- Disparition d'Eugène Saccomano
Eugène Saccomano, on refait le mec !
Il était, d'abord et avant tout, une voix. Celle qui a bercé autant qu'irrité plusieurs générations, du transistor à la TNT. On a même pu entendre ses commentaires sur le jeu FIFA, c'est pour dire. Il était surtout une des grandes figures du journalisme sportif en France. Il a introduit la polémique et le talk show dans le foot. Littéraire et polémiste, amoureux de Céline et de Platini, il a accompagné la lente ascension du foot tricolore vers les sommets. Eugène Saccomano s'est éteint lundi soir à l'âge de 83 ans. Hommage.
« Oooooooooon refait le match. » Impossible de ne pas commencer par cet appel à la prière footballistique, balancé à la face des auditeurs, des téléspectateurs et des pauvres chroniqueurs qu’il savait si bien martyriser (demandez à Pascal Praud). Elle ne résume sûrement pas le personnage. Elle lui survivra à coup sûr. Il était un paradoxe vivant qui semblait se défaire des cases et étiquettes, et qui sut s’adapter à toutes les époques. « Make it new » , proclamait le poète Ezra Pound, un autre homme de contradiction. L’idée, en tout cas, aurait sûrement plu à Saccomano, lui, grand admirateur d’un Céline auquel il pardonnait tout et consacra avec Goncourt 32 une défense pro-domo dépourvue de remords.
Vieille école et accent chantant
Son accent le trahissait. Il lui sera toujours fidèle. Né dans le Gard, son amour du ballon le conduira forcément vers le Nîmes Olympiques, un club de cœur. Il en avait beaucoup, cela tombait bien. Mais le bon élève aimait aussi écrire. Il trouvera le chemin pour réconcilier ses deux amours. Il part de la sorte aux Jeux olympiques d’Helsinki en 1952 après avoir remporté à 16 ans le concours du meilleur reporter sportif junior de L’Équipe. Son parcours professionnel sera d’abord un modèle de la vieille école. Radio et presse régionale, station nationale puis la télévision. Bref, il est monté à Paris dans un Hexagone qui se regarde encore le nombril capital. En 1959, il entre donc au Provençal où, de son propre aveu, il fait ses classes en « touche-à-tout » , y compris sur la variété et les yéyés. Puis il monte en grade, correspondant marseillais pour Europe 1, le début d’une longue fidélité pour cette maison qu’il ne quittera que poussé à la retraite. Puis la rédaction nationale. La consécration, enfin.
Toutefois, il n’avait pas abandonné ses rêves d’écrivain. Encore au Provençal, il trouve le temps et l’envie de rédiger Bandit à Marseille, une belle odyssée, quelque peu enjolivée, de la pègre phocéenne, qui finira dans les mains d’un certain Alain Delon, qui dévore le bouquin entre deux scènes de La piscine. En 1970 sortira Borsalino de Jacques Deray, directement inspiré de sa plume. Lui ne touchera que 30 000 francs, pas cher payé pour une telle contribution au septième art. Il ne mélangera pourtant jamais les genres, dissimulant même sa grande culture derrière sa bonhomie gouailleuse, jamais très loin de la provoc. En 2009, il qualifiera les Barbarians, des ultras havrais, de « groupe très noir & rouge » , forcément « facho » en concluant par « connards » . Ils porteront plainte, appuyés par le HAC.
Mauvaise foi assumée
Saccomano n’était pas malgré tout qu’un banal boute-en-train, et quelque part, il inaugura aussi un certain type de journalistes. De ceux qui se prennent parfois pour des agents ou des hommes de l’ombre. Il aurait, de la sorte, en 1979, tenté de convaincre Platini de rejoindre Nantes, en « envoyé secret » de Lagardère. Bien plus tard, lorsque Arthur Jorge débarque au PSG et qu’il désire s’adjoindre les services du Brésilien André Cruz, certaines rumeurs prêtent à Saccomano d’avoir convaincu son pote Lescure d’y renoncer.
Il sut surtout sentir son époque. Et que le sport, et le foot en particulier, ne pouvait plus se contenter d’avis argumentés et de remarques d’experts, d’anciens de la presse écrite qui récitent leur papier à l’oral d’un ton de bachelier appliqué. S’inspirant aussi bien de la bande de Chapatte dans Stade 2 que des émissions italiennes, il décide de transposer, d’abord à la radio, sur RTL, puis dans la petite lucarne chez LCI ou I-télé, l’esprit café du commerce et le culte de la grande engueulade politique du repas du dimanche. De la mauvaise foi assumée, saupoudrée de prévisions à la Nostradamus. Et personne ne finit son intervention sauf lui. Tout sera de toutes façons oublié la semaine suivante. On a tous détesté, mais qui n’a pas désiré secrètement un jour s’inviter sur le plateau pour lui clouer le bec ? Quand on inspire ce genre de réaction, on a gagné la partie. Détesté, adoré, jamais ignoré, encore moins oublié.
Installé dans son village de La Garde-Freinet (Var), en bon notable, il en devint conseiller municipal. On ne se refait pas, surtout à la fin. Le paradis doit être un peu moins silencieux depuis aujourd’hui.
Par Nicolas Kssis-Martov