Euro 08 : The White Russian

Welcome to the « Oranje Bar ». Derrière le zinc, deux maîtres barmans, Dick Advocaat et Guus Hiddink, pas le même maillot mais la même nation. Nos deux virtuoses du shaker sont à la base d’un savant mélange qui a su rendre complètement marteaux les habitués de la biture footballistique européenne.

Fini le temps du « Séduction » aux pieds de la Tour Eiffel, de la « Sangria » andalouse, ou encore du « Sicilian Kiss » (Ray Denis sait de quoi on cause). Place maintenant au White Russian nouveau, millésime 2008, avec zests d’Oranje, parce que c’est meilleur que le Kahlua.

Dick Advocaat l’avait déjà compris. Pour bien réussir le savoureux breuvage, il nécessite de suivre à la lettre certains préceptes. Tout d’abord un trident défensif tenace, physiquement dense, et dont le goût âpre ne s’estompe pas au fil des minutes. Dans son fief du Zénith, le Batave a donc choisi de mélanger les saveurs. Shirokov le Russe et Krizanac le Croate pour la charnière, complétée par le Makelele ukrainien et accessoirement sosie soviet de Kurt Cobain, Anatoliy Timoshchuk. Et autant dire que ces trois-là découpent comme il faut.

Sur les ailes, deux latéraux « couteaux-suisse ». Côté gauche, le Tchèque Radek Sirl, avec Anyukov son pendant russe à droite. Parfois latéraux, souvent ailiers, les deux funambules jouissent d’une entière liberté de mouvement le long de la ligne. Là où un Abidal peut justifier sa réticence à passer le milieu de terrain par la simple présence de Flo « passe arrière » Malouda, Sirl et Anyukov enquillent les bornes certes, mais surtout les centres.

Pour diluer quelque peu l’affaire, Semshov et Zyrianov font office de porteurs d’eau. Deux relayeurs chargés d’amener le cuir dans les meilleurs conditions au trio offensif passé maître dans l’art de la finition. Pogrebnyak et Denisov (voire Tekke) en pointe, pour la texture, avec le phénomène Arshavin en soutien pour corser le tout. En bon agent de saveur, le poupon a illuminé le jeu du Zénith, entre buts décisifs et caviar à la louche. C3 à la clé, où une certaine idée du raffinement russe.

Juste un doigt…

Alors fort logiquement, son compatriote Hiddink n’a pas voulu changer une formule qui gagne. Il aurait même aimé aller un peu plus loin : « Si j’avais pu, j’aurais sélectionné toute l’équipe du Zénith » . À défaut de pouvoir reprendre le même casting, Guus a calqué le système de jeu, mais en grand chef international qu’il est (Turquie, Espagne, Corée du Sud et Australie), le bougre s’est permis d’améliorer la recette.

Derrière, la défense centrale est munie d’une arme secrète en la personne de Denis « Patator » Kolodin. Le Franck Sauzée nouveau est arrivé, il joue dans l’axe et il vient du froid. Mais là où Hiddink est réellement un génie, c’est dans le choix de son pivot défensif. Tymoshchuk c’est bien, Semak c’est encore mieux. Car le Segueï du PSG est bel et bien mort. Cet ersatz de 9 et demi, infoutu de se placer correctement sur le pré, s’est aujourd’hui transformé en un monstre tactique à la fois récupérateur, rampe de lancement, et même passeur décisif. Des prestations qui rappellent un certain Anderson Luis de Souza dit Deco, rien que ça. Paris est magique.

Avec le même 4-4-2 en losange où tout se putain de passe dans l’axe, forcément cette Red Army joue un peu comme la ville du Tsar Pierre le Grand. On taffe dans les intervalles pour regrouper l’adversaire dans l’axe (Semak, Semchov et Zyrianov), puis décalage sur le côté pour faire exploser le bloc (Zhirkov et Anyukov), avant d’enfin revenir au centre pour le désormais culte « Attention ! Holalalalalalalalala… » de Franck Lebœuf (Arshavin, Saenko et Pavlyuchenko). Toujours le génie d’Arshavin à la touillette, mais la patte Hiddink en plus.

Car désormais, le porteur de balle dispose au bas mot de trois ou quatre solutions sur chaque phase offensive. Parce que le foot c’est parfois simple comme un Pastis. Je donne la balle, je bouge, j’offre une solution à mon partenaire pour ne pas le laisser en galère. Et quand tout le monde se met au diapason, forcément ça marche. Maux de tête et gueule de bois garantis pour ceux d’en face. Le cuir vit, voyage, respire, transpire.

Le Batave a réussi à transformer le Russe en Coréen, ça fourmille de partout. Ou mieux, il a dépoussiéré cette vieille doctrine chère à l’URSS qu’est le Stakhanovisme. Guus l’a très vite compris, le Ruskov a gardé quelques vieilles habitudes de sa période soviet : « La principale qualité de mes joueurs, c’est qu’ils sont très malléables » . Et Arshavin de renchérir juste après le match face aux Pays-Bas : « En fin de compte, un grand coach a battu onze talentueux Hollandais » . Foutu communisme international.

Au final, ce « Russe Blanc » détonne et pourrait bien aller au bout, voire même offrir un Ballon d’Or à son prodige.

Par Paul Bemer et Lucas Duvernet-Coppola