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Euro 2016 : Les mots bleus (2)
L'EDF joue l'Euro à domicile, peut-être pour le gagner. Mais au fond, on s'en fout un peu, car comme le dit Sami Frey dans Danse avec lui : « Qu'importe le but, l'important c'est le chemin parcouru... » Alors on s'est dit que c'était l'occasion de revenir sur les chemins de nos Bleus. Des victoires et des défaites, des histoires individuelles ou collectives, heureuses ou malheureuses, ancrées dans notre mémoire collective ou inconnues du grand public. Une sélection de livres estampillés « bleus » pour vous accompagner avant et pendant la compète. Parce qu'un championnat d'Europe à 24 équipes, c'est long et que ça laisse du temps pour bouquiner. Onze livres en onze points afin de mieux connaître nos Bleus.
Chronique 2 : Cissé, Un lion ne meurt jamais
I. Le pitch du bouquin
Djibril Cissé. Un prénom musulman et une foi catholique. Des parents guinéo-ivoiriens et un cœur bleu-blanc-rouge. Des coupes de cheveux de fou, un style vestimentaire atypique, des tatouages à la Prison break et un vrai timide. Le Djib, c’est tout ça à la fois. Dans un style simple et épuré, comme sur le terrain, il revient sur sa vie de footballeur et un peu plus même, la tête sur les épaules : « On n’écrit pas son autobiographie à 34 ans. On écrit un livre avec des tranches de vie, des envies d’encore et certains remords. On évoque une carrière avec un point de vue de jeune retraité, sans trop de recul, mais un ressenti encore très présent. »
II. La cote « bleue attitude »
Un chapitre « Les bleus dans la peau » au cœur du livre, comme un symbole. Un choix assumé, comme toujours avec Cissé : « J’aime tellement ce maillot, comment ai-je pu lui manquer de respect ? Je l’ai dit à maintes reprises, jouer pour l’équipe de France a toujours été un grand honneur pour moi. Un choix difficile, quoi qu’il en soit, car j’ai dû renoncer à défendre les couleurs de la Côte d’Ivoire auxquelles j’étais également très attaché. Mon père, mon oncle et mon frère ont porté ces couleurs. » Un mec qui explique son choix de club à l’été 2013 ainsi : « J’étais tenté d’aller voir ce que les Russes tenaient à me proposer. Pour voir. Mais comment jouer dans un pays qui connaît un tel hiver ? En signant avec le FC Kouban Krasnodar, j’ai eu une drôle d’idée ! Ce n’est pas l’argent qui m’a intéressé là-bas. Ils jouaient la Ligue Europa, et moi, je voulais me faire remarquer pour revenir en équipe de France. C’était un défi magnifique qui méritait que je parte aussi loin. » Si ce n’est pas de l’amour, ça ! Entre Djib et l’EDF, l’indice de comptabilité est de 100%.
III. Pourquoi faut-il lire ce livre ?
Parce que d’entrée, l’ancien buteur en série de l’AJA, époque maillot Kappa moulant Playstation 2, joue cartes sur table : « J’ai aussi fait pas mal de conneries ! J’ai écouté pas mal de mauvais conseillers. J’ai fait des investissements foireux et je me suis trompé sur quelques achats. J’avoue également que j’ai toujours eu la fièvre acheteuse : les vêtements, les montres, les bolides… J’ai eu jusqu’à quinze voitures en même temps. Je me demande avec le recul à quoi elles pouvaient servir, mais on ne s’en rend pas compte quand on est jeune. Surtout quand c’est une vraie passion. On se trouve des excuses pour les excès. »
IV. Pourquoi gagner du temps et ne pas acheter ce bouquin ?
On a eu un vrai doute sur le fait que Djibril soit l’auteur de ce livre en lisant ce passage sur l’ancien sélectionneur des Bleus, époque post-Jacquet : « Ce qu’on ne sait pas de Roger Lemerre, c’est que c’est un grand rigolo. Il adore faire des blagues, chambrer. Il m’avait fait beaucoup rire. Un vrai personnage. C’est difficile pour moi de vous raconter ces coups d’éclat sans l’image. » Mais finalement, on a été rassuré : « Il aurait fallu être là pour le voir péter les plombs ou nous faire des phases qu’encore aujourd’hui, nous n’avons pas comprises. Que dire de ses briefings d’avant-match ! Je me souviendrai toujours de son speech avant France-Sénégal. Je ne sais plus par qui il avait commencé pour dire :« Toi, je t’ai donné un maillot, je t’ai donné un numéro et tu dois l’honorer. »On avait commencé à se regarder entre nous, car il avait dit ensuite la même chose au troisième, puis au quatrième. Tout le groupe avait eu droit à cette phrase. La même phrase pendant vingt minutes. Ça avait été très étrange. Je ne vous raconte pas le fou rire qui m’avait pris. » Là, on est sûr que c’est bien Djibril qui nous raconte cet épisode.
