?

V. Le chapitre qu’on n’a toujours pas compris

Le délire sur les araignées pour évoquer le premier fait de gloire de Mathieu Valbuena, son but à Liverpool avec l’OM en 2007 : « Cet après-midi-là, il faisait beau sur Anfield Road. Une famille de Pholcus phalangioides traversait la pelouse…(…)Les enfants araignées étaient fous de joie en gambadant sur ce gazon magnifique, la maman Pholcus était plus circonspecte.(…)Il n’y a pas que les araignées qui furent impressionnées ce soir-là. » En fait, on a peut-être trouvé la réponse à notre question précédente : Guy Carlier écrit sans doute sous ecstasy.

VI. Le moment « bleu » qu’on n’a pas oublié

« Le 5 mai 2010, Mathieu devint champion de France et, une semaine plus tard, Raymond Domenech le convoqua, à la surprise générale, pour la Coupe du monde. L’annonce de la sélection tomba, alors que Mathieu s’était offert un aller-retour éclair à Blanquefort avec Fanny, sa compagne. Mis dans la confidence, son agent avait organisé un dîner chez lui, dans sa villa de Mimizan. Il avait invité toute la famille. Les portes de la demeure avaient été également ouvertes à la presse.(…)Ses cheveux gominés à l’italienne et les larmes qu’il écrasa lorsque son nom apparut sur l’immense écran plasma de son agent ne déçurent aucun des reporters présents. » Nous non plus. La preuve, on s’en souvient encore comme si c’était hier.

VII. À quel moment commencer ce livre ?

Il est déjà trop tard. Ce livre appartient au passé. Entre Valbuena et l’équipe de France, l’histoire est finie et tous les protagonistes le savent très bien. Selon Guy Carlier, les coupables sont nombreux, tout le monde a eu la peau de Mathieu : le formateur Philippe Lucas qui l’a éjecté du centre de formation des Girondins, les vestiaires par lesquels il est passé, Canal + et l’épisode de la sortie du stade, chaussettes au-dessus du survêtement, les consultants… En fait, Valbuena serait un super héros qui a lutté contre de nombreuses forces obscures tout au long de sa carrière. Jusqu’à quand ?

VIII. Pourquoi cette histoire a exclu Valbuena de la liste des 23 de Deschamps

Parce que Dimitri Payet en a décidé ainsi et personne d’autre. Oui, vous avez bien lu. Il y avait déjà eu un précédent épique et fleuri entre les deux hommes sous le maillot olympien au moment de tirer un coup franc. Le 29 mars 2016 pour France-Russie, un seul des deux est sur le terrain. Quatrième but français sur un coup franc du Réunionnais qui signe l’arrêt de mort de son ancien coéquipier : « Ce soir-là, au Stade de France, lorsque Dimitri Payet plaça la balle encore plus loin du but russe que Valbuena ne l’avait posée du but portugais (en septembre 2015), on comprit que la cible qu’il voulait atteindre n’était pas seulement le but russe, mais la place de Valbuena en équipe de France. Et la trajectoire qu’il donna au ballon réinventa les règles de la géométrie dans l’espace, tant elle défiait l’imagination. Ce soir-là, le tir de Payet atteignit la lucarne russe, mais aussi Mathieu Valbuena en plein cœur. »

IX. L’avis imaginé de Didier Deschamps

« Je n’ai pas vraiment compris le projet initial de Guy Carlier. C’est vrai que Mathieu a vécu une saison difficile, sportivement et personnellement, qui l’a éloigné de l’équipe de France. Mais en football, rien n’est définitif. En revanche, pour moi, ce livre a été difficile à lire et m’a définitivement éloigné de la littérature. » DD, le sens du tacle verbal.

X. À qui offrir ce livre ?

À la chèvre de monsieur Seguin : « Vous vous souvenez de la chèvre de monsieur Seguin qui voulait à toute force être libre et qui, pour cela, quitta son protecteur, s’enfuit dans la nuit et paya le prix de son indépendance en se battant seule contre une meute de loups qui ne cessèrent de la harceler. Cette histoire, c’est celle de Mathieu Valbuena. Dès qu’il quitta l’Aquitaine, les loups se ruèrent sur lui. Et sa carrière n’est qu’un long combat contre les loups du football. » On aimerait bien savoir ce qu’elle en pense, de cette comparaison, la chèvre de monsieur Seguin.

XI. Le titre que l’éditeur n’a pas osé : Guy Carlier, le visionnaire.

« La lâcheté, le politiquement correct, la misère des uns, la richesse indécente des autres, les délits de cage d’escalier, l’évasion fiscale, l’appauvrissement culturel… Et la peur, la peur partout et la guerre civile qui s’annonce… Nous voilà loin de Mathieu Valbuena. Pas sûr. Car si le foot a changé, c’est que le monde a changé. » Sérieusement, Guy ?

Dans cet article :
Euro 2016 : Les mots bleus (4)
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Qui veut tuer Mathieu Valbuena ? de Guy Carlier, Cherche Midi, 192 pages, Mai 2016, 15 euros.

Euro 2016 : Les mots bleus
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