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- Interview Roque Santa Cruz
« Être élu footballeur le plus beau, c’est toujours sympa pour l’ego »
Parmi les blases les plus classes du foot mondial, il y a Roque Santa Cruz. De retour sur les pelouses de Liga pour un nouveau challenge avec Málaga, l’icône paraguayenne fait le point sur son parcours depuis sa chambre d’hôtel. Entre sélection nationale, passion pour les langues étrangères et musique.
Bonjour Roque. Comment te sens-tu depuis ton retour sur les terrains, le 28 novembre dernier ?Ah, ça fait un bien fou (rires) ! Avant mon match contre Grenade, il s’est passé environ six mois sans jouer aucune compétition officielle. Jouer, c’est un plaisir à chaque fois. Aujourd’hui, je me sens de plus en plus fort semaine après semaine, mais je ne veux pas brûler les étapes. Je sais que ma blessure m’a mis hors des terrains pendant longtemps, donc je reste aussi attentif à mon évolution physique.
Cette période de convalescence a duré six mois, ce n’était pas la première dans ta carrière… Et tu n’es plus tout jeune, tu as 34 ans. Comment est-ce que tu as vécu la chose ?Ce n’est pas une période facile, mais avec l’expérience, tu apprends à gérer ces moments avec tranquillité. Plus jeune, cela me gênait, car je voulais toujours jouer. Aujourd’hui, je cherche à garder une continuité avant tout, pour donner le meilleur à l’équipe. Passer du temps en dehors des terrains, c’est difficile pour un sportif. Il faut prendre son mal en patience, ne pas se mettre à douter. Le plus important, c’est de revenir à 100% de ses capacités pour profiter pleinement du football.
Tu as marqué ton premier but de la saison en Liga contre Las Palmas, le 10 janvier. Quels vont être tes objectifs personnels pour cette saison ?Je dois enchaîner dans mes performances, retrouver les bonnes sensations. Il va falloir accumuler les minutes et participer à l’objectif commun du maintien. Et ensuite, si possible, marquer des buts.
Et la Copa América cet été, tu y penses ?Après la dernière Copa au Chili, j’avais encore l’envie de continuer. Hélas, la blessure est arrivée. J’ai dû prendre du temps pour me recentrer sur mon avenir sportif et sur cette fin de saison. Nous allons d’abord voir avec le staff de Málaga si ma situation se stabilise. Si c’est le cas, on pourra penser à mon avenir avec le Paraguay. Mais le plus important pour le moment, c’est de se sentir au top.
Ton retour à Málaga, cela représente quelque chose de fort pour le club… Comment les choses se sont-elles mises en place avec Cruz Azul ?Au Mexique, les tournois d’ouverture et de fermeture durent environ cinq mois chacun. Avant de commencer la Copa América, j’étais encore en forme. Mais après ma blessure, je ne pouvais pas jouer dans l’immédiat. Je n’avais aucune possibilité de jouer dans ce laps de temps, puis Málaga est revenu aux nouvelles à ce moment. Málaga, c’est une ville où ma famille garde un bon souvenir, et à mon âge, il faut aussi savoir écouter ses proches : ma femme aimait cette ville, mes enfants voulaient revenir… J’ai pris cette décision comme footballeur, mais aussi en père de famille.
Durant ton expérience au Mexique, tu as pu jauger le championnat… Un de nos buteurs nationaux, André-Pierre Gignac, y joue actuellement. Comment est-ce que tu évalues la Liga MX ?Le niveau est vraiment très intéressant, ce n’est pas du tout ce que les gens imaginent depuis l’Europe. Au Mexique, les équipes sont compétitives, le football est vivant et les tribunes aussi. Le fait que Gignac parte là-bas et continue à être appelé par la sélection, cela est très évocateur. Le football pratiqué nécessite une grosse condition physique et du dynamisme. Gignac va continuer à faire partie des meilleurs attaquants du monde au sein de ce championnat, il n’y a aucun doute là-dessus.
Tu penses avoir vécu tes meilleures années à Málaga, avec des joueurs comme Demichelis que tu connaissais depuis le Bayern, Isco, Cazorla ou Toulalan ?Sportivement, je pense que la plupart des joueurs arrivaient à un moment où leur jeu devenait plus mature, plus fort. Nous avions aussi une équipe dirigée par Manuel Pellegrini, un grand coach. En Ligue des champions, la qualification face au Borussia Dortmund s’était jouée dans les derniers instants… C’est vrai que ces années étaient très belles. Les meilleures ? Je ne sais pas, parce que j’ai aussi connu d’autres moments forts dans ma carrière. Mais celles où j’ai le plus profité, oui, certainement. Málaga, c’est un club très spécial pour moi.