V. À quel moment commencer ce livre ?
Forcément avant la compétition. Car même si Djibril facture deux Coupes du monde au compteur (2002 et 2010), dans nos souvenirs, c’est surtout un moment de souffrance que l’on retient. 7 juin 2006. France-Chine, match de préparation avant la World cup en Allemagne : « J’ai senti ma jambe se briser et j’ai tout de suite su que c’était fini pour moi. Patrick Vieira était venu me dire de me lever, mais je lui avais répondu que malheureusement, ça n’allait pas être possible.(…)Rien de grave, juste une fracture tibia-péroné. Rien que je ne connaisse déjà. Rien dont je ne me sois déjà remis. »
VI. Le souvenir « bleu » qu’on aurait bien voulu oublier
Cette image de la jambe fracturée de Cissé. Mais Djib sait se montrer philosophe : « Les gens évoquent souvent mon manque de chance avec ces blessures qui m’ont privé de telle ou telle compétition. Je leur réponds que je pense avoir toujours été là où était ma place. J’ai toujours pensé que rien n’arrive par hasard ; je ne devais pas être là, pour une raison qui me reste inconnue, mais que j’accepte. Je n’ai pas de regrets. »
VII. L’avis inattendu du corps médical
« Quoi qu’on ait pu dire à mon sujet, je n’ai pas les os fragiles. Bien au contraire ! Ils sont trop durs. On a pratiqué sur moi une densitométrie : cet examen radiologique permet d’étudier la masse de calcium contenue dans l’os. Dans sa carrière, Olivier Fichez n’avait jamais vu un taux aussi exceptionnellement élevé que le mien. Mes os sont tellement denses qu’ils n’ont aucune flexibilité. Ils sont très solides. Trop solides pour plier. C’est pourquoi ils avaient cassé net quand j’avais reçu ces coups au mauvais endroit. »
VIII. Pourquoi son autobiographie aurait pu servir à Djibril Cissé pour être dans la liste des 23 ?
Parce que Djibril n’a jamais joué un Euro, notamment pour services rendus lorsque il accepte de redescendre en Espoirs en 2004 pour un match décisif contre le Portugal avec Raymond Domenech sur le banc. Résultat : un carton rouge et quatre matchs de suspension qui le priveront d’Euro avec les grands. Et que l’intégrer dans les réservistes aurait eu du sens. Ben oui, Cissé en mode DJ, c’est quand même un atout pour ambiancer quelques soirées au château de Clairefontaine et en même temps pour faire claquer les filets du terrain d’entraînement Michel Platini situé juste en face. Honnêtement notre numéro 9 et leader d’attaque pour ce championnat d’Europe, Olivier Giroud, n’aurait-il pas besoin que Djib lui transmette un peu de flow ? Pour sûr que oui.
IX. L’anecdote ou le secret « bleu » qu’on a kiffé
Coupe du monde 2010. Knysna. Le bus de la honte. Les Bleus ont refusé de s’entraîner, et Robert Duverne en a jeté son chronomètre de rage. Raymond Domenech, lui, a lu la fameuse lettre des joueurs. Retour à l’hôtel. Apparemment, le coach est excédé et s’apprête à quitter l’Afrique du Sud. C’est là que Djibril entre en scène : « Le soir de notre grève pathétique, le chef de la sécurité, Momo Sanhadji, m’avait dit que le coach allait partir. J’étais, selon lui, la personne toute désignée pour tenter de le retenir. Je suis allé dans sa chambre pour le voir et solliciter une conversation. Il était en train de préparer ses affaires, dans un état de grande colère. Il avait commencé par m’engueuler copieusement et je m’étais tu, pour de bonnes raisons cette fois-ci. Que pouvais-je répondre ? Oui, ce que nous avions fait était grave et impardonnable. Oui, nous étions la risée de cette Coupe du monde 2010. Une honte pour la France. Après l’avoir laissé vider son sac, je lui avais répondu que non, il ne devait pas faire ses valises. Oui, on avait toujours besoin de lui. J’ai essayé de lui parler en ami. Un ami plus jeune très respectueux de l’homme que j’admirais et que j’aimais beaucoup. C’est toujours le cas.(…)J’ai voulu calmer le jeu et je ne sais pas si j’ai vraiment eu une incidence sur son choix. Je veux croire que oui, qu’il s’est senti soutenu, même si je connais assez bien Raymond pour savoir qu’il est seul maître dans ses choix. »
X. À qui offrir ce livre ?
Aux 23 Bleus de Knysna pour les mots de Raymond Domenech dans la préface : « En ce qui concerne Knysna, je ne lui en veux pas(à Cissé). Pas plus qu’aux autres. Je suis juste déçu qu’ils n’aient pas été capables, dans le débat, de donner un point de vue contraire. En aurais-je été capable si j’avais été à leur place ? Je ne le sais pas. C’est pour ça que je ne leur en veux pas. »
XI. Le titre que l’éditeur n’a pas osé
Djibril, l’esprit saint : « Mon père ne m’avait pas enseigné l’islam qu’il pratiquait. Dans une famille musulmane, tu ne nais pas musulman. Même si mon père était footballeur professionnel, je ne suis pas né footballeur. Il a bien fallu qu’on m’apprenne à le devenir.(…)Sans éducation religieuse, je suis allé au catéchisme et j’ai aimé ce qu’on m’y a enseigné. J’ai conservé ma foi depuis.(…)Mon frère Fodé est devenu iman en Belgique. C’est un choix qu’il a fait seul, sans que ce soit dicté par qui que ce soit. La foi est une question de choix et de liberté.(…)Je comprends que ça intrigue certaines personnes, mais pas que ça les dérange. Je m’appelle Djibril et je suis chrétien. » What else ? Les voies du Seigneur sont impénétrables.
Par Benjamin Laguerre
Djibril Cissé, Un lion ne meurt jamais, Talent Sport, octobre 2015, 201 pages, 20 euros.