Euro 08 : Petite Anschluss entre amis…

1982, la péninsule ibérique s’enflamme pour la 12ème édition de la Coupe du Monde. Franco a passé l’arme à gauche depuis quasiment sept ans. Diego Maradona fait ses grands débuts dans l’épreuve devant son nouveau public du Nou Camp (le Barça venait de l’acquérir pour 7,5 millions d’euros, transfert record pour l’époque). Et une blanche colombe sort d’un ballon durant la cérémonie d’ouverture. Viva España.

RFA et Autriche sont déjà dans le groupe B(iaisé), en compagnie du Chili et de l’Algérie. Emmenée par le Ballon d’Or africain Lakhdar Belloumi, Salah Assad (l’inventeur de la fameuse virgule Ronaldinhesque), Rabah Madjer, Mustapha Dahleb, et Djamel Zidane (parait-il que Zizou se faisait passer pour son cousin étant jeune…), les Fennecs avaient tout pour réussir le premier exploit africain en Coupe du Monde.

Ce sera le cas lors de leur premier match face à la Mannschaft. Deux buts de Madjer et Belloumi contre une mine de Rummenigge écriront l’histoire. L’Algérie crée la sensation de ce mondial et démarre parfaitement son tournoi. Dans le même temps l’Autriche bat de justesse le Chili sur le plus petit des scores. Autant le dire tout de suite car c’est important pour la suite, les Chiliens se feront ramasser trois fois en trois matchs (4-1 face à la RFA, puis 3-2 contre l’Algérie).

Pour leur second game, les Verts veulent confirmer. Sans doute encore un peu trop grisés par l’exploit allemand, ils bafouillent leur football et se font écraser par la Wunderteam deux pions à rien. Putain de saut à skis. Surtout que les Schleus jouent le Chili. Merde.

Résultat : avant le dernier tour de piste, l’Autriche est en pole avec quatre points (la victoire valait deux points à l’époque), Teutons et Fennecs sont à égalité avec deux points, et les Chiliens préparent leurs vacances.

Dernier round donc. L’Algérie boxe en premier et fait le métier face aux touristes. Entrent alors dans le ring les cousins austro-germaniques. Le scénario est simple, si la RFA l’emporte par plus de deux buts d’écart, elle valide son billet pour le second tour mais poinçonne également celui des Verts.

Le 25 juin 1982, devant toute la planète – l’épreuve étant pour la première fois diffusée sur les cinq continents, dans 140 pays pour plus d’un milliard de téléspectateurs – Allemands et Autrichiens se livrent à une vraie parodie de football. Après l’ouverture du score à la 10ème minute de jeu par Horst Hrubesch, les deux escouades vont offrir au public d’El Molinón de Gijón une magnifique démonstration de passe à dix. L’entente parfaite, véritable exhumation de l’Anschluss. L’Autriche ne cherche pas à égaliser, et l’Allemagne ne veut pas sacrifier son annexe contre une “bande d’Arabes” qui lui avait collé une belle leçon de football. L’Österreich Republik et la Bundesrepublik se qualifient main dans la main façon troisième Reich. Les Fennecs retournent dans le désert.

Pour les excuses, il faudra attendre 25 ans avant que l’ancien défenseur de la Mannschaft Hans-Peter Briegel ne délie quelque peu sa langue : « Oui, je suis désolé. Et je n’ai rien d’autre à dire que de présenter mes excuses à l’Algérie parce qu’elle méritait de se qualifier au second tour après avoir offert des prestations de qualité durant le Mondial. Il était en notre pouvoir de battre l’Autriche par plus de deux buts d’écart, mais cela ne s’est pas produit et je m’en excuse » .

Les aveux, eux, sont plus difficiles à lâcher : « Il n’y avait pas d’accord et nous n’avons pas arrangé le score avec les joueurs autrichiens. Comme je l’ai dit, nous sommes entrés sur le terrain pour gagner par un seul but, et quand nous avons marqué, concrétisant notre objectif, nous avons stoppé notre effort sans le vouloir. Effectivement, ce qui s’est passé est désolant » .

Lorsque l’on sait que ces révélations ont été faites au journal marocain Al-Ittihad Al-Ichtiraki lorsque Briegel était sélectionneur de Bahreïn, on relativise.

Toujours est-il que ce match, surnommé aujourd’hui le “match de la honte”, a fait jurisprudence puisque toutes les rencontres du dernier tour se sont à partir de ce moment jouées à la même heure. Une façon d’éviter tout arrangement, que la FIFA applique depuis à chaque phase finale de ses compétitions.

C’est pourquoi ce soir, point de pacte à l’horizon. Allemands et Autrichiens vont devoir mettre de côté l’entente cordiale, oublier la passe à dix, et se mettre réellement sur la gueule (une fois n’est pas coutume) s’ils ne veulent pas assister au coup de sifflet final à la vengeance “polak” .

Par Paul Bemer et Lucas Duvernet Coppola