Tu es un demi-dieu dans ton pays, Roque… Comment tu vis cette célébrité ?D’autres joueurs paraguayens ont eu une grande carrière, ils ont laissé leur trace eux aussi. J’ai une histoire particulière avec mon pays : je suis parti très tôt pour l’Allemagne (à 18 ans, au Bayern, ndlr) et je n’ai jamais rejoué dans le championnat national… C’était un choix. Mais je crois qu’avoir joué si longtemps pour la sélection, c’était important aux yeux des supporters.
Et des supportrices, non ?(Rires) Il y a parfois des personnes très heureuses de te voir. Elles veulent ton maillot après le match, les chaussures… Cela reste des choses assez classiques, des envies de fans de football. Après, il y a toujours des demandes un peu spéciales sur des pancartes, mais c’est surtout drôle !
Au sein de l’Olimpia, on s’imagine que tu étais moins médiatisé… Comment s’est passé ta jeunesse au Paraguay ?J’étais dans une famille nombreuse, mais on ne manquait de rien. J’avais quatre autres frères, on parlait beaucoup de football. Et quand je suis arrivé à l’Olimpia, j’ai été rapidement bien encadré par le club. Pour les cours en revanche, cela devenait difficile à suivre. Les gens étaient au courant de ce que je faisais, que j’étais sélectionné dans les équipes de jeunes du Paraguay au lycée… En vrai, j’étais déjà une petite célébrité ! J’étais plus à l’aise en maths qu’en littérature. Ça me sert bien pour évaluer les distances dans la surface (rires).
Comment le Bayern Munich est-il parvenu à te convaincre de venir en Europe, à 18 ans ?Je sortais d’une Coupe du monde des moins de 20 ans où j’avais fait un gros tournoi. Ensuite, tout est allé très vite : le Paraguay m’appelait pour la prochaine Copa América, puis le Bayern Munich m’offrait un contrat. Après la Copa América, j’avais un choix à faire. Ma famille cherchait à me protéger parce que mon cas commençait à générer beaucoup d’attention, cela pouvait me faire tourner la tête. Une fois que tout était prêt pour mon départ, je me suis lancé.
Le Bayern avait placé beaucoup d’espoir en toi, mais tu as souffert pour marquer des buts au départ. Est-ce qu’avec le recul, ce choix n’était pas trop rapide ?Non, je le referais sans hésiter. En soi, le choix n’était pas mauvais. Ce sont les blessures qui ont gêné ma progression… Le Bayern, c’est un vrai grand club, une institution. J’ai énormément appris sur le football professionnel chez eux. J’ai connu la réussite, malgré la frustration et ce sentiment d’inachevé.
Le pays ne te manquait pas, donc ?Les Sud-Américains gardent toujours une grande attache à leur pays, c’est comme ça. Bien sûr, j’aurais aimé pouvoir jouer pour l’Olimpia plus longtemps, jouer la Copa Libertadores avec le club où je me suis révélé. Voir des supporters de l’Olimpia, cela me procure une grande joie… (Silence) Mais la vie fait que ce n’était pas possible de revenir. Aujourd’hui, j’ai une famille, elle est heureuse, et les décisions sur notre avenir se prennent ensemble.
Tu as appris une grande chose au Bayern : la culture de la gagne, avec cinq championnats et une Ligue des champions en huit ans… Même si Claudio Pizarro et Roy Makaay avaient souvent le monopole de l’attaque, tu en penses quoi de ces titres ?J’ai savouré ! Gagner un titre, c’est un travail d’équipe, un objectif commun. Il faut toujours apprécier ces moments, malgré les blessures que l’on peut connaître dans une carrière. L’école allemande, c’est celle du travail, du sacrifice. Avec toutes ces années passées là-bas, j’en suis ressorti grandi. En tant que sportif d’abord, mais aussi en tant qu’homme.
Peu de gens s’en rappellent, mais tu as également tourné dans un clip de musique pour un groupe allemand, Sportfreunde Stiller, dans Ich Roque. Quels souvenirs gardes-tu du tournage ? L’idée est venue de ce groupe de musicien, ils voulaient créer un titre original en se servant de mon nom pour faire un jeu de mots (évidemment, en allemand, Ich Roque signifie « je rocke » , ndlr). Ils avaient décidé de me faire passer dans leur clip, ça s’est passé assez rapidement. Au final, la chanson a connu un gros succès national et dans les pays germanophones. C’était assez amusant, j’en garde un bon souvenir.
D’ailleurs, t’es plutôt rock ou reggaeton ?J’aime bien la musique alternative, les groupes assez rétro. Par exemple, Oasis me plaît beaucoup. Little by Little, Wonderwall, Supersonic… Je n’ai jamais pu aller les voir en concert, je devais le faire en Allemagne, mais les frères Gallagher avaient eu un souci dans leur tournée. Aujourd’hui, ça semble compliqué de les revoir à nouveau ensemble.
On reste sur l’Angleterre. Ton arrivée en Premier League est fracassante… Tu plantes 19 buts pour ta première saison avec Blackburn. Le temps de jeu, c’est ce qu’il te manquait ?J’avais déjà de l’expérience européenne à ce moment, et cela m’a aidé à bien m’adapter au championnat. Je sentais que ce championnat allait me correspondre. Les gens étaient heureux de me voir arriver, je jouais bien, je marquais souvent. Nous faisons une bonne saison, et si l’on regarde bien, les joueurs de cette période des Rovers ont tous fini par signer dans un gros club. J’y suis retourné ensuite, cela prouve que je me sentais bien dans ce club, avec un public très chaleureux. Je garde toujours contact avec des personnes de la région depuis ce temps-là.
En 2009, on pense que tu vas devenir un des tout meilleurs joueurs du championnat quand tu signes à City avec Kolo Touré, Joleon Lescott, Gareth Barry, Robinho, Carlos Tévez, Emmanuel Adebayor… Qu’est-ce qui n’a pas marché chez les Citizens ? L’objectif du club était clair : ils souhaitaient changer leur statut d’équipe de milieu de tableau pour devenir une équipe capable de se qualifier pour la Ligue des champions. Le projet était clairement excitant. Et encore une fois, j’ai connu la blessure ! Mon tendon rotulien m’empêchait d’être au maximum de mes capacités, j’avais été éloigné des terrains pendant huit mois avant cela… Avec un tel effectif, si tu n’es pas au top, tu ne joues pas. Imagine-toi avec Robinho, Tévez, Adebayor et Bellamy. C’était compliqué, mais j’aurai fait partie de cette aventure. Et quand je vois où ils en sont maintenant, on peut dire que le projet s’est concrétisé !
Tu avais l’air d’avoir une grande amitié avec Carlos Tévez. Comment tu le vois ?Carlos, c’est quelqu’un de très attachant. Nous avons eu de bons rapports sur le terrain comme en dehors. Quand tu commences à te rapprocher d’un joueur, tu finis par connaître sa famille, son style de vie. C’est un homme honnête, sincère et très ouvert vers les autres. Au-delà d’être un excellent joueur de football, c’est une personne avec un grand cœur, fière de ses origines. On se charriait pas mal entre nous, et il me parlait de venir avec lui en Argentine pour jouer à Boca ensemble. C’était à la fois sérieux et pour déconner… J’étais sûr qu’il allait retourner là-bas, ça le travaillait trop. Quand j’ai su la nouvelle, ça ne m’a pas surpris du tout.
Après la Premier League, tu signes au Betis Séville à 30 ans. Allemagne et Angleterre avant de venir jouer en Espagne, ce n’est pas commun pour un hispanophone. Comment est-ce que tu expliques cela ?L’Allemagne, c’était une étape fondamentale dans ma carrière. En fait, cela s’est fait par des circonstances de la vie. Les recruteurs du Bayern sont venus me chercher très tôt, cela était sûrement dû à mon style de jeu. Je pense aussi que le fait de signer en Angleterre derrière, ce n’est pas un hasard. Je suis un footballeur plutôt grand, bon dans les airs. Cette trajectoire garde une logique, et mon entrée en Liga était aussi une belle opportunité.
Avec six langues différentes, tu pourrais devenir interprète pour la suite. Tu parles guarani, espagnol, allemand, anglais, portugais et italien…Oui, c’est une vraie qualité ! Avoir joué dans autant de championnats, cela va me servir pour le reste de ma vie. J’aime être ouvert d’esprit, m’imprégner d’autres cultures et apprendre les langues étrangères. Écouter, comprendre, parler une langue, c’est très amusant.
Mais pourquoi l’italien ? Tu n’as jamais joué en Serie A…Au moment d’arriver en Allemagne, le choc culturel était énorme. Pour se faire comprendre, c’était une vraie galère… Du coup, je cherchais un peu les coins plus latins. J’avais pris l’habitude d’aller dans un restaurant italien sur Munich, parce qu’on y mangeait bien et que je pouvais communiquer facilement. J’y suis tellement allé qu’à partir d’un moment, je suis devenu l’un d’eux (rires) !
Et c’était quoi, ton plat favori ?Je suis un bon client pour ce qui est de la bonne cuisine, et je trouve que la cuisine française est excellente. Mais les pâtes, ça reste mon plat préféré. Tu as juste besoin de changer de sauce et tu manges différemment tous les jours, c’est parfait.
Si tu devais choisir, quel est le but le plus important de toute ta carrière ?Mon premier but en Coupe du monde contre l’Afrique du Sud en 2002, c’était quelque chose de très spécial. Tu entres dans un cercle très fermé, tu réalises ton rêve d’enfant… Sur le coup, c’est une grande joie.
Raconte-nous cette fin de Coupe du monde, justement. En 2012, José Luis Chilavert a tenu des mots très durs envers toi. Il t’accusait d’avoir parlé avec Rummenigge avant le huitième de finale contre l’Allemagne, d’avoir simulé une blessure pour avantager la Mannschaft. Que s’est-il passé exactement ?
Avec tout le respect que j’ai pour lui, Chilavert est habitué des sorties médiatiques tapageuses. Le jour du match, j’avais eu la visite de Rummenigge à l’hôtel, c’est vrai. Mais c’était une simple visite amicale. Il était vice-président de club à l’époque, c’est une personne tout à fait honnête. Je pense que Chilavert s’est imaginé des choses sur le coup, et les gens savent le genre de déclarations qu’il fait face la presse… Je m’étais blessé à l’adducteur gauche pendant le match, c’est pour cela que je sors du match. Rien de plus.
En 2006, tu es élu plus beau joueur du Mondial devant David Beckham. Quel effet ça fait ?(Rires) Franchement, je n’y fais pas attention… C’est plus une anecdote qu’autre chose. Après, c’est toujours sympa pour l’ego.
Tu comptes trois participations en Coupe du monde, 110 sélections et 32 buts avec ton équipe nationale. Quel est ton plus beau souvenir avec le Paraguay ?C’était en Afrique du Sud. Pour la première fois dans l’histoire du Paraguay, notre équipe disputait les quarts de finale de la compétition. Nous perdons contre l’Espagne, mais nous avons rendu fier tout notre pays.
Vous perdez vraiment d’un rien contre l’Espagne, qui termine championne du monde (1-0, ndlr). Nelson Valdez se fait refuser un but à tort en première période, tu rates l’occasion d’égaliser à la 88e minute… C’était aussi une grosse déception, non ? C’est vrai que lorsque l’on refait le match, nous aurions pu battre l’Espagne en 2010. Mais voilà, il s’est passé ce qu’il s’est passé. C’était un match à rebondissements, de l’émotion des deux côtés. Au coup de sifflet final, nous avions la satisfaction d’avoir tout donné contre une grande équipe. Même si notre performance était impressionnante, nous étions également déçus sur le moment. C’est le genre d’opportunités qui se présentent une seule fois dans une carrière…
Tu as toujours eu une forte croyance en Dieu. Comment cela se traduit dans ta vie quotidienne ?Mes parents ont toujours été catholiques pratiquants, je suis habitué à vivre avec ma religion depuis l’enfance. J’ai suivi un enseignement dans un collège salésien avec une philosophie précise, afin de l’appliquer dans la vie de tous les jours. C’est ce que je cherche à faire encore aujourd’hui. C’est un élément d’équilibre pour moi, cela me permet d’être plus tranquille dans un monde comme celui du football. Ma femme et moi, nous sommes dans ce même chemin. Nos enfants vont au catéchisme, nous continuons notre route, guidés par la foi. Dans la mesure du possible, je vais à l’église deux fois par semaine. Même si le dimanche, ce n’est pas simple : c’est souvent le jour du match.
Propos recueillis par Antoine Donnarieix